Allons prêcher dans le désert français avec un masque de tigre sur la tête !

Premier paradoxe : I wish I could write this en english. Deuxième paradoxe : en France, où l’on se fout depuis toujours du rock, une ribambelle de jeunes gens s’évertuent à empoigner des guitares autrement que pour geindre suite au départ de l’être aimé. Troisième paradoxe : drapée dans une histoire culturelle qui sent pourtant de plus en plus la merde, l’Hexagone qui pousse la chansonnette continue  de composer au frein à main, persuadée d’être le futur, tandis que la presse applaudit des deux moignons ; d’un côté les médiocres, de l’autre leurs bardes à plumes, sourds comme des académiciens. Quatrième paradoxe : une partie de la presse spécialisée, un œil sur les ventes et l’autre sur le massicot, de peur de perdre ses annonceurs, balbutie des méchancetés dans chaque micro qu’on lui tend. Cinquième paradoxe : ce chapeau, beaucoup trop long, aurait dû causer d’Oh ! Tiger Mountain et de son premier album, « Sings Suzie ». Session de rattrapage ci-dessous.

Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais sachez que j’ai raison. Raison de défendre Oh ! Tiger Mountain, frenchy à guitare récemment démoli par la journaliste musique du Monde Véronique Mortaigne sur France Culture (émission « La Dispute » du 20 octobre dernier, à écouter ici). Mais avant ça, rappel des épisodes précédents.

En 2008, votre serviteur prend dans les dents un EP sec comme un caillou sucé par un enfant mort et pond des milliers de signe dans la foulée. Vivre à Marseille et sonner comme Hank Williams meets Jeff Buckley, le tout avec un masque  de tigre en plastoc sur la tête, ça met la fessée. Deux ans plus tard, le bougre débarque dans mon salon et ça donne ça : lire. Quelque chose comme un début d’amitié, qui trouverait son origine dans des convictions musicales communes et une façon de voir la vie, « quelque chose de fraternel, d’insoumis, de propre, de comme ça, pour le plaisir », n’est-ce pas, madame Mortaigne. Des accointances pareilles, ça ne court pas les bacs à disque. J’attendais donc la sortie de Sings Suzie, son premier LP, avec impatience. Ca s’est passé fin octobre.

« Le seul truc qui m’angoisse, c’est de me retrouver à 45 ans et d’être encore une découverte »

Mais aujourd’hui, plus que jamais, les disques ne se vivent pas de la même façon, selon le côté de la platine où l’on se trouve. « J’ai mis tout ce que je traînais depuis deux ans dans ce disque, je pense déjà au suivant » me dit O!TM au téléphone, quelque part entre Gennevilliers, où il fait actuellement l’acteur, et les bars en Trans, où il se rend. Pour chanter. La vie d’artiste, quoi. « Etre sur la route, jouer une date, gagner 100 euros, se déboiter la tête le soir même et se dire qu’on va recommencer le lendemain. C’est chouette. Les gens n’en reviennent pas qu’on ait fait ce choix de vie là. » « On », c’est lui et son pote Kid Francescoli, avec qui il écumes les scènes de cette France rock’n’molle. « Mais ça va, hein, je suis pas résigné ! Bon, le seul truc qui m’angoisse, c’est de me retrouver à 45 ans et d’être  encore découverte. »

Mais revenons à nos moutons.  Puisque ni Arnaud Laporte, producteur et animateur de La Dispute, ni Véronique Mortaigne n’ont su faire le job correctement – Arnaud Laporte, à propos d’Oh ! Tiger Mountain : « Un Marseillais ayant grandi dans le New Jersey  »  ; « un groupe de réseau », dixit la journaliste du Monde, enfin last but not least, quelqu’un dans l’émission lâche à un moment « J’aurais dû lire sa bio » : tu aurais surtout dû faire un autre métier, bouffon -, et remettons les choses à leur place une bonne fois pour toutes. O!TM  n’est pas né aux USA, mais à Aix-en-Provence. Et il a grandi… à Salon de Provence !  Il a fait le rocker longtemps avec ses potes marseillais (Nation All Dust), puis a créé son personnage : une masque de tigre, une voix, une guitare. Ses deux couilles de mélomane posées sur la table, il a décidé de « faire la musique qu’(il) aime », malgré tous ses doutes et cette sensation « d’être un nain » au milieu des musiciens qu’il admire. Une culture musicale soulignée par le troisième larron de l’émission radio, Olivier Lamm, rédacteur en chef des pages musique de Chronicart, le seul à avoir pris sa défense et la mesure de ce qui se joue avec O!TM. Même s’il faut bien avouer que Michka Assayas, autre chroniqueur de l’émission, a reconnu qu’« il y va, il a une voix… avant de sortir la kalach : il y a un côté presque Nouvelle Star à tout rejouer presque exactement comme les autres artistes… Bon, il y a quand même quelque chose chez lui. ». Pour en finir avec cette émission à pleurer, je vous livre l’objet de mon courroux, la décla de Véronique Mortaigne, qui après avoir critiqué le dernier Björk, s’exclame : « Björk, comparée à O!TM, est un génie pur ! Je trouve ça affligeant, c’est sur un mode identique du début à la fin de l’album, quelque part c’est un groupe de réseau, le Fair, CQFD, il a touché à tout, il a fait du théâtre avec Hubert Colas… ».

« Dès fois tu te sens spécial mais des trous du cul comme toi, y en a 10 000 sur terre »

A-t-elle idée de combien c’est dur de percer quand on est français et qu’on vibre indie à l’anglo-saxonne ? S’est-elle jamais demandé quelle vie ça donne quand on a décidé de ne pas faire de concession ? Quand on admire la scène garage US, qu’on enregistre son premier disque sur « un magnéto cassette, un ordi pourri, puis sur un ordi un peu moins pourri. L’idée c’était de montrer toutes les étapes par lesquelles je suis passé… Mais peut-être que j’aurais dû l’écrire sur la pochette… » rigole-t-il. Dans un monde où les journalistes musique ne lisent même plus les bios…

Quant au procès « groupe de réseau », quelle blague. « C’est les gars de CQFD qui ont poussé le truc, les internautes ne votaient pas pour moi. J’ai pas fait comme tous les groupes, demander à mes potes via les réseaux sociaux de voter pour moi. En fait, je l’ai fait une fois et en me voyant faire, j’ai eu trop honte ! » Quel musicien de réseau ferait un aveu pareil ? Mais parlons-en, du réseau. Et de son label, Microphone Recordings, créé il y a un peu plus d’un an, avec ses potes Johnny Hawaïi et Kid Francescoli : «  J’ai toujours été sensible aux labels, alors je me suis dit à moment, je vais faire le mien. Pour avoir l’impression d’être aux manettes : les ricains font ça, on a fait pareil. Il fallait se fabriquer une légitimité. Comme les gars du collectif Iceberg à Bordeaux. Quand on va voir un tourneur, il voit qu’il y a quelque chose derrière, qu’on se bouge. C’est motivant. Mon tourneur, je l’ai trouvé comme ça : si les Tontons tourneurs  ont décidé de travailler avec moi, c’est parce qu’avant j’avais fait trente dates tout seul, avec ma bite et mon couteau. » Le tout dit en rigolant, hein, pas genre « regardez mes belles cicatrices, écoutez comme j’en chie ». Ce mec est honnête. Je jure woulah. Même quand votre serviteur lui fait des compliments sur sa singularité, Oh ! Tiger Mountain retombe sur ses pattes : « Oui, dès fois tu te sens spécial mais des trous du cul comme toi, y en a 10 000 sur terre, voilà ce dont je me suis rendu compte en tournant. »

Mouais, 10 000, pas sûr. « Sings Suzie », en plus d’être un vrai parti pris minimaliste côté prod, refile la chair de poule. Faire vibrer avec trois arpèges de telecaster, les cailloux de la voix cognant contre le micro et une réverb pour toute mise en scène, ça ne court pas les rues. Pas mal pour un mec qui dit « ne pas encore savoir faire d’album, parce que je pense qu’en terme de chansons. » Qui passe malgré tout sur Ferarock et Campus. Mais constate, plus globalement, que « si tout le monde dit que je chante bien, côté musique, ils sont perplexes. Ils savent pas où me mettre. C’était ce que je voulais, mais je pensais pas que ce serait aussi problématique » se marre-t-il une fois de plus. Dans mon papier précédent, j’avais aussi tenté un étiquetage, sans succès : « Étiquettes à coller sur son poil. Folk, bof, indie oui mais non, rock dans l’attitude mais pas dans les watts, soul oui mais pas tout le temps, blues mais alors en version 3.2. » Avec son deuxième album, quasi fini, ça ne va pas s’arranger. Je vous en mets ci-dessous quelques extraits. Oh ! Tiger Mountain les présente comme des « démos pas finies (genre chambre à coucher). » Je les écoute en boucle depuis trois jours. Si le dénuement rock vous dit quelque chose, si vous aussi vous vous sentez à l’étroit dans ce désert qu’est la France, je vous encourage à en faire autant.

Oh ! Tiger Mountain // Sings Suzie // Microphone Recordings (Emergence)
Téléchargeable sur toutes les plateformes numériques, sortie vinyle imminente.

http://microphonerecordings.blogspot.com/
Crédits photos: Lucas Rollin (c) 

Oh ! Tiger Mountain: Démos 2011 by Gonzai

7 commentaires

  1. Pas étonnant que sa « carrière » n’avance pas elle est à l’image de sa musique. Point mort…
    Quand à taper sur les journaleux de France Culture tu pourrais aussi le faire contre les programmateurs de SMAC qui avouent eux, non seulement ne pas lire la bio, mais surtout ne pas écouter les disques… sauf ceux des poulains de leurs réseaux, Fair, etc… (faut bien avoir autre chose à se dire à part « c’est la mienne »!)
    Bref ça tourne en rond un peu comme OTM mais lui il ronronne plutôt… J’aimerai bien qu’il se foute un coup de pied au cul et arrête d’écouter les mecs de « son réseau » qui lui promettent la « découverte » avec leur tremplin à la con tout pipé, sous prétexte de faire circuler son nom.
    Il est grand temps qu’il quitte son masque de plastique et qu’il rugisse et montre les crocs et les griffes… Mais j’avais oublié c’est un Marseillais. Foutu Pastis.

  2. « Faire vibrer avec trois arpèges de telecaster, les cailloux de la voix cognant contre le micro et une réverb pour toute mise en scène, ça ne court pas les rues. »

    t’es sérieux là ? t’as vibré ?
    désolé …

  3. Non, j’ai claqué 10 000 signes juste pour le fun. Au début y avait marqué « Vous avez le droit de ne pas être d’accord ». A priori, tu n’es pas d’accord.

  4. ‘Indie oui mais non’ Priceless. J’avais découvert ce mec grâce à ton précédent papier justement et je me souviens que j’avais bien bloqué sur Or The Drugs qui est une putain de belle chanson. Tout comme You’re not alone anymore. J’envoie un mail direct à Jean Claude Gaudin Skywalker pour qu’il le programme direct : Marseille capitale culturelle 2013, après tout. Plus sérieusement, je pense que l’humilité de ce mec devrait être une raison supplémentaire de découvrir sa musique. Ça non plus ça court pas les rues chez les zicos et en général, d’ailleurs.

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