Après Lille en 2004, la deuxième ville de France vient d'inaugurer l'année auréolée du titre de capitale européenne de la culture: tient-on là une occasion de prouver enfin qu'outre les roms virés de la porte d'Aix, les ripoux de la BAC et les règlements de compte, à Marseille peuchère oui, la vie peut être plus belle? Retour sur les nombreux paradoxes d'une ville à la mixité radieuse, aussi déglingos que fascinante.

Prologue: la ville dont vous êtes le (z)héro

« Puteuh borgne ! ils vont nous ratiboiser le Vieux-Poreuh tout entier ! » s’exclame Jeanine dans un parfait accent direct from Mazargues alors qu’elle descend du bus 83 et qu’elle découvre le plan de réaménagement du plus célèbre spot marseillais: une perspective affichée en 12×3 qui représente comme dans le monde des bisounours le nouveau Vieux-Port, ‘un des plus vastes espaces piétonniers d’Europe’. Ca, c’est un des projets phare de Marseille Provence 2013. Tout à côté, attablée devant mon pastis Janot et grignotant quelques panisses, j’écoute l' »Ecole du micro d’argent », le regard perdu au loin. Je jette un œil ému à la néo-byzantine Bonne Mère, je repense tendrement aux années glorieuses de l’OM de Tapie, la divine année 1993, le flamboyant Rudi Voller, le héros Boli. Je me dis que j’irais bien faire un tour au marché des artisans pour ramener un petit coupon de tissu provençal et en faire une nappe. Ce serait joli, alors pourquoi pas?
Si je suis un auteur sérieux et que je pose de vraies questions d’investigation, rendez-vous au chapitre 1. Et si je décide de vivre Marseille en cliché carte postale façon Vallon des beaufs, Jean-Claude Gaudin style, rendez-vous au chapitre 2.


Chapitre 1: 2013 enfin du pez

C’est à Marseille que j’ai vu pour la première fois ‘Voyage au bout de l’enfer’ en 1990. Analogie en forme de pirouette pour aborder cette ville vers laquelle on voyage mais ou trop rarement on s’installe; ce bout du monde qui est encore pour beaucoup de gens, un enfer. ‘Quoi tu vas à Marseille? Ça pue, c’est crade‘, ‘Marseille berk, ils ont un accent d’abrutis là-bas et y’a que des kékés habillés en Benzema‘ Le moins que l’on puisse dire, c’est que personne n’y est indifférent à cette ville. Et surtout pas le jury européen qui en 2008 attribua le titre de Capitale européenne de la culture à la ville de Marseille –à égalité avec Kosice, deuxième ville slovaque. Face à Toulouse, Lyon et Bordeaux, gageons que l’Europe a fait preuve d’un certain souci d’équité pour donner un petit coup de pouce à la ville la plus pauvre de France, métropole de 900 000 habitants sur un territoire deux fois et demi plus grand que Paris. A la clef, 1 milliard d’euros mobilisé au service de la culture sur un territoire plus vaste que la seule ville de Marseille [1]: villes, intercommunalité, département et région ont mis la main au porte-monnaie pour tantôt rénover des équipements culturels existants ou les réhabiliter, et tantôt comme à Marseille, carrément les créer. Car si le proverbe ‘c’est dur la culture‘ devait géographiquement prendre tout son sens, c’est bien dans la cité phocéenne où deux mandats de Jean-Claude Gaudin-Skywalker ont réussi à faire oublier à tous les habitants que sous les plages du Prado, la culture était pavée de bonnes intentions.

Selon le journal satirique Le Ravi [2], Bernard Latarjet, ancien directeur de MP2013 qui a officiellement quitté son poste pour ‘raison de fatigue’ aimait à répéter lors de la compétition qu’il ‘fallait nous sélectionner car nous étions les plus mauvais’. Dont acte: un Musée d’Art Contemporain en perdition coincé entre le rond-point du Prado et la fête foraine en mousse de l’Escale Borély; la Vieille-Charité qui regrette le temps glorieux des spectacles en plein air et dont la librairie se meurt, coincée entre un futur hôtel de luxe et la boutique Plus Belle la Vie, la Friche de la Belle de Mai qui crie famine malgré ses initiatives ambitieuses. Heureusement, la cité du fada est là pour alimenter nos sorties culturelles estivales, bien qu’un incendie ait failli dévaster le tout récemment (NDA: la SRPJ de Mazargues n’excluant pas la thèse du suicide). Et le Ravi [3] d’ajouter via Julien Blaine, adjoint à la culture sous le mandat Vigouroux: ‘Àpart le folklore provençal, la culture n’intéresse pas Gaudin, qui considère, à tort, qu’elle fait perdre des voix, contrairement aux sports ou à l’économie‘. Marseille, la droite au but…

Sur ce constat pas joli-joli(ette), penchons-nous sur la renaissance programmée de la culture dans la ville, de la ville dans la culture, autrement dit, encore une fois, tâchons de savoir comment culture et territoire sont intimement liés, comment l’un façonne l’autre et surtout, comment l’une (la culture) pourra sauver l’autre (la ville). Munissez-vous d’une carte et d’une boussole, direction N/ NE au chapitre 3.

Chapitre 2: Marseille, un Goudes aventure

Bon faut pas déconner, je ne suis pas venue à Marseille pour me taper les poubelles qui puent de la rue d’Aubagne et les travaux du Vieux-Port. Puteuh borgne! J’ai envie de soleil, de cigales, d’effluves de MonoÏ et de sardines grillées. Direction la plage de la Verrerie, j’irai m’en jeter un petit chez Dédé avant d’aller me tanker sur le sable. En arrivant, je trouve Dédé la Sardine au milieu des semis-ruines de sa paillote bétonnée: non conforme à la loi littorale. Fermeture définitive et avis de démolition. Adieu les pizzas de la Madrague de Montredon. Une institution. Une pierre du rayonnement marseillais. Mais sinon toi Dédé, t’en penses quoi de Marseille 2013 capitale européenne de la culture? ‘Puteuh borgneuh de la quoi??? Allez va donc, j’ai gras de trucs à faire’ Pas très accueillants ces autochtones, purée. Je reprends ma route, celle du 83 qui file tout droit vers un cul-de-sac, tout droit vers Callelongue via les Goudes. Au milieu du paysage de garrigues, au milieu de rien sauf d’un coté la mer, de l’autre les collines, on a du mal à croire qu’on est toujours en plein huitième arrondissement de la ville. Paradoxe d’un paradis citadin. Finalement quid de la culture quand on a la nature? Armée de ma..  euh enfin juste de mon couteau, je décide de m’attaquer aux calanques. Woman versus wild. Marseilleveyre, Sormiou, Morgiou, En Vau, vaches, cochons, attendez-moi. Rendez-vous au chapitre 4.

Si au contraire après plusieurs rosés-pamplemousse par 32 degrés je me dis que j’irais bien m’en jeter un petit dans le Panier histoire de voir à quoi ils ressemblent ces gros nases de Plus Belle la Vie, rendez-vous au chapitre 5.

Chapitre 3: Notre dame (des) limites

Marseille est passionnément géographique‘ a écrit Jean Viard, sociologue et chercheur à la DATAR [4]. Dotée d’un immense territoire tourné vers la mer, doté d’un nord qu’on a tendance à perdre en lisant la carte souvent dans le mauvais sens. Qui ne s’est jamais tenu sur le Vieux-Port, le regard au loin, en pensant qu’il pourrait apercevoir les côtes de l’Algérie? Et ben non. En partant en ligne droite, on arriverait peu ou prou à Béziers. Marseille ville de tous les suds est finalement tournée vers l’ouest. Et sa conquête depuis 2008, c’est de réhabiliter tout son territoire, tendre vers une cohésion, reconstituer le puzzle, rassembler tous ces villages qui jadis s’agrégèrent peu à peu, les rassembler autour d’une même identité culturelle. Que des confins du quinzième arrondissement, en passant par l’Estaque, la Timone, le Roucas Blanc et Castellane, tout un peuple se donne la main dans un unique et même élan de solidarité culturelle. Heum. Ouais.
Dans une conférence qu’il a donnée l’année dernière à Marseille intitulée ‘Marseille: un enjeu capitale’ [5] , le géographe Boris Grésillon revient sur les enjeux géographiques de 2013: ‘Le processus de gentrification, d’embourgeoisement induit par la culture qui a eu lieu dans les années 1980 à New York, Londres ou Paris, à Berlin dans les années 1990 est inéluctable. Les lieux culturels y participent. Mais il n’est pas universel pour autant. A Marseille, je pense qu’Euroméditerranée va plus gentrifier que les trois îlots de la Friche Belle de Mai car il s’agit d’une valorisation totale à la fois architecturale, économique, urbaine, sociale et culturelle. Avec la capitale culturelle, l’équipe Gaudin a un objectif plus ou moins affiché de changer Marseille et de virer les pauvres du centre-ville. Mais pour cela, il faut des gentrificateurs donc des gens qui ont un peu d’argent. Pour l’instant, ils ne sont pas encore là‘  Ouf…

Quartier de la Joliette, 42°N/ 5° Est, un des principaux spots du projet Euroméditerranée. Ici on peut dire que les vitrines de Noël au Printemps Haussman peuvent aller se rhabiller, niveau architecture on ne compte plus les stars du genre qui y ont posé leur petite pierre: un nouveau FRAC signé Kengo Kuma, une nouvelle tour en kapla de Zaha Hadid, une future tour Jean Nouvel… Et un peu plus loin, là-bas vers le quinzième, la tour B de la cité Bassens. Architecte? Père inconnu.
Et Boris Grésillon de continuer: « avec Euroméditerranée, on a un effet de façade où le bord de mer change et l’arrière-cour reste délaissée. Il y a le décor et son envers. La façade maritime est en chantier avec un évident effet de vitrine culturelle. En revanche, les coulisses ne sont pas reluisantes. L’effet de façade est perceptible d’un simple regard. Ces changements urbains en trompe-l’œil peuvent avoir des effets désastreux. On risque de casser le vivre ensemble, les liens inter-sociaux et interculturels qui sont déjà très fragiles. D’autre part, à force de courir après les labels, on finit par plaquer des schémas venus d’ailleurs. Or, Marseille est une ville qui résiste aux normes extérieures. A vouloir se raccrocher à toute force à ces labels, on en oublie de jouer sur ses propres qualités. Par exemple, on a l’impression que le cosmopolitisme de la ville n’apparaît nulle part dans les projets de 2013. Comme s’il y avait une invisibilité des initiatives. Si la capitale doit servir à quelque chose, c’est justement dans la mise en évidence des atouts invisibles de la ville. Ces atouts sont l’espace, les énergies créatrices souvent invisibles, le cosmopolitisme et la mentalité. Elle relève d’une nonchalance positive qui peut passer pour de l’indifférence, mais qui est prête à s’enflammer quand le moment est venu« .

Prêts à s’enflammer les marseillais? Pas si sûre. Ils en pensent quoi de MP2013, eux les premiers concernés? Avec cinq bons points de vie encore en ma possession, je fais un double-six et pars à la rencontre de l’autochtone. Rendez-vous au chapitre 6.

Chapitre 4: ta mère le château

Après deux heures de marche en Converse sur les caillasses de Montredon, je décide de faire une pause. Une Lucky Strike me fait de l’œil, je l’allume nonchalamment en pensant que la mer, mais qu’elle est belle, mais qu’elle est belle mais qu’elle est bleue, c’est dingue. Bien ravigotée par cette communion avec la nature, je tèj mon mégot et reprend ma rando. Malheureusement, mon Dieu bonneuh mèreuh, un incendie se déclare et m’accule – du coup j’avance ou je recule? – au bord de la falaise. J’ai le choix entre mourir immolée façon merguez provençale ou sauter en espérant des fonds cléments. Je jette les dés. Je fais un minable 3. Je saute donc, jette un dernier coup d’œil au château d’If. Si maman si, si maman tu voyais ma vie. Ma mort à Marseille. Fin de l’aventure. Game Over.

INTERMISSION Fin de l’épisode I (la suite la semaine prochaine)

Illustration pour Gonzaï : Styli Boc


[1] Marseille-Provence 2013 comprend  97 communes sur un territoire qui va d’Arles à Toulon.
[2]
http://www.leravi.org/spip.php?article1244
[3]
http://www.leravi.org/spip.php?article1244
[4]
Direction de l’aménagement du territoire
[5]
http://upr-marseille.com/un-enjeu-capitale-marseille-provence-2013/

8 commentaires

  1. Ouh la, comme c’est bien senti tout ça : papier documenté, analyse et point de vue à la marge de ce que nous servent les médias sur le sujet actuellement. Sans parler du style. Vivement la suite.

  2. Vous n’avez décidément rien compris à Marseille. Y’a que du vide dans cet article (à part lorsque vous citez Grésillon) et une condescendance parisianniste particulièrement détestable.

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