Une légende n’est jamais tout à fait exacte, ni tout à fait la même selon la personne qui vous la raconte. Blaze Foley en est clairement une, de légende : inconnu de son vivant, il gagnera ses galons après sa mort et son histoire souvent folle, floue et décousue est ici recollée au duct tape.
La légende de Blaze Foley commence dans les gospels de l’Arkansas, où il chantait avec sa famille, dans les années 60 de son enfance. A l’époque, il s’appelle encore Michael David Fuller. Le père ne vient pas souvent aux concerts, il préfère rester sur le porche et entretenir son alcoolisme, seul héritage qu’il laissera à son fils après s’être évaporé. Durant son adolescence, Michael n’a pas beaucoup d’amis, mais il gratte quelques accords sur sa guitare et commence à écrire des chansons, comme l’autobiographique Fat Boy.
Le voilà parti sur les routes américaines en dédiant sa vie à la musique. En 1975 son chemin le mène au Banning Mill, une communauté hippie où il peut enfin jouer ses chansons. Il rencontre ainsi Sybil Rosen, touchée par sa musique, qui deviendra sa muse pour quelques-unes des années suivantes et avec qui il emménagera dans une cabane en bois perchée dans les arbres. Les deux partiront ensuite pour Austin, Texas, où Blaze veut tenter sa chance, et se marient sur la route.
Pendant les deux ans de relation, le couple vagabonde entre Austin, Atlanta, la Georgie, et Chicago. Blaze a quelques surnoms, d’abord « Deputy Dawg », pour son large chapeau de feutre et sa démarche traînante. Puis il devient l’illustre « Duct Tape Messiah », par sa tendance à coller du duct tape (toile adhésive grise métallisée) sur le bout de ses chaussures, imitant ainsi les santiags de cowboy à pointes d’argent. Mais surtout, il utilise les précieux rouleaux pour rafistoler ce qui tombe en ruine, c’est-à-dire à peu près toutes ses affaires et tout son matos. Son mariage ne fait pas exception, Sybil est de plus en plus agacée par les vadrouilles incessantes de Blaze et son alcoolisme. Elle le quitte définitivement en 1980, lorsqu’il se présente ivre mort à un concert au Lone Star Cafe de New York, trébuchant sur scène avant de se faire botter le cul et mettre à la porte.
Pendant les années 80, Blaze vit principalement à Austin. Il dort dans une voiture donnée par un ami, sous des ponts, dans les bars, mais erre surtout de canapés en canapés. Il préfère de plus en plus la bouteille à la plume, mais refuse de travailler pour quoi que ce soit d’autre que ses chansons, refusant tout compromis. Toutefois, sa guitare fait de nombreux aller-retours au Mont-de-piété. Lorsqu’il n’a pas l’argent pour la récupérer, il joue avec celle de son ami et compagnon d’infortune Townes Van Zandt. Ils passent leurs journées ensemble à s’enfiler du jus de canneberge, de la vodka et des amphétamines. Le soir venu, ils se soutiennent mutuellement sur scène lorsque les excès les empêchent de tenir debout.
Membre n°1 de la porte close
Blaze est un éternel banni des salles en vogue, un abonné de la porte close pour les salles respectables. Il chante dans les boui-boui, pour ses amis, les ivrognes, les poètes ratés, les clochards et les marginaux. Il se fait aussi quelques ennemis, car son tempérament brut de décoffrage ne plaît pas à tout le monde. Si ses excès le font régulièrement passer d’un Dr Jekyll généreux et affectueux à un Mr Hyde sauvage, impulsif et imprévisible, il reste le même géant sensible et émotif, grande gueule, droit dans ses bottes même lorsqu’il ne tient plus debout, prêt à se battre pour défendre la veuve, l’orphelin, ses amis et ses idées.
Pendant cette période, il enregistre trois albums, mais seul sortira « Blaze Foley » en 1983. Si son titre If I Could Only Fly rencontre un petit succès chez les initiés, l’album est accueilli dans une indifférence quasi générale. Les quelques copies seront distribuées par Blaze à droite, à gauche, la plupart du temps à ses amis ou contre un verre. Les autres albums ont tout simplement disparu avant de sortir. A l’époque où Blaze vivait dans sa voiture, il conservait des bandes d’enregistrement dans un carton au fond de son coffre. Le jour où l’auto est cambriolée, elles disparaissent avec le reste de ses affaires. Les bandes de l’autre album ont été confisquées par la DEA lors d’une perquisition au studio, après que le producteur exécutif a été accusé de passer de la cocaïne depuis la Colombie. Parfois, la malchance frappe Blaze, parfois le sort s’acharne. Mais il excelle surtout dans l’art de l’auto-sabotage, à grand renfort de drogues et d’alcool, et ne s’inquiète pas vraiment de la disparition de ses albums. Ce sont pour lui des amusantes histoires à raconter.
Il enregistre son dernier album « Live at the Austin Outhouse » un mois avant sa mort. Entre les morceaux, on l’entend raconter une histoire, rire, roter ou apostropher un ami. Il demande à verser 20% des recettes au refuge pour sans-abris d’Austin, et en utilise une partie pour s’acheter des rouleaux de duct-tape multicolores. Tout artiste a ses priorités.
Dieu ne lui a pas donné le foie
Sa mort tragi-comique n’est pas sans une certaine noblesse et un immaculé panache. Comme le Caravage et Neal Cassady, Blaze Foley s’éteint sous les dernières étoiles de la nuit, dans la fraîcheur de l’aube. Après une nuit de beuverie et de bagarre, il se rend chez son ami Concho January. La suite est floue, mais Carey, le fils de Concho, tue Blaze d’une balle dans le foie (déjà bien abîmé). Les versions diffèrent, certains assurent que Blaze s’est écroulé dans l’herbe, d’autres qu’il a poursuivi l’assassin jusqu’au bout en se tenant les tripes. La raison de ce meurtre est elle-même discutée. Blaze accusait souvent Carey de voler à son père les chèques de l’assistance sociale et sa pension de vétéran, ce qui faisait l’objet de bagarres récurrentes. Carey sera acquitté pour légitime défense en reprochant exactement la même chose à sa défunte victime. Ce sera sa mort qui donnera enfin à Blaze un article dans la presse, dans la rubrique faits divers.
Les 20% de recettes n’iront finalement pas aux sans-abris; elles financeront les funérailles. L’enterrement est à l’image de la légende, la moitié des invités se perd sur le chemin du cimetière, et l’autre moitié enrobe le cercueil du duct tape si cher au défunt, après lui avoir scotché son chapeau sur la tête. Sur la pierre tombale sont gravées quelques paroles de Big Cheeseburgers and Good French Fries : « Think I’m crazy but that depends / I don’t seem that crazy to me ». Townes racontera que quelques jours plus tard, il déterra Blaze pour récupérer dans la poche de son costume le ticket du Mont-de-piété et ainsi récupérer la guitare de son ami sur laquelle il composera Marie. Selon certains de leurs amis communs, cette histoire tient peut-être plus de la fable que de la vérité. Comme tout ce qui touche à la légende Blaze Foley, en fait.
Certaines prises seront retrouvées au compte-gouttes au cours des années suivantes, au fond d’une voiture ou dans un studio. Ainsi sortiront les albums « Oval Room », « Wanted More Dead Than Alive », « Sittin’ By The Road » ou « Cold, Cold World », conférant à Blaze, après sa mort, la reconnaissance qu’il méritait de son vivant. On louera ses textes honnêtes, percutants, irrévérencieux et poétiques, qui empruntaient aussi bien aux idéaux hippies qu’à la mythologie de l’Amérique profonde. Clay Pigeons sera repris par John Prine, que Foley admirait. Townes chantera Blaze’s Blues à la mémoire de son ami. Sibyl Rosen racontera sa version de la légende dans Living in the Woods in a Tree. Ethan Hawke portera sur écran la vie du poète en 2019 dans Blaze. Ainsi, des années après sa mort, Blaze sera enfin reconnu pour tout ce qui comptait pour lui, sa vie extravagante, bien sûr, mais par dessus tout : sa musique. La consécration pour celui qui, pendant plusieurs années, garda roulée dans sa botte une coupure de journal déchirée; l’une des rares critiques positives et sincères reçues de son vivant.
2 commentaires
Bonjour
Je viens d’écouter le délicieux Billy Srings at Oak cementary Travis county qui assis à côté de la tombe de Blaze Foley, reprend quelques unes de ses chansons
Et puis je lis votre bio, que je trouve très bien écrite et fort intéressante
Merci donc
Béatrice