« T’as des albums Live chez toi ? Ahahah, t’es vraiment un naze » me susurra gentiment un ami légèrement aviné l’autre soir au creux de l’oreille. Impossible de lui donner tort. A vrai dire, je ne me souvenais plus de la dernière fois où j’avais posé un album live sur ma platine. Ces concerts figés pour l’éternité, le bruit du public dans mon salon, la foule dans mon intérieur douillet, j’avais l’impression de les avoir toujours détesté. Pourtant, comme toi sûrement, j’ai des Live dans ma discothèque. Pas mal, même. Pourquoi ? Comment ? Est-ce la guitare qui me démange au point de supporter le public siffler et taper dans ses mains à contretemps ? Le concert enregistré a-t-il encore sa raison d’être ou doit-on purement et simplement bannir les albums « LIVE » de nos discothèques individuelles?
Pour être honnête et après longue réflexion, je me souviens parfaitement du dernier live acheté : LCD Soundsystem pour le Record Store Day. Le dernier concert du groupe au Madison Square Garden. 90 euros, et voilà le monolithe 5 vinyles posé par terre, prenant son ticket dans la queue des disques à écouter. Quelques mois après, encore sous blister, il s’est fait dépasser par d’autres disques achetés bien plus tard. Pourtant j’adore LCD, mais il faut croire que la perspective de me fader un live ne m’excite plus suffisamment pour fébrilement déchirer le fin plastique qui embaume encore ce coffret vinyle.
Le live et moi, c’était une vieille histoire. Il y eut pendant plus de deux ans ce Under a blood red sky de qui vous savez qui illumina chaque jour mes aller-retour au lycée. Découvert des années après sa sortie, le caractère héroïque de l’affaire me semblait alors correspondre à merveille au calme plat de mon existence morne et répétitive d’adolescent en construction. D’autres exemples ? Le triple album live de Bruce Springsteen et de son E Street Band. Ou encore celui de Paco Ibanez à l’Olympia. Autant de traumas de jeunesse qui me conduisent à émettre la proposition suivante : Et si les artistes, groupes, chanteurs cessaient de nous polluer les oreilles avec des albums Live qui n’intéressent plus personne?
Comment en étais-je arrivé là ? Tout avait commencé par une phrase de Bertrand Burgalat au cours d’un interview il y a quelques mois : « J’ai déjà du mal à aller à mes propres concerts, alors aller aux concerts des autres…». L’idée même du concert semblait à mots couverts remise en cause. Et si une nouvelle fois, bien que son dernier LP soit…un live, Burgalat avait tout compris ? Et si, et si, en poussant le raisonnement à l’extrême, on abandonnait l’idée même de faire des concerts et surtout celle de « musique vivante » enregistrée?
2014 : Faire des concerts passe encore, même si…
Soyons honnêtes, les musiciens ne supportent plus tous ces gugusses qui tiennent leur téléphone portable à bouts de bras pour filmer des vidéos qu’ils visionneront uniquement le jour où ils voudront les supprimer d’un smartphone saturé jusqu’à la gueule. Histoire de s’assurer bien sûr a posteriori qu’elles sont totalement dénuées du moindre intérêt. Les moyens justifiant désormais la fin, porter son smartphone dernier cri à bout de phalanges puis valoriser instantanément sa présence à un concert hype sur un réseau social ou sur Youtube est finalement devenu plus important que le concert. Quand je pense que ces personnes sont parfois celles qui critiquent les touristes nippons dissimulés H24 derrière leurs Ipad, je me gausse (note pour plus tard : me filmer au prochain concert Ed Banger et en faire un statut Facebook).
Test – Examiner avec attention un public lors d’un concert : regards vitreux, écrans allumés qu’on consulte régulièrement, mollesse du jeu de jambes et absence de stage-diving (ok, lors d’un concert de Bonnie Prince Billy, faut réussir à le placer, le stage bidule). Voilà un public rarement transporté (concerné ?) par le spectacle offert. Le smartphone, ou la manière ultime de tromper son ennui en concert. Et d’emmerder des musiciens qui n’en demandaient pas tant.
D’ailleurs, un musicien te l’avouera rarement, mais jouer plusieurs dizaines de fois la même setlist en concert relève d’une forme à peine aménagée du travail à la chaîne. Pour Joseph Mount, leader de Metronomy, jouer cinq soirs de suite dans cinq pays différents d’Amérique du sud relevait quasiment de l’ « aliénation mentale ». Bilan : les musiciens fatiguent, le public s’emmerde. Mais alors pourquoi fait-on encore des concerts ? Pour s’entraîner, améliorer son jeu, peaufiner sa technique ? Il y a les caves de banlieue pour ça. Non, il faut en faire pour gagner sa croûte et répondre à la demande. Qui existe.
2014 : Aller voir des concerts passe encore, même si…
Bières éventées, odeurs corporelles douteuses, sonos parfois médiocres (Zénith de Paris, je t’aime) ou pas assez puissantes (Cité de la Musique, je t’aime aussi), risque d’acouphène (Merci Iggy Pop ou les White Stripes, pour ne citer que deux blockbusters destructeurs de cérumen), les sources de satisfaction sont multiples lors d’un concert. Inutile de se faire mal en évoquant l’hébergement en camping lors d’un festival. Bien sûr, cela fait partie du truc mais se baigner dans de l’urine collective au bout de 48 heures ne fait pas vraiment rêver. A moins d’être un soupeur.
Ajoutez à ces premiers ingrédients une réglementation tragi-comique et vous comprendrez que je jouisse rarement par les oreilles : se faire sortir d’une salle 5 à 10 minutes après la fin du concert par des videurs qui feraient passer Jean-Marc Mormeck pour Sim n’est pas follement bandant. Dans ces instants de plaisir pur, je regrette de ne pas croiser des sondeurs de chez BVA venus collecter quelques données chiffrées sur la qualité de l’accueil et le respect de la charte Iso 9001 Qualiconcert. Que le premier troll qui m’informe que cette charte n’a jamais existé soit condamné à écouter en boucle l’intégrale de Michel Sardou jusqu’à ce que mort s’en suive. Cette expulsion de salle en mode « au revoir les vaches à lait » fait réfléchir sur la considération d’un public parfois masochiste. Point.
Qui, en 2014, se tape encore à domicile des « Live » enregistrés ?
Malgré une réflexion de courte durée due à son éviction sans ménagement de la salle où il ne demandait qu’à consommer encore un ou deux demis, l’amateur retourne quand même aux concerts puisque la musique, tu comprends, c’est sa grande passion. En quittant le lieu saint, il passe souvent par le stand merchandising. Normal, en quête permanente de T-shirts Fruit of the Loom à 25 boules conçus pour tester la résistance de sa peau aux attaques textiles extérieures, il aime se faire mal. Dans la rue, son demi aux trois-quarts vide à la main, il explique à la cantonade qu’il est un peu déçu par les concerts, que de nombreux groupes reproduisent quasiment à la note ou aux arrangements près ce qu’on entend sur le disque, que c’est la chienlit avant l’heure. Plus-value zéro. Et compte bancaire à moins 30 boules (5 euros le demi en plus du T-shirt pourri, pour celles et ceux qui auraient décroché), sans même parler du prix du billet.
Le prix des billets de concert ? Par principe, j’ai décidé de ne pas l’évoquer dans ce papier.
Pour la simple raison que je n’ai pas du tout enquêté sur le sujet, et que tout ce que je pourrais écrire là-dessus ne serait pas objectif. Juste un putain de ressenti. Et puis après tout, personne ne te met un flingue sur la tempe pour aller composer ton numéro de compte bancaire sur les sites de vente en ligne, et tu es majeur. Ou presque. Petite remarque tout de même : quand je vais au cinéma, peu importe que j’aille voir un blockbuster qui a coûté des milliards ou un film français fait de bric et de broc façon Rohmer des débuts, je paye le même tarif.
En concert, ce n’est quasiment jamais le cas. Dans une même salle pour des artistes différents, les tarifs évoluent du simple au double, voire plus. Normal me direz-vous, le coût du billet doit probablement tenir compte du nombre de techniciens à rémunérer, du light-show, du fait que les membres du groupes sont plus ou moins nombreux, de la notoriété de l’affaire, du tarif de location de la salle de concert qui semble vu de l’extérieur aussi lisible que ceux de la SNCF… Un tas de critères mystérieux qui échappent totalement au commun des mortels (dont la marge nette de l’artiste, qui ne doit pas être infime quand je douille 80 euros pour aller écouter Elvis Costello sur un strapontin à l’Olympia,) et qui justifient complètement ces tarifs modulables. M’enfin, quand même…Pour voir Bonnie Prince Billy seul avec sa gratte au Trianon, certains ont dû vendre un rein pour acheter leur sésame. Et j’exagère à peine. Ok, on avait dit qu’on ne parlerait pas tarifs et sujets qui fâchent mais c’est un élément important du live : quand tu lâches 30, 50 ou 100 euros pour voir un de tes artistes préférés, tu es à fond de cinquième dès le début du concert. Inconsciemment, tu souhaites rentabiliser ton investissement. Alors, tu hurles, tu beugles, tu piailles…et tu finis par me pourrir mon concert. Mon live à moi. Celui dont je ne veux plus.
2014 : Enregistrer des concerts passent encore, même si…
Enregistrer un concert, c’est un peu comme filmer une pièce de théâtre, cela ne fonctionne pas forcément. Evidemment, l’enregistrement peut avoir d’autres vocations, disons plus…commerciales. Citons par exemple Pearl Jam qui enregistrait dans les 90’s chaque concert de sa tournée, et le mettait en vente pour le public dans les 30 minutes qui suivaient le concert. Une démarche qui sera quelques années plus tard copiée par les Pixies. Finalement un peu le même concept que le photographe des bateaux mouches qui te vend une photo de ta trogne à peine sorti de la balade sur Seine. Rien de bien dément, la promenade ou le concert devant se suffire à eux mêmes.
Un mystère demeure cependant : les pochettes des albums live. Au mieux anodines, au pire complètement ratées. Bien sûr, ça et là, on trouve quelques exceptions à opposer (« Kick out the jams » du MC5 ou « Live at Leeds » des Who, pour ne citer que les plus connues). Mais globalement : des ratages. Et ces titres : « Live 84 », « Live at Pompéii », « Live at Saint-Herblain »…J’exagère à peine. Combien de « Live at the Budokan » ou de « Live at the Fillmore » ? La simple vue de cette mention m’excite autant que la perspective d’un porno avec Anne Roumanoff et Georges Beller. Blur ou Cheap Trick, le constat est implacable : le groupe se dissout dans l’étiquette « Live ».
Un concert passe encore, mais le multiplier à l’infini via l’enregistrement peut être considéré comme une forme d’aveu de faiblesse, de créativité en berne. Un peu comme l’album de reprises façon Bryan Ferry, voire le best-of perpétuel à la Morrissey. Les artistes eux-mêmes semblent bien l’avoir compris, puisque les albums Live sont de plus en plus rares. Etonnant non, alors que les moyens d’enregistrement d’un concert sont désormais beaucoup plus allégés que la nécessaire cohorte de camions dix tonnes des 70’s ? Et quand ils le font, la tendance est au pschiiit. Lorsque Daft Punk joue en concert à Bercy, la planète tremble dans l’édifice sous la danse continue des 15 000 personnes du public. Quand « Alive » sort, la magie n’est plus. Alors à quoi bon. Pour ma part, je serais bien en peine de citer un fantastique album live postérieur à 2000 (je laisse les commentateurs avisés s’en charger dans les commentaires, ils en trouveront probablement pléthore qui écraseront au hasard « Live at Leeds » des Who, ou « The Last Waltz » du Band).
En fait, si l’album live disparaît peu à peu, c’est avant tout parce qu’une horreur sans nom s’est développée depuis quelques années : le DVD Live. Le son ne suffisant pas (normal, hein, puisque c’est un live donc rempli de pains et d’erreurs de confection), ajoutons-y l’image histoire de consommer de la pop culture comme on regarde Motus : un thé Darjeeling à la main, les charentaises aux pieds. Le son et l’image, et voilà le mélomane fortuné en position de revivre ce partage collectif à l’infini, par un simple clic sur le bouton Play. Ajouter l’image au son lorsqu’il s’agit de musique écoutée chez soi, c’est pourtant l’équivalent des lunettes 3D ou des tarifs première classe au cinéma : une connerie de l’inutile.
Un concert devrait rester cantonné aux salles dédiées, ne pas être enregistré si ce n’est à l’attention des musiciens comme document de travail ou d’amélioration de tel ou tel point, et surtout, surtout, ne jamais finir sur une platine de salon. Qui, en 2014, se tape encore à domicile des « Live » enregistrés ?
Mais écouter des concerts dans sa maisonnette, là, je dis non.
Un format qui tend à disparaître puisque tout atterri désormais sur Youtube en qualité HD (haute dégradation) en moins de temps qu’il n’en faut au Ministère de l’Intérieur pour annoncer une alerte enlèvement. Dans les années 80, tu courrais les foires (on n’avait pas encore inventé le vide-grenier, concept décalé destiné à te faire comprendre qu’il est grand temps que tu te débarrasses fissa de ces rollers trop petits, de ces puzzles déprimants ou de fringues importables jamais assumées en public, bref, de toutes ces merdes que d’autres seront ravies de dénicher pour une poignée d’euros…jusqu’au moment où ils franchiront la porte de leurs appartement déjà surchargés d’objets ridicules et sous-utilisés) pour choper sur un tréteau bancal les cassettes pirates et illégal d’un concert de Cure à Fréjus, Orange, Manchester, Londres, etc….
The Forest était ainsi disponible à l’infini, et le fan monomaniaque pouvait a dessein s’amuser à chronométrer les différentes versions de ce titre ou d’un autre. Telle intonation d’un spectateur, telle phrase de Robert Smith devenait après plusieurs dizaines d’écoutes un élément du morceau, et revenir vers la version studio du titre en question devenait rapidement déstabilisant. Une impression qu’on ressent parfois avec les fameuses « Alternate takes » dont sont remplies les rééditions depuis quelques temps. Comme si l’album ne se suffisait pas à lui-même et qu’on avait besoin d’aller faire les poubelles pour prendre son pied…
Les cassettes pirates, c’était le parfum de l’interdit, du stupre. Tué dans l’œuf par YouTube et autre Dailymotion. A tel point qu’il arrive que des vidéos d’un concert soient disponibles sur le net avant même la fin de l’affaire. La mythologie du concert ? Tuée dans l’œuf elle aussi. Mazette, ça ne rigole pas en cette fin d’été chez Gonzaï. Je vous l’accorde mais soyons sérieux, il y a fort à parier que les 50.000 pelés toujours prompts à s’extasier sur le concert des Pistols auxquels ils ont assisté en 1977 la joueraient tête basse si les smartphones avaient existé à ce moment là. D’abord parce qu’à cause de ses satanés engins, l’ambiance du concert en aurait pris, du plomb dans l’aile. Mais aussi et surtout parce que c’est avant tout la légende qui sublime un concert (qu’on y ait assisté ou pas) et le fait qu’il soit dans notre mémoire collective sans qu’on y ait jamais assisté. Ce qui compte, c’est avant tout que peu, voire pas d’images, soient accessibles au commun des mortels, sans quoi le truc perd de sa magie.
Et si nous faisions la grève du live, rentrions dans nos pénates, pour que cessent ces enregistrements d’une intimité parfois folle entre un groupe et son public du soir. Et ce ne sont pas deux ou trois exceptions notables dégotées sur Wikipedia qui me feront changer d’avis : « Kick out the jams » de MC5 (parce qu’il ne contient des inédits), « Live undead« De Slayer (enregistré devant 12 personnes) ou « At folsom prison » de Johnny Cash (enregistré à la prison du même nom). Sans oublier « Under A Blood Red Sky » de U2. Pour de mauvaises raisons. Mais les seules qui comptent au final : les écarts de jeunesse. Je vous laisse, je dois aller faire un tour sur Digitick.
4 commentaires
CQFD.
Néanmoins, deux réussites cette année :
The Oscillation – Cable Street Sessions
ET
Spacemen 3 – Live At The New Morning, Geneva, Switzerland, 18.05.1989
http://lesecumeurs.tumblr.com/
Ce live des Dead 60s sonne bien mieux que l’album:
https://m.youtube.com/watch?v=HklMtg8RLEI