Blutch et son frère Robber, quelque part à Strasbourg dans les années 70-80, ont forgé leur culture ciné/télé, comme des millions d’autres, comme moi, en se disputant la meilleure place du canapé. Le cinéma du dimanche soir nous suspendaient avec Belmondo aux patins des hélicoptères, et nous nous rattrapions aux vergues des trois mats pirates de La dernière séance. Aujourd’hui sort Mais où est Kiki ?, album d’époque aux parfums disparus, mélange des gauloises sans filtre et de l’après rasage Aqua Velva de nos pères.
A rebours des courants, Blutch et Robber, reprennent Tif et Tondu, pour cet album unique Mais où est Kiki ?. Tif et Tondu est une série sans auteur attitré, qui existe depuis les tous débuts du journal de Spirou, avant-guerre. Parmi les auteurs, citons les plus célèbres : Maurice Tillieux au scénario, le George Simenon de la BD belge, et Will au dessin, apprenti de Jijé avec Morris et Franquin. Tif et Tondu n’est pas un Grand Classique et n’a rien de culte, ni de maudit. C’est un travail très honnête, qui remplit parfaitement le cahier des charges de la BD enfantine des époques traversées.
Blutch et Robber reprennent le dossier sans autre ambition que d’en faire le 46ème album de la série. C’est une réussite parfaitement originale dans le sens ou plutôt qu’un hommage à la série d’origine, c’est un film français des années 85-86, transposé en BD, avec l’authenticité et l’intimité d’une autobiographie. Il faut avoir vécu l’époque pour la restituer aussi bien, et il faut l’avoir vécue pour en apprécier l’ambiance. Les deux frangins se racontent, et se mettent en scène à travers Tif et Tondu.
Gonzaï : Blutch, je cite ton interview dans Télérama : « Je me suis beaucoup référé à Lino Ventura, surtout pour Tondu ! Je l’ai habillé pareil, la cravate tricotée à bout carré, le costard tabac, la chemise bleue, l’uniforme qu’il portait dans tous les films à l’époque ». J’ai effectivement VU Lino Ventura. On sent sa présence même si le personnage est différent. Il y a donc des références très visibles (Pierre Bellemare que l’on reconnait en Oleg Golikov) et d’autre plus discrètes, comme celle à Lino. Le même Oleg Golikov sur scène a la même posture que le directeur du Music-Hall Palace dans les 7 boules de cristal. Je pense que tu as dû glisser d’autres signes tellement discrets qu’on ne les perçoit qu’inconsciemment. As-tu un ou deux exemples ?
Blutch : Le rôle de Ronigo, le petit malfrat, est tenu par Nick Cravat, acrobate, partenaire de cirque de Burt Lancaster. Son compagnon de jeunesse. Cravat apparait, bondissant et muet, dans « Le corsaire rouge », « La flèche et le flambeau » et plus tard dans « Le flic se rebiffe ». Il y a d’autres personnages qui ne sont pas véritablement des caricatures de personnes existantes, mais plutôt des évocations : Schwartz, le jeune inspecteur, c’est moi à 20 ans… Le camionneur qui klaxonne Gisèle, c’est mon frangin… le clochard que Tif interroge, c’est Walter Matthau. […] Bien sûr qu’il y a quelque chose de notre relation dans Tif et Tondu. Nous sommes tour à tour, et l’un et l’autre… Les rôles ne sont pas clairement distribués.
Gonzaï : L’album est aussi une belle collection de trognes. Il y a une floppée de seconds rôles, tous très typés, comme la belle suite des indics de Tif. Dans le cinéma français d’avant, on trouvait des Robert Dalban et Daniel Ceccaldi à la pelle. Est-ce que ces seconds rôles dans l’album sont un clin d’œil à ce cinéma ou à Maurice Tillieux qui avait aussi le talent de leur donner une vraie personnalité ?
Blutch : Dans les films ou romans noirs, les seconds rôles occupent une place essentielle, j’allais dire centrale. Cette galerie de personnages donne tout son sel à ce type de récit.
Gonzaï : Qui est le Dr Tousse ? Un visage pareil ne peut pas être inventé.
Blutch : J’ai trouvé le docteur Tousse dans un numéro de Paris Match de 1980. Une petite photo. Je ne sais plus de qui il s’agit. Je cherchais une tête de toubib juste. Pas une image stéréotypée de BD. Ce dont je suis sûr, c’est que le personnage dont je me suis inspiré, n’est pas médecin.
Gonzaï : Qui est Gisèle la fille de l’antiquaire ? On dirait du Jijé.
Blutch : Gisèle est à l’image des filles qui nous troublaient en 1985… ou du moins, telles que je m’en souviens.
Mais ou est Kiki ?, par Blutch et Robber, aux Editions Dupuis.
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la verite si je mens!