Des touristes des quatre horizons aux plus fervents chrétiens pas loin de chez toi, la Basilique du Sacré-Coeur reste, après Notre-Dame, le monument le plus visité de Paris. Au delà de la beauté que renferme ses vitraux et de son fabuleux belvédère, s'y déroule l'Adoration Eucharistique. Particularité : ininterrompue, depuis 127 ans. De jour comme de nuit, les adorateurs se passent la main - les mains. Qu'il pleuve, qu'il vante, qu'il fasse la crise, la guerre, que la nuit soit blanche ou illuminée.

Montmartre, le Mont des Martyrs, la colline, la pente, l’endroit même où, au IIIème siècle, les premiers chrétiens se retrouvent mis à mort. Campagne de la capitale (Paris plus miniature qu’aujourd’hui), de grandes abbayes s’érigent, fracassées ensuite sous les coups de la Révolution Française. Une église survit au massacre : St Pierre de Montmartre. Sauvée, de grâce, par l’insistance des croyants. 1870, la France prend un coup dans le moral, elle perd la guerre contre l’Allemagne. Quelques laïcs tiennent le coup : d’accord, c’est la crise, mais à nous de garder Foi, courage, espérance, confiance – cette dernière fera l’objet d’un vœu, à inscrire dans la pierre.
En novembre, une décision s’empare de la volonté des chrétiens, celle de mettre en œuvre un monument marquant justement la confiance éprouvée dans le Christ. Où ? Au Sacré-Cœur – le centre même de Jésus, son cœur, le Tout Amour. Reste plus qu’à trouver l’endroit. A la place de l’Opéra Garnier ? Pourquoi pas. Puis non, changement de perspective ; un certain archevêque voit plus loin et à la fois plus près de Nous, surtout plus haut, au cœur symbolique de la capitale qui le verra de n’importe où. Et, inversement, juché sur la colline, l’homme, dans un même mouvement d’étreinte, se pose en omniscient. « Quand je célèbre la messe, à la fin, on ouvre les grandes portes de bronze, le corps du Christ est tourné vers la grande ville, il répand son Amour sur tout Paris. » exprime Le Père Laverton, recteur du Sacré-Coeur depuis maintenant quatre ans. Ce qui animait l’imaginaire des chrétiens peut alors prendre vie puis, espérons, prendre forme : « feu vert » de l’Assemblée, c’est parti pour que les fidèles réunissent tous les fonds. L’espoir fait donc vivre : il aura fallu attendre 40 ans pour que Abadie (désigné parmi 70 autres architectes) puisse entamer la construction. Fin du XIXe siècle/début du XXe, des tensions éclatent entre l’église et l’état, jusqu’à leur séparation définitive. Certains n’y croient plus, arrêtons le chantier, résignation, à quoi bon. Rien n’y fait. Résistance ultime. 1914, La Basilique est achevée, 1919, consacrée. Enfin.

Bien avant, en 1885, l’Adoration du Saint-Sacrement se voit déjà instituée, dans des sortes de petites maisons en bois, des chapelets provisoires. Avec ce rituel unique, exceptionnel : la prière des adorateurs sera ininterrompue. Même pendant la deuxième guerre, alors que, lâchées autour de la Basilique, des bombes font sauter tous les vitraux. Et les adorateurs de poursuivre. « Dans la journée, ils se placent dans le centre de la Basilique, dans la nef, et ils prient. Pour la nuit, il faut s’inscrire au moins 24h à l’avance. Indiquer l’heure à laquelle vous souhaiter commencer la prière et combien de temps vous comptez rester. 10 ou 20 minutes comme 3 heures, selon votre choix.»
Lors du dernier repas, le Christ, dans sa prémonition, institue l’eucharistie : Ceci est Mon Corps, ceci est Mon Sang. Il n’y est pas question de symbole, d’allégorie, de métonymie, ou de métaphore. Ni d’un extrait de sa chair ou de ses larmes sur la croix de bois (par ailleurs, il y a un très bon vin Napolitain qui s’appelle « Lacryma Cristi »), non, Ceci est littéralement Son Corps, Son Sang, « la présence réelle et substantielle du Christ » selon les termes exacts de l’église. Sa Présence Physique. Les chrétiens réalisent alors que la prière peut avoir lieu à n’importe quel endroit qui soit, désert ou montagne, pourquoi pas, ou aujourd’hui, dans le métro ou dans une salle de concert. Son âme à proximité. Jusqu’à cette idée qui consiste à prier auprès du corps du Christ. Conservé dans le tabernacle et sorti au moment de l’adoration, durant l’eucharistie, les croyants viennent lui parler, viennent faire silence.  Dont acte : « Dans ce corps et ce sang, c’est tout l’acte d’Amour et d’offrande, on regarde celui qui s’est donné totalement dans l’Amour jusqu’au bout, alors qu’on lui fait subir la Passion. Pour nous, les hommes, c’est difficile, on aime les autres comme on aimerait qu’ils soient… Et quelle est la réponse à l’Amour ? C’est l’Amour. On lui livre notre cœur, tout ce qui nous habite, nos soucis, nos joies, on lui confie notre famille, nos intentions, nous-mêmes, les intentions de l’église, les intentions du monde… Les adorateurs viennent aussi pour ceux qui ne prient pas, pour ceux qui ne sont pas croyants, qui ont oublié de prier, qui n’ont pas le temps… »

Le temps. La résistance. 127 ans, sans interruption (pardon pour les saintes paroles ad lib mais il faut admettre que ce « défi » relevé impressionne), on s’interroge sur la « solution de recours ».

S’il en manque, des adorateurs ? Bien sûr que, en plein carême ou en temps de liturgie on ne s’inquiète pas de la vitalité de la Basilique. Évidemment que, vu le nombre de célébrations, le foisonnement de touristes et autres rassemblement de scouts, les demandes doivent s’amonceler. Mais le reste du temps – en période de suractivité ou au contraire de breaks estivaux, qu’en sais-je ! – qui ferait office de figures de remplacement, de fidèles prêts à prendre la main, à la tendre ?  « Cette situation se révèle extrêmement rare. Mais si ça arrive, des personnes sont prêtes à venir… » Temps d’hésitation, finalement aussi laconique et tranché qu’une sentence péremptoire, le prêtre souligne, surligne « mais c’est rare », ponctué d’un sourire assuré. « Des personnes prêtes à venir », comprendre les responsables du bon déroulement de l’église. Et, en effet, il y en a : pas moins de dix prêtres, seize religieuses, une cinquantaine de membres du personnel, bénévoles inclus. Ceux-là même qui se chargeront de guider les adorateurs, à travers leur spiritualité et leurs mouvements : « Les portes se referment après la messe (jusqu’à 22h), mais tout un circuit intérieur reste ouvert entre la Basilique et les chambres. Les personnes se relèvent, accomplissent leur temps de prière, se recouchent. Réouverture à 6h, certains partent pour se rendre au travail, d’autres restent et peuvent prendre un petit déjeuner à la maison d’accueil. Tout en reprenant le cours de leur vie par la suite. »

Le Père Laverton, en tant que vicaire épiscopal du catéchuménat de Paris parallèlement à sa fonction de prêtre, se charge également des adultes souhaitant le baptême. Moyenne d’âge déclarée… 27 ans, chiffre fatidique pour la superstition rock’n’roll nécrologique. Et ils semblent nombreux, selon lui, à entreprendre ce chemin, qui renvoient pour beaucoup à une forme un peu désuète – voire totalement anachronique – d’évoluer dans une société, avec lois mais sans (grande) Foi. Et une liberté totale de geste ; ni nouveau-né qui n’a plus le temps devant lui pour choisir, ni sénior qui n’a plus le temps devant lui tout court. On comprend mieux alors pourquoi le Père Laverton ne se fait pas trop de bile concernant la passation de mains : « Certaines nuits, toute une famille vient, parents, grands parents, petits enfants, cousins, cousines… Dans ce cas, ils prennent toute la nuit d’adoration à eux tout seul. Des paroisses entières aussi ou des diocèses, avec l’évêque, qui vient de Nîmes, d’Agen, de Lille…Et sans compter les étrangers. Une diversité incroyable. » Le relai n’en fini donc pas d’être continu. Le relai continue d’être infini : Le Sacré-Coeur peut dormir en paix, les chrétiens se relèvent toujours pour être plus près de Toi, mon Dieu.

Photos: François Grivelet 
http://www.sacre-coeur-montmartre.com/fr/na.html

6 commentaires

  1. Well, ne faudrait-il pas rétablir un peu la vérité en rappelant que la chose qui trône sur la colline a été élevée pour remercier les cieux d’avoir permis la répression de la commune de Paris ? Le dandysme de droite trouve toujours ses limites.

  2. Marrant, le Sacré-Coeur rythme mes journées par sa simple apparition avant d’arriver ou de quitter la gare du nord. Merci pour l’article. Amen.

  3. « – Un homme civilisé, un chrétien, dit Anita Bengenström, se laisserait mourir plutôt que de manger de la chair humaine.
    – Ah ! Ah ! s’esclaffa le comte de Foxà, pas un catholique, pas un catholique : les catholiques aiment la chair humaine. »
    Dans Kaputt de Malaparte.

    Ca me rappelle un peu l’histoire de la plus grande paella du monde, c’est du même ordre de performance. Je n’arrive même pas à imaginer que l’on puisse envisager une continuité absolu et indéfectible dans la prière, plus d’un sous les assauts de Satan a dû se découvrir réciter sa liste de courses plutôt que son Pater Noster.

  4. @ ehbin @Aldo

    Dandysme de droite ! fort !!!!!
    la meilleure blague depuis celle de Bigard (c’est la fessegauche qui dit à la fesse droite : « tu trouves pas que ça put dans le couloir »)
    On confond tout !

    Bref ! (c’est à la mode), le dandysme de gauche vient nous donner des leçons sur la commune alors que vous êtes untermensche ! En effet, 10 ans après la commune, le petit peuple de Paris, a massivement voté pour le Général Boulanger
    Donneur de leçon de mes couilles (l’autre blague de Bigard qui m’avait fait marrer. Comme dirait Chirac çà men touche une sans faire bouger l’autre. Allez à la Bruce Wilis, comme une boule de fipper, une chanson sur le testicule de dauphin.
    Le papier, lis le tu verras… que t’as rien compris…

    Je tape vite, je t’aime mais je tencule.
    Je te donne RDV le 22 avril 2012, je te paye ta pinte, toit et moi rigolerons, s’embronserons en pensant que tu n’as rien compris

    Merde voila les 3 grammes !

    Bises, Aldo, un ami de l’Euromillion et de tonton

  5. @manu moine

    Citer deux fois Bigard en quinze lignes, vise le niveau de la réaction.
    Je n’ai rien compris à cet article sinon que le papier qui prétend dire l’histoire ne la dit pas toute. Boulanger et la suite est hs, on peut dire la meme chose de mai 68 et du retour de De Gaulle, eh quoi ? Rien. La contre insurrection n’efface pas l’insurrection, c’est juste son contrecoup logique.

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