Se faire appeler Ricky Hollywood lorsqu’on se prénomme en vrai Stéphane Bellity, c’est déjà la preuve d’une ambition qui dépasse de loin les frontières de l’espace Schengen. Rajoutez à cela un curriculum vitae éloquent (Poster Moderne, La Féline) et vous obtiendrez ce garçon moderne perdu dans la masse. Les présentations étant faites, ouvrons le mode d’emploi de cette boîte à rythme si singulière.

À regarder les musiciens contemporains s’escrimer sur leurs petits ordinateurs, on est souvent en droit de se demander si les disques durs n’ont pas remplacé les disques d’or et si les électroniciens éclairés ne sont pas davantage à la recherche d’une clef à molette que d’une clef de sol. C’est parfois comique. Parfois risible de voir à quel point la génération du home studio a pu engendrer des empotés incapables de donner aux machines un semblant d’émotion, maintenant que ces mêmes bidouilleurs en savent mille fois plus sur les circuits imprimés que leurs aînés qui, on le rappelle, sont malgré tout parvenus à composer des standards comme « The Man-Machine » sans machin ni machine pour les aider à dérouler la bobine à partition. À force de transpirer devant leurs écrans plats, certains doivent même finir par sérieusement penser qu’AZERTY équivaut à la gamme contemporaine. On va arrêter là avec la prise du pouvoir mélodique par les GEN Y ; je ne suis même pas sûr que Pedro Winter sache écrire correctement son nom. Je sais, c’est méchant et c’est gratuit. Mais faire la cour aux pantins, c’est aussi vain que de vouloir baisouiller une poupée gonflable.

On arrive tout naturellement au cas Ricky Hollywood. Un trentenaire au teint blafard, légèrement dépressif, dont les premières chansons sont parfois vieilles de dix ans et, sous des noms aussi stupides que Je me sens mou ou Je t’éclate la gueule, cachent en vérité de vraies pépites écrites à l’arrachée. En dépit de toutes ces chansons écrites avec une ferveur romantique telle qu’on l’imaginait au début des années 80, lorsque les synthés Casio commencèrent à se démocratiser à Los Angeles, Ricky n’a pas la belle vie qu’on imagine. Un premier album disponible gratuitement sur Bandcamp – « Dashed Works 2002-2005 », un deuxième que le destin n’a pas mieux servi – « Club Tentation », 2009 – et toujours cette même impression d’écouter des brouillons restés à l’état brut. Qu’il s’agisse du slow synthétique Tu adores cette chanson, de la ballade faussement folk Where Ever ou bien encore de Lethal Cereal, à chaque fois la maladresse regarde la perfection droit dans les yeux pour lui dire à quel point elle l’ennuie. Ricky fait tout, tout seul. C’est un homme-orchestre, il assume. Les bruits de synthés cheap, il assume aussi. Sa voix fragile à la limite du dérapage permanent, c’est idem. Le fait qu’aucun de ses disques n’ait trouvé preneur à l’échelle industrielle, Ricky s’en fout. Bon, disons qu’il fait avec. Sonner moderne, c’est aussi savoir s’asseoir sur la volatilité de l’instant présent. En attendant la consécration des charts, qu’il espère secrètement comme un lundi au soleil, Ricky écrit des chansons foutage de gueule  Te souviens de Paris 2006 / On faisait presque partie de la Jet-Set / Assez souvent je faisais des Dj-Set / Bien que bien voyant je portais des lunettes » sur le titre L’époque) où le maigrelet brasse paroles absurdes et pensées profondes. Ricky se demande à quoi pense son petit chat, Ricky débute un morceau – Joanie – par trente secondes de douche enregistrée sur dictaphone ; c’est pourtant Hollywood sur presque toutes les mesures. C’est parfois beau à pleurer.

« J’aime tout ce qui est démodé, démodé, démodé » (Alain Chamfort, Démodé)

Ricky Hollywood, c’est d’abord un formidable bras d’honneur au système. Une identité fantasmée, une vie qu’on n’aura jamais. Un quotidien merdique qu’on sublime comme on peut avec le synthé posé sur les genoux, entre la facture de gaz à payer et la nana qui ne rappelle pas. Il y a du Dondolo chez Ricky, du Julien Baer aussi. Sans oublier du Principles of Geometry, comme sur son fantastique remix de Freakin’ Out de La Féline. Parfois même un regard vers l’Atlantique.
Ricky ne posera jamais ses mimines dans le marbre de Hollywood Boulevard, pas plus qu’il ne secouera les cocotiers de Venice Beach. On tient là le paradoxe de son génie de poche, toute la fragilité du bonhomme qui rêve dans son coin à des paradis éperdus, des jours meilleurs et des claviers plus gros. Comme tant d’autres Français avant lui, le Parisien se brisera les reins avant d’atteindre l’autre rivage. Et si tant est qu’on ait un jour pensé à lui, un jour on l’oubliera. Vers 2020, le disque dur recrachera par hasard un morceau. « Ricky qui ? » Ça nous fera tout drôle. On repensera à tout ce qu’on n’a pas vécu, à toutes ces chansons qu’on n’a pas achetées. Et puis avant de passer à l’une de nos occupations mineures, on se dira que le Hollywood de Ricky, c’était avant tout la fraîcheur de survivre.

http://www.myspace.com/ricky.hollywood

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