Il est 21H50, nous pénétrons l’UGC Montparnasse dans l’espoir d’assister à une belle épopée sur le célèbre créateur et directeur du FBI. La salle est pleine, le silence pesant lors des premières secondes, qui se convertiront bientôt en longues minutes d’un calvaire cinématographique comme on n’en avait pas vu depuis "Raisons d’État".

Nous sortons 2H10 plus tard, transpirant des lourdes gouttes d’un ennui inoubliable tant l’expérience cinématographique fut pénible, douloureuse, violente de vacuité. En voici les principales raisons :

1. Le biopic de J. Edgar Hoover n’est qu’un prétexte pour donner une vision ultra-mâchée, simpliste et très conservatrice de l’Amérique du XXe siècle.

Plutôt que d’aborder les différents évènements de la vie du célèbre fondateur et directeur du FBI pour en extraire une réflexion politique sur le pays, le réalisateur se contente d’utiliser ces faits comme cale-meubles pour son scénario bancal. On ne voit plus que l’Histoire se dérouler sous les yeux du personnage, mais aucunement dans sa pensée.

– Le massacre de Kansas City en 1933, perpétré par le gang de Vernon Miller et Charles Arthur – dit « Pretty Boy » – pour libérer le prisonnier Franck « Jelly » Nash : un simple fait d’arme de Hoover censé le mettre en avant dans une optique publicitaire pour le FBI, certes critiquée par Eastwood lorsqu’il évoque tous les comics dans lesquels Hoover est le héros à la tête de cette structure mal comprise par les citoyens de l’époque, mais sans aucune réflexion ou illustration sur les tenants et les aboutissants du massacre, ou plus globalement sur l’aspect conspiratoire développé notamment par Robert Unger en 1997 dans son Original Sin of Edgar Hoover.

– L’attentat de 1963 contre JFK : la scène se borne à un simple coup de fil montrant que Hoover est au courant avant tout le monde, rien de plus. Aucun élagage sur les conséquences ou la tentative de compréhension des causes de ce crime.

– Le discours du Lincoln Memorial de Luther King, la même année : un prétexte pour suggérer le racisme du personnage mais aucune compréhension des enjeux politiques de la lutte raciale pour les droits des Noirs incarnée par les Black Panthers, ou de ses conséquences sur la politique de sécurité à laquelle participe le FBI. Absolument désolant de vacuité. Tout est résumé dans l’anticommunisme primaire de Hoover, rappelé toutes les deux scènes (elles sont nombreuses, et courtes).

2. Le scénario est inexistant, voire inquiétant de morgue tant son insuffisance nourrit la décadence d’Eastwood en fin de vie.

Au lieu de se détacher du personnage pour coordonner une histoire cohérente aboutissant à une démonstration originale, il se contente de le marquer à la culotte tout en opérant un jeu de flashbacks insensés, faisant se succéder les évènements tels les cartes d’un château informe aux couloirs sinueux de crasse vaine respirant l’américanisme le plus cliché, le plus débile, le plus Eastwoodien, rappelant les dernières catastrophes du réalisateur : Hereafter, L’Échange ou le pressentiment du déclin avec Gran Torino. Ici les acteurs ne sont que des pantins au service d’un scénario n’ayant ni queue ni tête, certes inspiré du réel, mais séquencé de manière compilatoire et totalement vaine.

Aucun fil directeur si ce n’est la mère du héros, dont on a bien compris le rôle très important dans son évolution, cette matriarche clairvoyante sans laquelle Hoover ne serait qu’un vermisseau empilant des cubes aux motifs étoilés jusqu’à sa mort, toujours selon Clint Eastwood. Cette femme qui a voulu détourner Hoover d’une relation homosexuelle forte avec son adjoint Clyde Tolson, qui préfère avoir un fils mort qu’un fils à voile et à vapeur. Cette relation, toujours suggérée dans le film, est transcendée dans le cadre d’un focus insupportable sur la fin de vie du héros mise en scène avec un rythme d’une lenteur presque débile, faisant dériver le film vers un Parkinson évoquant autant la Chronique d’une Mort Annoncée que le naufrage du Titanic : Eastwood tue le personnage, tue le film et fait du biopic un objet formel aussi tremblant que son sujet.

3. On voit mal comment les acteurs peuvent être convaincus par le scénario et la mise en scène ; ils sont donc loin d’être convaincants.

Le jeu des acteurs, stérile, souligne toute la vacuité de la mise en scène et fait porter le poids du film sur les épaules de Di Caprio, à qui on ne peut qu’attribuer les raisons du naufrage bien que ses capacités de grand acteur lui évitent le zéro pointé.

Mention spéciale au maquillage grotesque censé rendre crédible le vieillissement des personnages : les flashbacks permanents et inutiles paumant les spectateurs et mettant à mal les qualités principales du biopic, censé mettre en exergue le regard sur un homme et une période donnée, ne permettent pas de faire du maquillage un véritable marqueur de l’âge des personnages mais un simple signe que telle scène se passe avant, après, bien avant ou bien après… et c’est sacrément mal fait. Le personnage de Tolson, incarné par Armie Hammer (qui jouait un des frères Winklevoss dans The Social Network, film légèrement plus respectable), ressemble à une image de synthèse sur la fin du film tant le maquillage est exagéré, et le jeu d’acteur en pâtit sévèrement.

Di Caprio se contente de faire du Di Caprio dans la peau de Hoover, et suit très probablement avec une grande sagesse les consignes avisés d’Eastwood, tant son jeu d’acteur ne déborde ni du rôle ni des traits bien connus de ce personnage classique du cinéma moderne américain. Naomi Watts est inexistante (j’ai failli la prendre pour Helen Hunt) et son rôle est si mineur qu’elle en est agaçante, Judi Dench (mère de Hoover) totalement clichée en acariâtre de la bourgeoisie conservatrice aux racines victoriennes, et Armie Hammer ne sera sans doute pas convoqué pour les chefs-d’œuvre hollywoodiens à venir, il n’est qu’une pâle émanation de Clyde Tolson se nourrissant de l’ectoplasme Di Capriesque pour exister, c’est peut-être comme cela qu’Eastwood a voulu montrer la mégalomanie de Hoover d’ailleurs, en réduisant les autres personnages à néant qui sait. C’est fin…

Conclusion : qu’y a-t-il donc à sauver dans ce film sur le célèbre directeur et créateur du FBI incarné par l’un des plus grands acteurs contemporains, Leonardo Di Caprio ?

La photo, qui offre quelques scènes somptueuses (souvent les scènes d’hippodrome où l’esprit des années 30 est bien restitué) aux couleurs froides et argentées ? Les trop grandes variations de couleur et de champ déséquilibrent l’artwork du film. Le jeu de Di Caprio, impeccable dans la restitution du caractère instable et malsain du personnage, qu’on sent souvent empreint d’une forte implication dans les exercices de style à contextes historiques ? Il n’est qu’un pantin aux mains d’un réalisateur qui se disperse en images stéréotypées d’une Amérique à moitié fantasmée (il a aussi vécu une grande partie des évènements) et dont la fragilité de mise en scène témoigne autant des dommages collatéraux d’une carrière hollywoodienne déjà (trop) bien remplie que des desseins du temps qui passe inexorablement.
Non, J. Edgar ne doit pas être le dernier film de Clint Eastwood : son dernier exercice, laborieux, périlleux, sans doute jubilatoire en termes de travail déployé malheureusement vainement au service d’un monstre, peut-être. Mais pas son dernier film. Eastwood doit pouvoir tirer sa révérence avec maestria, car cet homme a contribué au rêve hollywoodien tant devant que derrière la caméra, dans l’apaisement, la simplicité d’un dernier film. Pas en étant désigné comme un de ses principaux fossoyeurs, peut-être déguisé. Et peut-être même malgré lui.

 

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