Pour clôturer la session estivale, il n'y pas que Rock En Seine dans la vie ; il y a aussi des rendez-vous immanquables tels le Freakshow, un festival freak mais pas chic et encore moins chaud. Enterré dans le trou du cul d'un bled à coucher dehors - pléonasme compte triple - le rendez-vous de la Porte Saint-Clou, à côté, prend paradoxalement des airs de zombie à côté de la plaque. On rembobine.

Freakshow 4De la plaque chauffante pour du réchauffé, oui, c’est Rock En Seine, événement qui, aussi cher soit-il, reste néanmoins cette porte ouverte sur laquelle il conviendra de ne pas tirer. Pour éviter de radoter les mêmes médisances que dans dix ans, il suffit de s’auto-stoppe et de tracer la route en train puis en camion (troisième option en ce qui me concerne) direction Gigors dans la Drome pour un bestiaire monstrueux, un bordel monstre : « Freakshow », comme susurre morbidement la voix dans la vidéo du festival avec la tête de mort. Un festival hommage à la Monstrueuse Parade de Tod Browning ? Une manifestation qui réunie nains unijambistes, femmes à barbes et gueules du contre-emploi ?  « L’année dernière, on faisait un tarif spécial aux gens qui venaient avec les déguisements les plus improbables. On a d’ailleurs eu des mecs qui ont déboulé à poil » me confie d’entrée de jeu un organisateur, à une heure où le terrain est encore praticable. La boue est séchée par le soleil qui tape dans le dos. Le lieu ? Une forêt vierge et prospère, loin du cauchemar climatisé, de la pollution, des dealers de GHB, vêtue de chapiteaux pointus et parsemée de toilettes sèches où « on n’est pas à l’abri d’une OD à l’angle d’une scène ou derrière un buisson » m’avertit un mec de la sécurité, entre deux lattes d’herbe et une gorgée de bière bio.

Un bordel pourtant pas organisé sur les chapeaux de roue : des dizaines et des trentaines de bénévoles naviguent entre le four et le moulin, avec une zénitude portée au zénith, fiers de bien faire. Ambiance plus baba que punk, en réalité, n’en déplaise à la demie moitié des gens pas concernée par cette constatation. La programmation est homogène (et prouve encore ô combien la scène garagiste française étincelle), pour ne pas dire consanguine : un type du groupe Chômage, également élément membré de Feeling Of Love (ouais, j’ai vu sa bite quand il pissait, un soir), est le petit frère du chanteur de Crash Normal qui est un pote d’Advent Nivid – programmé par nos soins à la Plage du Glazart au mois d’aout. Si la phrase précédente est alambiquée, c’est que tu n’as pas compris. Les arbres de ladite forêt vierge sont généalogiques (et les voies du Seigneur, impénétrables, bien évidemment). Au-delà du genre musical et de l’esprit de tripotage de guitare en famille, un truc fait office de fil rouge et de grille électrique, c’est le nom des groupes, dans la tradition punk : Chômage donc, King Salami, Deux Boules Vanille, JC Satan, DJ Tom Rek – rectum à l’envers (Dieu, il faut cesser ces images pleine de grivoiserie) ; au pays d’un gouvernement normal, seul le Crash l’est – dans la traduction skunk.

Freakshow
En parlant de traduction, je voudrais faire un détour sur le site Internet du festival et ses « biographies » des groupes faussement traduites : un joyau stylistique. Extraits. A propos de Crash Normal : « Ces types (des garçons) laissent tomber leur son d’ongles (de clous) rouillé (les ongles)(clous) qui frappent le public (le public) (l’audience) comme la pluie… » Ou encore à propos de Chrome Crank : « Le punk le garage indépendant difficile de dire ou savoir (connaître) comme ça que ce qui propose vraiment des Originaux (Manivelles) d’Assiette (de Plaque) chromée (CHROME CRANKS). ». Un dernier, pour la route : « Sur un fond (bas) a préprogrammé ultra-speed-métal-grind-dégueulasse croisé (traversé)(dépensé)(passé) dans le moulin à légumes 8 – des morceaux (bits) midi au (sud) d’une magie modifée la dictée et pluggée dans USB dans vieil Amstrad, il (il) balance des hanches et déchire son (votre, leur) beau des vêtements (appropriés) tout à fait propres (inclu la paire de caleçon) et son (ses) cordes vocales avec une générosité et un sourire qui fondrait les grands-mères les plus prudes. » Hein, quoi ? On croirait du Yves Adrien anglais remixé automatiquement par Google Traduction dans la langue de Bayon pogotée. Un antidote aux communiqués de presse lénifiants, c’est peu dire. On respire.

Je croise mes jambes des visages des groupes (des faces) plusieurs déjà vus (connus) des services Gonzaï qu’ils ont cisaillé sec le son à l’intérieur des contrées les nôtres jouer en live et entretenus (questionnés) par Robert Flambeur dit Bob Le. Merde, ça influe sur moi, il faut que je lave mon cerveau.
Reprenons. Donc, oui, les groupes font claquer le gobelet et la bise, des JC Satan, des Cheveu, des Crash Normal, des Prince Harry… Ces derniers me racontent qu’ils ont hâte de passer la seconde vitesse parce qu’ils ont fait le tour de la tournée avec leur (excellent) premier disque dangereux et drôle comme du gaz hilarant, qui résonne encore des entrepôts de Nevers jusqu’aux salons des épileptiques anonymes. Je sais que les comptes rendus de festival peuvent soûler, on a déjà abordé ce problème : soit on était sur place et on sait ce qui s’est passé, on préfère les photos, soit on y était pas et les résumés subjectifs d’un non-pote, peut-être salaud dans la vraie vie, peuvent frustrer et finir tragiquement dans la corbeille de l’indifférence. Bon. Il y a néanmoins des points « musicaux » sur lesquels on pourrait revenir, ne serait-ce que parce que, toi qui n’y étais pas, tu pourras toujours passer à la session rattrapage de l’an prochain. Ou alors pour toi qui étais trop occupé à dilapider tes fortunes dans des vinyles Rock à la Casbah au coin Merchandising ou toi encore qui t’es noyé dans les petits ruisseaux pourtant barricadés de bois pour pas tomber dedans ou toi enfin qui a passé moins de temps à regarder la vie devant toi qu’à contempler les étoiles au fond de ton verre de sky.

Freakshow Le PrinceCeci étant posé, si on considère qu’un groupe est tête d’affiche parce qu’il passe en dernier, alors on pourrait dire que notre Prince Harry est tête d’affiche. Le temps d’écluser les pintes en masse pour livrer le cocktail Molotov attendu, en tenue d’Adam qui aurait retrouvé son futal (torse nu, donc) alors que la nuit frissonne et que les lacs gèlent, Le Prince Harry fut le Roi de la soirée, le café (Liégeois, exact), le bouquet final, comme quand la sueur se change en liquide séminale (je sais, c’est minable) : imaginons un disque, « It’s Getting Worse » – titre mensonger ou faussement modeste – qui, à l’intérieur de son propre rayon, est déjà mieux que les autres ; là, c’est simple, le live est meilleur que le CD. Point d’orgue, ce rappel aimable : « C’est bon, on a assez joué, partez, bonne soirée ».  Ce qu’on pourrait avancer aussi, c’est que le quasi-unique-groupe-à-part-du-festival (« on connaît personne ici »), et à part tout court, le dessert Deux Boules Vanille fut la découverte grand bluff de… l’été. La curiosité, de celle qui donne l’envie de s’y replonger illico toute tête en avant, le headbanging n’étant pas qu’une simple pratique de danse du très haut mais aussi et avant tout l’expression d’une approbation plus amplifiée et accélérée. Deux mecs, deux batteries. Et pourtant : un groupe complet. Pour paraphraser Le Prince Harry à propos de leur batteur, Deux Boules Vanille est une véritable pieuvre humaine. Les Lyonnais ont fait leurs armes dans plusieurs formations avant de se retrouver tous les deux à construire, selon la légende, leurs propres instruments ; des batteries avec des synthés analogiques. Du Dan Deacon sans les imprécations vaudou, du Soft Moon sous dopage. « On aimerait bien faire la bande-son d’un film apocalyptique ». Les deux potes apportent un point final au débat vieux comme le monde (donc dépassé), qui opposerait encore machines et vrais instruments : en démontrant par A+B (math-rock) un savoir-faire de musicien bruts de transpiration, Deux Boules ne portent pourtant pas au sacre le Rock à la papa mais plébiscitent la modernité, l’électronique – moins proches au final de la virtuosité (« On ne veut surtout pas que les gens nous parlent de « performances » ») que de boîtes à rythme dysfonctionnelles. Plus Silver Apples qu’aspirants aux nouveaux Dave Grohl, merci bien. Témoignage :  « Quand j’étais étudiant en école d’art, on m’a tellement bassiné avec Joy Division que je ne peux plus encadrer ce groupe aujourd’hui. Carrément plus fans de New Order, y a pas photo. » Et Deux Boules de me citer, entre quelques allusions graveleuse à leur patronyme, des artistes expérimentaux ou technos ou new wave. Dans un environnement rock-garage-guitare, Deux Boule Vanille tombent un peu comme un cheveu sur la soupe.

On pourrait parler, en revanche, de performance au sujet d’UNAS. On réduit l’effectif avec un seul mec –  avec qui je raterai mon train le dimanche – qui se multiplie pour se propager dans tout l’espace – le don d’ubiquité comme le Malin – de gauche à droite, du sol au plafond, possédé comme du Possessed ou Isabelle Adjani dans Possession.
Alors que c’est peut-être le truc le plus radical et le plus nauséeux croisé depuis belle lurette, Unas fit l’unanimité autant qu’Unco (« la fierté nationale ») était peut-être le groupe attendu : aucun doute, on est au Freakshow. Plus fort encore : le groupe … (le nom Rien étant déjà pris, !!! également), ce qu’on appelle crânement l’économie de moyens : aucun musicien, aucun brailleur, aucun chanteur, aucune machine. Visuellement, un chef-d’œuvre parce qu’aucune obligation à devoir regarder tous dans la même direction (on peut même aller au bar sans en louper une miette). Ah non, merde, pardon, il s’agit en fait des courtes plages de silence entre les groupes. Non, plus sérieusement, la plus belle esthétique, léchée au Bourbon, le plus beau spectacle, ce fut Burn In Hell avec son théâtre de marionnettes, le pendant viril de Katzenjammer Kabaret, l’androgynie raffinée de Dresden Dolls troquée contre la toux grasse rauque’n’roll de Tom Waits.

Freakshow Burn in Hell 3
Ce qu’on pourrait dire encore que l’autre tête d’affiche, celui qui a allumé la mèche, fut Cheveu ; peut-être parce que le seul groupe ici présent à avoir joué à Rock En Seine – comme quoi, la consécration dans la hiérarchie, c’est le Freakshow – ou bien parce que leur google traduction de Prévert a inspiré le rédacteur de biographie sur le site du festival. Fiévreux, mélodieux, rocailleux, le plat de résistance : sous la crasse, le lyrisme, les Bordelais férus de Rimbaud changent, pour remixer Baudelaire, la boue en hormones. Les pogos affluent : la plupart des festivaliers se montrent agités d’être heureux (une définition comme une autre du pogo).
Leurs confrères Bordelais de JC Satan, après avoir fait pléthore de premières belles parties (la revanche, à l’Olympia, avec Sexy Sushi), squattent la grande scène – ça veut dire qu’ils deviennent, pour eux-mêmes, quelque part… tête d’affiche ? Les avis divergent concernant la prestation de Jean-Claude, selon les sondages recueillis et mes oreilles qui traînent, pour écouter les bruits qui courent et parce qu’il m’arrive aussi d’avoir des accès de distraction, comme la catégorie de personnes citée plus haut (un autre report me racontera en précision…). Sans prendre de risque, je dirais que ce fut leur meilleur concert… ce soir-là. Têtes d’affiche, c’est mon refrain dans cette chanson, oui, parce que tout le monde l’est, en fait. Tout l’inverse d’un Rock en Seine, en définitive : là où dans un festival traditionnel, on choisit son camp (Crystal Castles plutôt qu’Arcade Fire, Roxy Music plutôt qu’aller consigner un autre verre, il y a trois ans, devinez où), au Freakshow, les groupes se succèdent, avec singularité et distinction certes, mais sans faire de vraie transition. Niveau choix, il faudrait, pour faire comprendre aux absents, poser la question de cette façon : tu préfères qui, entre ton père, ta mère, ta grande sœur, ton cousin éloigné mais si proche, ton vieil oncle qui se prend encore pour un punk ? Freakshow n’est pas un festival mais un groupe. D’artistes, d’organisateurs, de tout. Un groupe de 2000 personnes (chiens inclus) peut-être, mais un groupe quand même. Une réunion de famille, voilà. Après réflexion, manquait juste Frustration et Catholic Spray. L’année prochaine ?

http://www.freakshow-festival.com/

Freakshow 2

5 commentaires

  1. manquait juste Frustration et Catholic Spray hmmm well on peut voir un bon festival sans avoir besoin de rameuter toute l’écurie Born Bad.

    Pas un mot sur les Chrome Cranks ? peut être trop papy pour toi mais des patrons à coup sur. Peut être aurait-il fallu que tu pisses avec eux pour en parler 😉

    Mais sinon oui UNAS fait l’ UNANIMITÉ et merci à toi de l’avoir précisé.

  2. « sous la crasse, le lyrisme, les Bordelais férus de Rimbaud changent, pour remixer Baudelaire, la boue en hormones. »

    Très joli ! Et bon, conte-rendu, mi féerie, mi vomi, comme tous les festivals.

  3. D’abord, merci Sinem ! Ensuite, pour faire le lien entre Boulboule et Fuck, en effet il n’y avait pas Frustration au Freakshow, il y en a sans doute en lisant ce compte-rendu : l’arbitraire est injuste et sur la vingtaine de groupes qui a joué (brillamment pour la plupart), impossible de passer en revue chaque prestation. Certains reports l’ont très bien fait, je vous renvois à ce lien qui les répertorie : http://freakshowfestival2013.eklablog.com/chroniques-et-articles-a100000272
    Si j’ai fait plus court que d’habitude, c’est aussi que je préfère prendre le temps de m’étendre sur des individualités plutôt que de traiter un groupe par dessus la jambe. Il y en a une bonne partie qui a été abordé ici à la loupe (sic) et si, d’un côté ça fait très « marotte », c’est aussi une façon de prolonger les aventures de ces personnages défendus dans les colonnes :
    http://gonzai.com/crash-normal-cultiver-laccident/
    http://gonzai.com/le-prince-harry-interview-god-save-the-dragqueen/
    http://gonzai.com/cheveu-interview-on-pisse-pas-droit/
    http://gonzai.com/j-c-satan-confessions-autour-dun-jukebox/
    http://gonzai.com/gonzai-ix-live-report-une-tronconneuse-un-cercueil-et-des-rouflaquettes/
    etc etc. Quant Big’n ou x25x, que j’ai apprécié aussi, il n’est jamais trop tard pour revenir à eux et faire un pipi croisé ou, mieux, les « portrai-tiser » comme il se doit …

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