Comment durer en tant que groupe quand l’auditeur n’a plus de mémoire ? Une partie de la réponse à cette cruelle énigme tient peut-être dans le temps qu’il m’aura fallu pour publier le récit de cette rencontre avec les Australiens, au printemps dernier. D’arguments solides, « Homosapiens » n’en manquait pourtant pas. De chansons coulées dans le béton non plus. Mais l’effet de surprise de « Church with no Magic », paru trois ans plutôt chez WARP, s’est estompé et avec lui, la vague de hype qui lentement s’est retirée loin derrière l’horizon. Lorgnant moins du coté d’un Suicide recomposé à l’imprimante 3D que son prédécesseur, « Homosapiens » marquait à sa sortie en février dernier le passage du groupe à l’état vertical avec, pour la première fois, des sonorités postroniques et des chansons chantées pour de vrai à la manière de Krafwerk ayant composé un « Machine-Man » où l’ordinateur se serait fait humain. En un mot comme en cent, un disque plus pop et moins barré. Première et paradoxale raison de l’omerta médiatique.
Et depuis, six mois sont passés. Le trio est passé par Paris pour une release party à moitié vide – ou à moitié pleine, selon que vous avez acheté l’album ou pas, a joué avec les canadiens de Suuns sans « en garder un souvenir mémorable » dixit le groupe ; et puis s’en est allé vers d’autres pays en espérant récolter plus de bras levés qu’au pays de Yannick Noah. Dit comme cela c’est forcément réducteur, mais ce disque c’est un peu comme si on n’avait déjà plus envie d’y croire quand on l’avait pourtant beaucoup aimé, ce disque. Comme ce papier, pas plus que d’autres, ne permettra d’inverser la courbe des ventes, il peut sembler pertinent de souligner encore à quel point la musique ‘pop’ est aujourd’hui engloutie rapidement dans les tuyaux puis évacuée par des technophiles appuyant sur la touche next comme on tirerait la chasse d’eau. Le temps est un luxe que le cadran numérique ne permet plus et que d’ailleurs le groupe lui-même révoque : « Quelque chose doit changer » avoue Richard Pike, leader du groupe exilé à Londres, c’est pas tenable de passer deux ans à enregistrer un disque pour au final avoir trois mois de durée de vie, avant d’être balayé par un autre groupe. Dans ce système, soit ta musique fonctionne instantanément, soit t’es grillé. Mais qui a dit que la musique devait fonctionner ainsi ? ». C’est effectivement une bonne question, voire LA bonne question. « Ca tient à pas grand chose » rajoute Dave Miller (laptop, production), parfois j’ai l’impression que t’as beau avoir un putain d’album, si t’as raté le bon post sur Facebook, t’es mort ». Ca sent le vécu. C’est en résumé la triste histoire de cet « Homosapiens » malaimé par ses congénères.
Milieu des années 2000, l’hilarante série anglaise The IT Crowd célébrait ce groupe encore nommé Pivot. Ca tenait à pas grand chose, un poster du groupe nonchalamment posé dans le décor et qu’on voyait, d’épisode en épisode, prendre la poussière. C’est une constante dans l’histoire de la pop music : le passé est parfois dur à rattraper. Et c’est précisément le trop plein de génie de « Church with no magic » qui empêche d’apprécier le nouvel album à sa juste valeur ; quand le premier était gris métal genre façon citadelle imprenable, le second s’avère plus accessible, certes un peu tordu et avec des bouts d’électronique dedans, mais beaucoup moins vertigineux, et avec la voix de Richard Pike nettement plus mise en avant. « C’était l’objectif » confirme encore le principal intéressé, on voulait tenter de mettre la voix au centre des morceaux. Le dernier disque était plutôt, heu, extrême et intense, là on voulait davantage d’espace ». Et donc de succès ? « On avait surtout fait le tour d’une certaine conception de notre propre musique » répond Dave bon joueur, quand tu joues les mêmes morceaux pendant un an et demi tu finis par avoir besoin d’oxygène ». Okay personne n’a répondu sur le succès, très bien. Le groupe a beau avoir tourné avec cette écouleuse de disques nommé Gotye, pas facile de faire le grand écart entre les nerds collectionneurs de synthés et le grand public. Deuxième raison du silence radio médiatique, auquel il faudrait rajouter l’incroyable succès de Suuns avec « Images du futur ». This town ain’t big enough for the both of us…
Comment expliquer l’évolution entre les deux faces de PVT, d’un coté machine et de l’autre humain ? Richard Pike consent qu’imaginer une suite à « Church with no magic » n’a pas été de tout repos : « on était claqué, crevé, trop de temps passé sur la route. Il a fallu un peu de temps pour relancer la machine après ça, et c’est certainement ce qui explique que ‘Homosapiens’ soit moins gavé d’énergie noire, un peu moins intense ». Café un peu moins serré, dont la magie aurait été diluée dans l’eau, « Homosapiens » ne laisse pas l’auditeur grillé comme sur le texan sur sa chaise électrique, mais pour autant le disque est loin d’être une dosette de supermarché. « Et comme on voulait éviter de se répéter, pour ce disque on a énormément composé avant même d’arriver en studio, on n’avait jamais ça avant » rajoute Dave. La moralité de l’histoire, c’est que « Homosapiens » expérimente nettement moins que son prédécesseur et c’est quelque part le seul truc qu’on puisse reprocher à ce disque : un certain manque de brutalité futuriste. Remarquez difficile de reprendre de l’avance quand votre avant-dernier album sonne comme un truc venu de 2025…
Après avoir poliment écouté ma longue théorie cybernétique se concluant sur une comparaison périlleuse avec Kraftwerk et les Daft Punk pour ce besoin d’humaniser les machines, Dave coupe sec mon délire : « ‘Homosapiens’ est un bon résumé de tout ce que tu viens de dire ». Les Daft Punk, j’insiste, objet d’étude passionnant qui résume à lui tout seul la croisée des mondes entre analogique et numérique, icones pop d’hier et d’aujourd’hui, recyclage et invention, s’avère être un bon point de comparaison. On pense à Giorgio by Moroder, troisième piste de « Random Access Memories » où le papa de l’italo disco explique pourquoi le synthétiseur restent cet instrument du futur qui aura servi à des savants fous comme Brian Eno de faire dévier le rock primate de sa trajectoire initiale. Cette fois, le groupe acquiesce et Dave surenchérit : « C’est devenu très difficile pour la nouvelle génération de musiciens d’inventer un son nouveau. Je me souviens d’Eno, période Roxy Music, racontant à quel point les gens pouvaient péter un câble en découvrant ses synthés sur scène ; ils n’en avaient jusque là jamais vu ! La vérité, c’est que j’aurais adoré vivre cette anecdote, être présent dans la salle, vivre cette expérience ». Richard Pike, la trentaine on précise, regrette quant à lui que l’expérimentation soit de moins en moins monnaie courante dans la pop. Il cite Autechre, György Ligeti, des gens qu’on n’imagine pas en train de s’user le pouce sur une page Facebook.
Après avoir abordé le départ de chez WARP pour une sombre histoire de contrat à 360° qui obligeait le groupe à payer de sa propre poche pour exister – on se doute bien que ce n’est pas aussi simple que ça – les membres de PVT semblent hésiter : le futur est-il encore possible ? Pour s’en convaincre, ne reste plus qu’à appuyer sur la touche RESET en interrogeant l’interlocuteur comme Roy dans The IT crowd : « have you tried turning it off and on again ? »
PVT // Homosapiens // Modulor
Version deluxe le 9 septembre avec remixes par Cercueil, Abstraxion, Trésors, etc
2 commentaires
Super papier merci
« L’incroyable » succès de Sunns avec Images du Futur » ???!!!