Fin des années 70, alors que le mouvement kraut vire hippie-new age, une bande de punk rockers de Düsseldorf rebat les cartes du jeu : cuir, synthés et cheveux courts, D.A.F. est autant branché dancefloor qu’expérimentations fantastiques. Et si c’était ce groupe qui avait enterré le krautrock ? Réponse avec Robert Görl, interviewé à Paris en 2019, encore loin de savoir que Gabi Delgado, sa moitié, allait mourir un an plus tard, à 61 ans.
« Tu es beau, jeune et fort / Va vite gâcher ta jeunesse. » Voilà ce que hurlaient les intenses Allemands de D.A.F. en 1981 sur le morceau « Verschwende Deine Jugend ». Depuis, ce groupe improbable créé par Robert Görl – drums et programming – et Gabi Delgado – imprécations occulto-communistes – à la fin des années 70 en réaction à l’impérialisme pop anglo-américain, est devenu indispensable. D.A.F. c’est aussi, bizarrement, une success story : de l’underground crasseux de Düsseldorf en passant par le label Mute, ils se sont hissés à coups de mitaines cloutées en haut du top 50 synthétique jusqu’à devenir le cinquième plus important groupe germanophone (je vous laisse deviner qui sont les premiers) et vendre des centaines de milliers de disques de ce que le critique anglais Simon Reynolds qualifie élégamment « d’eurodisco brutaliste ». C’est bien simple : sur l’échiquier pop allemand on n’a jamais trop su où placer réellement le groupe Deutsch-Amerikanische Freundschaft. Aussi à l’aise avec la musique martiale siglée EBM en bombers kaki qu’avec la synth-pop d’inspiration Fiorucci, ou même avec la proto-house music, D.A.F. se révèle surtout être un groupe flamboyant et singulier. Et il se trouve que Robert Görl a également sorti des magnifiques productions en solo comme le miraculeux Night Full of Tension en 1984 ou encore les récentes The Paris Tapes, ressorties miraculeusement du placard après leur enregistrement en 1986 sur un synthétiseur dans un appartement glauque de Levallois-Perret.
En fait, D.A.F. a vu le jour lorsque le mouvement krautrock semblait s’éteindre, comme si le duo de nouveaux punks tentait à sa manière de cracher sur les braises au nom de l’amitié américano-allemande. Même si le duo a souvent nié sa filiation avec le mouvement rock choucroute, il lui reste indéniablement une haine véritable pour la figure tutélaire Kraftwerk, qualifié de « couilles molles » par Gabi Delgado. Repoussoir, ou amour caché pour l’autre groupe de Düsseldorf ?
Ce fut le cas encore ici, lors de notre entrevue en 2019 avec Robert Görl…
Salut Robert. Est-ce que vous étiez un peu branché sur la scène krautrock ?
Pas vraiment… ah ! ah ! L’Allemagne était très populaire à cette époque grâce au krautrock. On aimait bien des trucs un peu électroniques comme CAN, mais ce n’était simplement pas notre pas culture.
C’est étrange car vous avez le même cursus que les artistes issus de cette scène : Düsseldorf, les études appliquées en musicologie, le jazz…
À la base, j’ai eu la chance de pouvoir étudier la musique classique mais aussi le jazz, c’est vrai, avec lequel je me trouvais des affinités avant D.A.F. Il y avait un mouvement quand j’étais jeune qui encourageait l’apprentissage de la musique, dans la façon de la ressentir et pas seulement se contenter d’apprendre des notes. J’étais toujours intéressé lorsqu’il s’agissait de développer ma curiosité et ma créativité. J’ai commencé par étudier la musique classique au Conservatoire Léopold-Mozart d’Augsbourg en Allemagne à trente kilomètres de Munich. J’ai ensuite arrêté pour intégrer l’université de Graz en Autriche à l’âge de dix-neuf ans. Dans cette université on pouvait étudier la musique classique, comme partout, mais aussi – et c’était la grande nouveauté à l’époque – la musique jazz : le département venait d’être créé. C’était moitié classique, moitié jazz. On y étudiait la forme mais aussi comment cette scène était apparue ainsi que ses différents courants. C’était vraiment une université qui faisait preuve d’ouverture. Pour moi c’était un premier niveau d’élévation : partir du classique pour aller vers quelque chose de plus progressif et de moderne, et observer les liens. Mais c’était aussi la vie étudiante d’Augsbourg qui était très dynamique à l’époque et qui faisait rayonner ce style de vie du jazz autrichien de la moitié des années 70. On jouait en duo ou en quartet, on faisait des petits concerts dans des clubs de la ville et dans les parcs : c’était une ambiance très beat et bohème. Il y avait ce petit club à l’époque où on se retrouvait pour jouer où j’ai rencontré des groupes plus modernes. Des soirées étaient organisées dans ces parcs où plusieurs groupes se succédaient, pas seulement jazz mais aussi plus rock, voire rock progressif. C’était bien avant D.A.F., j’étais adolescent et je sortais tous les soirs. C’est là que j’ai entendu des groupes plus pop comme Led Zeppelin, Black Sabbath ou Emerson Lake & Palmer. Et je me disais qu’il y avait chez ces groupes une certaine évolution musicale. C’est à ce moment, très jeune, que j’ai eu envie de créer moi-même un groupe, afin d’explorer les frontières du jazz, de la pop mais aussi pour concrétiser mes propres envies – ce qui est typique de cet âge.
« Pas de putain de mélodies avec D.A.F. »
À quel moment avez-vous passé le cap ?
Le déclencheur est venu plus tard. Pendant mes études à Graz, j’ai réalisé un petit break estival pour partir à Londres. Là, j’ai 21 ans on est à l’été 1976, et je me retrouve sans trop le savoir aux premières loges de la culture punk naissante. C’était le pic du punk, cet été-là. Il n’y en avait que pour ce groupe : les Sex Pistols. Dans mon souvenir, ils étaient partout : affichés aux murs, sur les couvertures de magazines. Il y avait aussi Sham 69, The Clash, les Damned. C’était hallucinant. Je veux dire, j’avais le même âge qu’eux, la vingtaine, mais j’avais un background assez sérieux, très appliqué et bien coiffé. J’étais un étudiant allemand de musique classique et de jazz issu de la charmante ville bucolique de Graz en Autriche. Et d’un coup, j’ai été confronté au punk !
Qu’est-ce que vous en avez pensé ?
Bah, j’ai pris ça en pleine gueule en me demandant « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? » J’étais assez dubitatif. C’était anarchique, très bizarre et aussi très agressif. J’ai compris qu’il se servait des mots dans un but politique, contre le système. Il y avait aussi cette énergie incroyable qui se dégageait de tout ce mouvement. Pour tout te dire, à l’époque, quand je me penchais sur la musique c’était pas trop mon truc. Je venais du Conservatoire, je me disais que ce mouvement punk était super intéressant et électrisant, mais putain, musicalement ça n’allait pas très loin. Ils jouaient seulement avec ces trois mêmes cordes, genre : « TA-DA-DA-DA-DAAAM ! » C’est un peu trop simple pour moi. Mais ça ne voulait pas dire pour autant que je rejetais le punk : au contraire, ça m’a motivé pour créer. J’ai voulu me servir de toute cette énergie et de cette colère pour proposer quelque chose de nouveau, de plus musical peut-être. J’ai toujours pensé que derrière les chaînes à vélo du punk anglais, la construction des chansons restait toujours un peu conservatrice. Je voulais utiliser le professionnalisme et le sérieux de mes études pour proposer une forme plus musicale tout en gardant le côté bizarre et brut afin de penser la rébellion autrement.
« Seuls les gamins de riches pouvaient se payer le même matos que Kraftwerk et Tangerine Dream. »
C’est à ce moment-là que le projet D.A.F. prend forme ?
Oui. Peu après ce fameux été londonien, je suis retourné en Allemagne, à Düsseldorf où j’ai commencé à traîner dans les soirées et les clubs cool. C’est là que j’ai trouvé mon futur partenaire, Gabi Delgado. C’était au Ratinger Hof, un pub-club underground fréquenté par les premiers punks. Gaby écoutait les Sex Pistols, les Clash mais aussi un groupe très important pour nous : Pere Ubu. Ses synthétiseurs sonnaient très étrange. Cela m’a fait penser aux groupes de jazz que j’écoutais. Gabi avait quitté un groupe mais avait l’air partant pour un nouveau projet. Et donc, Pere Ubu jouait ce soir-là au Ratinger Hof. C’est là que je rencontre Gabi qui avait envie de s’impliquer dans un truc, je lui ai dit : « Ouais, faisons un groupe, j’ai plein d’idées, comme une sorte de vision. Faisons quelque chose de neuf. » Ce soir-là, on n’a pas arrêté de parler, on a fait des plans sur la comète : c’était très excitant, Pere Ubu jouait au fond du club et nous, on était au bar en train de commencer à projeter les bases de ce qu’allait devenir D.A.F. Gabi me raconte qu’il a commencé à écrire des trucs dans son coin et qu’il voulait devenir chanteur. On a parlé très longtemps cette nuit-là, c’était un véritable brainstorming. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle nous avons réussi à créer de la nouveauté : c’est parce qu’on y pensait sans cesse. J’ai dit à Gabi que je connaissais des musiciens à Düsseldorf, mais il avait déjà une idée définie de comment le projet devait sonner. Il ne fallait surtout pas que ça ressemble à ce qui avait été fait avant. Moi au début, je lui ai dit qu’on aurait probablement besoin d’autres musiciens dans le groupe, quatre pourquoi pas : un bassiste, un mec au clavier, un guitariste et moi à la batterie. Au même moment, un parfum d’électronique dû à l’arrivée des synthétiseurs planait dans l’air à Düsseldorf. Tout le monde se passait le mot dans le milieu : quelque chose de nouveau arrivait avec l’introduction de ces machines à un prix abordable… abordable, comparé à celles que Kraftwerk ou Tangerine Dream pouvaient utiliser, je veux dire : leur truc devait coûter, je ne sais pas, dans les un million de Deutsche Marks ! Seuls les gamins de riches pouvaient se les payer. L’arrivée depuis le Japon de Korg a marqué un véritable bouleversement. Je côtoyais d’autres musiciens qui me disaient : « Tu sais, ce synthé coûte seulement 2 000 Marks. » Chrislo Haas, qui faisait partie de D.A.F. au tout début [pour ensuite créer le superbe groupe Liaisons Dangereuses, NdlR] et avec qui je faisais du jazz, s’en est procuré un. Il y avait aussi Kurt Dahlke, même s’il n’était pas trop branché électronique, qui faisait partie de la première mouture. Avec ce noyau de quatre personnes, on est arrivés à une configuration purement électronique. Avant, on était cinq, il y avait un bassiste, et un guitariste. C’est dur à dire, mais à l’arrivée des synthés on leur a fait comprendre qu’on n’avait plus besoin de leurs services.
Vous leur avez dit « auf wiedersehen » ?
Oui, je sais que ça semble violent, mais cela s’est passé à peu près comme cela. Mais bon, ce genre d’évènement arrive à plein de groupes. Quand on est dans un processus de création et d’innovation, certaines personnes doivent faire leur valise et s’en aller. Surtout au tout début : ce sont les moments les plus importants, c’est là que se dessine le son. Pour parler de Kurt Dahlke, par exemple – qui était avec nous au début – il militait pour jouer des choses plutôt mélodiques. Nous, on était contre : pas de putain de mélodies avec D.A.F. Ceci faisait partie du plan d’origine lors de nos conversations avec Gabi. Le son devait être brut, minimal et à base de séquenceur. Les synthés Korg faisaient séquenceur : pour moi c’était ça le futur. Ce n’est pas juste une histoire de mecs qui jouent du synthé Korg, mais le fait que les machines soient connectées entre elles et rendent ce son possible : le système joue les mélodies, la basse, etc… Désolé, mais si ces machines peuvent jouer les notes, on n’a plus besoin de guitariste en train de s’accorder sans arrêt, ni même de bassiste. J’étais dans cet état d’esprit à cette époque, il y a trente, trente-cinq ans. Plus tard, j’ai redécouvert mon amour pour les guitares mais à l’époque je ne voulais plus en entendre parler. C’était aussi une posture d’aller à l’encontre de la formule établie. Notre truc, c’était la machine music. Seulement, c’était un peu ridicule parce que quand tu plonges dans les synthés, tu t’aperçois que ce n’est pas simple du tout : tous ces menus, les edit, le patching, etc., quand tu dois les brancher à des sonos pour des concerts, c’est beaucoup d’emmerdes ! Pour que l’ensemble sonne juste, calé sur le même tempo : c’était super dur, putain. Si tu compares avec d’autres groupes comme Kraftwerk – qui se produisait aussi avec des machines séquencées reliées entre elles – eux c’était réglé au millimètre, très précis, propre, délicat et surtout, tout était accordé dans la même tonalité. Tout le contraire de nous ! D.A.F. n’était pas propre et n’était jamais précis. Avec nos machines mal réglées, c’était punky, ça sautait tout le temps, on n’était jamais calé, le son était saturé car réglé sur des sonos qui n’étaient pas faites pour des Korg. Cela donnait à l’ensemble ce son agressif, brutal, sale. Le public se disait : « C’est quoi ce bordel ? Ça sonne bizarre mais putain c’est fantastique ! » On s’accordait à l’oreille et si ça nous semblait à peu près bon, on se faisait un signe de la tête et on y allait ! On était une version sale de Kraftwerk, mais nous étions beaucoup plus sexy qu’eux ! Ces mecs sonnaient toujours mignon. Nous aussi on a fait des chansons avec des belles petites mélodies, comme par exemple le morceau « Der Rauber Und Der Prinz » en 1981 : mais si tu écoutes bien, tout est complètement désaccordé et rien ne sonne dans les bonnes tonalités. C’est ce qui donne cette atmosphère étrange.
On a parlé de la musique, j’aimerais qu’on discute un peu de l’esthétique D.A.F. De la manière dont vous vous êtes présentés au public : souvent torse nu, avec de la sueur, les cheveux très courts, des vêtements en cuir. C’est très gay.
Oui, c’est vrai qu’on avait toujours le torse ruisselant de sueur, à cette époque… Tout cela a été pensé et réfléchi en amont, lors de nos conversations avec Gabi. Avec ce son étrange et novateur, on devait présenter une image qui convenait à la musique sur le plan esthétique, pour que ça ait du sens. Si on voulait faire de la musique électronique humide, brute, sexy, et sombre, alors on se devait de s’habiller en conséquence. Si on avait porté des jeans et des tee-shirts normaux, on n’aurait pas eu le même impact. C’était l’idée de Gabi pendant nos discussions : « Non, on doit porter des fringues en cuir, mec, et une coupe de cheveux TRÈS courts sur les côtés ! » On a choqué les gens avec ce look. Ils se demandaient : « Putain regardez, mais c’est quoi ces mecs ? Avec leurs cheveux courts, ce sont des skinheads ? Non, ils portent aussi des trucs en cuir. Alors, ils sont gays ? Ou alors se sont des sortes de gay-skinheads-nazis ? »
Des gays-skinheads-nazis ? C’est super, ça !
Oui ! On a trituré l’imagination des gens avec ce look. Mais on en revient toujours à nos conversations du commencement avec Gabi. On voulait donner au public des idées, une esthétique et une vision. Notre but c’était de pouvoir déclencher des réactions. L’image est aussi très importante dans le projet D.A.F., c’est une vision d’ensemble. On voulait impulser un mouvement, repousser les barrières et rendre le public actif, qu’il se questionne : est-ce que c’est gay ? Est-ce que c’est politique ? Est-ce que c’est politiquement incorrect ? On lui a laissé de l’espace pour réfléchir. On avait des idées sur tout avant de se lancer avec Gabi. On avait une réflexion sur les chaussures qu’on allait porter aussi d’ailleurs, ah ! ah !
Robert, vous avez déjà entendu parler d’un certain Patrick Balkany ?
Patrick who ?
Patrick Balkany. C’est une personnalité politique française, connu aussi pour des raisons extra-politiques. Figurez-vous qu’il était le maire de la ville de Levallois-Perret quand vous avez atterri là-bas en 1986. Comment vous êtes-vous retrouvé à enregistrer votre disque The Paris Tapes dans cette situation ?
C’est un moment étrange de ma vie. En pleine gloire et après beaucoup de travail – les disques Gold Und Liebe, Alles Ist Gut et Für Immer ont eu pas mal de succès – D.A.F. a splitté une première fois en 1983. On s’est alors engagé dans des carrières solos, avec le disque Night Full of Tension en 1984 en ce qui me concerne. Puis Gabi me contacte pour reformer D.A.F. en 1986, juste trois ans après le split. On a eu l’idée de changer un peu et de réaliser ce disque 1st Step To Heaven. Un album assez différent – notre premier en anglais – avec une nouvelle approche où on chantait ensemble, comme sur le morceau « Brothers », par exemple. On a passé de super moments pendant la création de cet album, c’était super de faire ce come-back, tout se passait bien. Et soudain, quelque chose d’assez dingue est arrivé. On avait presque fini le disque quand un mec de la maison de disques a commencé à débarquer sans arrêt dans le studio en disant : « Hey c’est super les mecs ce que vous faites. En plus vous avez un super deal ! » À cette époque, tout le monde dans ce milieu s’exprimait comme cela et ce type, tout ce qui l’intéressait, c’était le fric. Il a vu certainement une ouverture ce jour-là pour s’en faire plus. Il a continué sur sa lancée en nous racontant : « Est-ce que vous pouvez faire ceci ou aller dans telles directions ? Ou pourquoi ne pas chanter comme ça ? Les gars, j’aime bien les deux premières chansons mais vous ne pouvez pas faire autrement pour le reste, bla, bla, bla. » J’ai pris Gabi à part et je lui ai dit : « Tu ne vois pas ce qui se passe ici ? C’est la première fois dans notre carrière qu’un connard d’une maison de disques, une personne extérieure à D.A.F., s’invite dans le processus de création. » Ça m’a désorienté car jamais personne ne venait nous faire chier sur notre terrain. S’ils veulent faire leur partie business, OK, mais ils restent en dehors du studio. C’est nous qui faisons les disques. On leur donne le produit, ensuite ils peuvent le vendre. Même sur nos gros disques précédents, Virgin nous laissait carte blanche. Et là, pour la première fois, ce mec fout tout en l’air et veut s’immiscer à sa manière. Du coup, la situation a changé. Gabi me disait : « Oui, peut-être mais on a un bon deal, ceci cela. » Peut-être que j’étais trop impulsif à l’époque, mais j’ai dit que je n’étais pas dans ce trip-là, je ne marche pas comme ça. Je ne fais pas de la musique pour plaire à ce mec du label. Et Gabi a émis l’hypothèse que j’étais, peut-être, un peu trop réfractaire au changement. Ça a foutu la merde et je me suis barré. Ils ont ensuite sorti l’album quand même, sans moi. Ils l’ont fini sans moi et ont tenté de continuer D.A.F. par la suite, comme sur l’EP The Gun en 1987 où Gabi apparaît seul. On sentait qu’ils n’y étaient plus : je devais leur manquer, probablement… Il n’y avait pas moyen de revenir en arrière pour moi. Gabi a essayé de me retenir mais cela n’a pas suffi. C’était la merde. J’étais tellement abattu à cause de tout ça… C’était comme un ascenseur émotionnel : d’un côté j’étais tellement content que tout ce passe bien, et l’instant d’après, en un claquement de doigts, tout se casse la gueule. Sur un coup de tête, je me suis barré à New York, je voulais devenir acteur. J’ai donc commencé par m’inscrire dans une école d’acting, pour voir…
« Du jour au lendemain je plaque tout, je veux devenir acteur. »
Acteur de cinéma aux États-Unis ?
Oui, comme ça, du jour au lendemain. Je n’en avais plus rien à foutre. Acteur, c’était une option comme une autre, qui m’a toujours un peu intéressé. Je me disais surtout que cela me ferait du changement. Sauf que je ne savais pas que c’était le tout début des emmerdes, en fait… J’ai fait tout un semestre d’étude à New York, tout en faisant des allers-retours assez fréquemment en Allemagne. Et puis un jour à l’aéroport, au début du second semestre, un type des visas me prend à part dans un bureau et me dit : « Monsieur Görl, vous venez souvent à New York, que faites-vous ici ? » J’étais assez tranquille sur le coup, je ne voyais aucun problème alors je lui explique que je fais des études d’acteur, tout ça. Il me répond en étudiant mon passeport : « Ah, vous étudiez ?… Écoutez, c’est bizarre je ne vois nulle part que vous bénéficiez d’un visa étudiant. » J’avais juste un visa de touriste et il s’avérait que c’était complètement illégal. Il m’a dit de me rendre le plus vite possible à un bureau pour clarifier la situation. Une fois-là bas, ils me disent que je dois quitter le territoire sous sept jours. Putain, j’avais enfin pu trouver un peu de paix dans cette situation d’étudiant. J’étudiais Shakespeare, on devait même monter une pièce. J’ai été obligé de tout laisser tomber à nouveau. Je m’apprête à retourner en Allemagne, dépité, et je me dis que je vais tenter de trouver une autre école d’acteur. Une fois à la frontière allemande, à l’aéroport, la douane me prend à nouveau à part dans un bureau et me déclare : « L’armée vous recherche. Il semble que vous n’avez pas effectué votre service militaire. » Je leur explique la situation, que je suis musicien, que je peux peut-être arranger la situation et m’engager comme volontaire, je ne sais pas trop. Mais il me précise bien : « Non, c’est trop tard, là, vous êtes recherché pour désertion. »
Le service militaire durait longtemps en Allemagne ?
Ça durait environ un an et demi. Oui, c’était très long… quelle époque, hein ! À ce moment précis, je savais plus du tout où j’en étais. Je n’avais plus de plans, rien, j’étais perdu. Mais ce qui était à peu près sûr, c’est que je n’allais pas faire l’armée. Putain, moi avec une arme à la main, apprendre à tirer ? Jamais ! Ils m’ont précisé que j’avais deux semaines pour me rendre aux autorités pour ensuite incorporer un régiment de l’armée, ou je ne sais quoi. Je suis rentré chez moi en Allemagne, j’ai fait mon sac à nouveau et j’ai juste pris avec moi un synthé – un Ensoniq ESQ-1 – et suis reparti en panique. J’allais essayer de me rendre à Paris pour y faire de la musique. Je ne connaissais personne là-bas.
Pourquoi Paris ?
Ça m’est venu à l’esprit car j’y étais allé il y avait longtemps, et les souvenirs que j’avais de cette ville étaient superbes. Cela me paraissait un bon point de chute pour ma fuite. Avec ce côté romantique, de carte postale, je me disais que j’aurais peut-être enfin la paix là-bas. J’ai pris un train de nuit pour Paris. Une fois arrivé, je me suis mis à la recherche d’une guest house, parce que j’allais y rester un petit moment. Je m’aperçois vite que je ne connais pas du tout Paris ! Tous les logements étaient très chers en centre-ville, il fallait que je me dirige en périphérie. Je me retrouve à errer avec ma valise et mon synthé, je regarde vaguement le plan de Paris et j’atterris un peu par hasard vers Pont De Levallois au nord-ouest de la ville. Ce n’était pas trop loin du centre et pas trop cher. J’ai juste marché et j’ai demandé une chambre. Une fois installé, je suis resté pendant toute cette période complètement seul. Le pire, c’est que j’y suis resté pratiquement une année entière ! Après plusieurs mois, ma sœur m’avait appelé pour me donner l’adresse des gens qu’elle connaissait. Avant cela, je ne parlais à personne à part un « bonjour » dans les magasins. Je ne parle pas du tout français, quand je faisais les courses, je montrais ce que je voulais à travers la vitre avec le doigt, comme un sauvage. C’est dans ces circonstances que j’ai réalisé ce disque. Seul, avec mon synthé. Pour tout te dire, avec le recul, je pense que ces histoires de projets avortés, de fuite et de période d’errance se sont révélés être un véritable traumatisme psychologique.
Il rit.
Interview extraite du Gonzaï spécial Krautrock (sold out)
5 commentaires
Hè, Gérard, t’as quel âge ? il serait peut-être temps de passer à beethoven, non ?
le blond ? boots LaRocka end of Portobello Road ?
nop c Chelsea chez ROBOT shoes a 2 pas de SEX/ seditionaries (dans le temps!)
LaRocka! Clapham Junk-tion!
je fourgue 1 dble 7″ de clock dva ( a sortir….)