Il y eut un temps où déterminer quelle féministe j'étais consistait à décider à quelle Spice Girl m'identifier. Quinze ans plus tard, les choses sont un peu plus compliquées.

Féminisme : « mouvement politique encourageant les femmes à quitter leur mari, tuer leurs enfants, pratiquer la magie, détruire le capitalisme et devenir lesbiennes ». (Pat Robertson, télévangéliste américain).

En tant qu’individu du deuxième sexe, il est compliqué de se positionner par rapport au féminisme sans être soi-même activiste. Incarnant cette contradiction, j’écris sous le pseudonyme d’Ismène de Beauvoir alors que je ne suis jamais parvenue à accrocher au style aride de Simone et que, sans m’être vraiment penchée sur la question, j’ai longtemps considéré que le féminisme reposait sur des valeurs dépassées. J’étais l’égale de l’homme ou, plus exactement, s’il y avait des inégalités entre nous, elles étaient insignifiantes et de toute façon justifiées par nos différences physiques et physiologiques. Le discours scientifique dominant intégré, mes années SMIC me confirmaient au quotidien que le plafond de verre était un mythe. Je pouvais donc me draper d’une posture que je voulais avant-gardiste en méprisant par avance les revendications de celles que je réduisais à un groupe de lesbiennes sexistes et d’hétéro aigries.

J’étais confortée dans mon attitude par la vision que j’avais eue des activistes féministes lorsqu’au milieu des années 2000, j’avais assisté à une réunion du collectif La Barbe dont les actions consistent aujourd’hui encore à faire irruption, une barbe pastiche sur le visage, au sein d’assemblées constituées en grande majorité ou en totalité d’hommes. Malgré la sympathie que peut susciter ce genre de happening, le but du collectif se bornait à chercher la visibilité tout en pointant l’inégalité numéraire entre les sexes. À défaut d’adopter un positionnement idéologique qui les aurait contraintes à se couper d’une partie de leurs membres, La Barbe se contentait de gérer très honorablement sa relation avec les médias. Le problème est que j’attendais une révélation et que tout ce qui m’était proposé, c’était de faire irruption dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, une barbiche synthétique irritant mes joues. Si j’adhérais aux revendications égalitaires (bien que la notion de quota me fasse frémir), les théories accessibles manquaient. Cette invitation carnavalesque me le confirmait : je n’étais pas des leurs.

Le féminisme a commencé à trouver grâce à mes yeux après quelques années à baigner passivement dans la culture porn. Non pas du fait d’un rejet, mais parce que la notion d’hypersexualition de la société est devenu un lieu commun, croisé à chaque coin de média. J’ai donc pu lire des spécialistes manier les anachronismes en faisant de cette hypersexualition la conséquence de la démocratisation de la culture pornographique. Le sexe fait vendre ; personne n’a attendu l’avènement du haut débit pour en tirer les conséquences marchandes qui s’imposaient, et aucun enfant du capitalisme n’est autorisé à s’en émouvoir. Le problème est qu’en étant largement plus utilisé et exhibé que celui de l’homme, le corps de la femme devient un objet dont la valeur paraît parfois supérieure à celle de l’esprit qu’il contient. Sans avoir réussi à me mettre sous le nez des théoricien(ne)s susceptibles de me convertir à une doctrine prédigérée, le féminisme a tout de même fini par m’amener à me poser des questions.

Comment, sans être terriblement cynique ou naïf, peut-on tenir un discours faisant du corps un outil politique, potentielle clé de l’indépendance de la femme face à l’oppression masculine (tels que récemment incarné par le collectif ukrainien des Femen ou par l’industrie du x soucieuse d’élargir ses sources de revenus) ? Sur la forme, je reste également dubitative face au choix de l’appellation de « féminisme pro-sexe » suggérant en première lecture que l’heure est au débat sur le bien-fondé de la sexualité. D’ailleurs, en revendiquant une prise de pouvoir par la sexualité, ces féministes laissent penser que, faute d’avoir obtenu une égalité de traitement dans les sphères professionnelle, sociale et politique, les femmes sont contraintes de se retrancher sur le vieux combat du droit à disposer de leur corps.

Aujourd’hui, et au risque de déplaire à certain(e)s, il m’apparaît que le moteur d’un féminisme vivant (susceptible de toucher les nouvelles générations et pas seulement cantonné à des discussions de salon) se trouve aux États-Unis. Inspiré de mouvements tels que les Guerilla Girls ou les Riot Grrrls, le magazine Bitch analyse depuis le milieu des années 90 les questions de la féminité, des genres et des problématiques féministes à travers le prisme de la culture pop et des médias. En choisissant d’évoquer la question de la réelle liberté des femmes de choisir de ne pas avoir d’enfant ou de la présentation de l’avortement dans les fictions télévisées, le support prend le parti d’un féminisme mutant qui questionne certains aspects anodins du quotidien à défaut de prêcher de grandes idées.

Finalement, à 28 ans et à défaut d’être tout à fait parvenue à déterminer quelle féministe je suis, je commence à savoir quelle(s) féministe(s) je ne suis pas. Et c’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup.

http://bitchmagazine.org/

BITCHfest : Ten Years of Cultural Criticism from the Pages of Bitch Magazine, Lisa Jervis et Andi Zeisler, eds. (2006)

Feminism and Pop Culture : Seal Studies, Andi Zeisler (2008)

 

 

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