Sky Saxon leader des Seeds disait « Dieu envoie toujours ses plus valeureux guerriers à la fin ». Dans le livre de Guy Darol, il n'est question que de ça : des outsiders, des Poulidor du rock, des perdants qui gagnent après la course, des poissards que l'histoire a oublié derrière le strass d'histoires à paillettes et de plumes dans le cul(te). Alors que la littérature rock se complaît de plus en plus à nous rabâcher les mérites des groupes les plus populaires, l'ex plume de Libération ose enfin jeter un pavé dans la marre pour y nager à contre courant, direction la marge.

Il faut dire qu’en devenant co-fondateur de la revue dadaïste Dérive en 1975, cela ne pouvait en être autrement… Guy Darol est également auteur de romans, dont le dernier Guerrier sans poudre sort aussi ces jours-ci. 
Mais Darol est avant tout l’un des plus grands spécialistes de Frank Zappa au monde, lui ayant consacré plusieurs ouvrages de référence. Il n’est donc pas surprenant de fréquemment croiser l’homme-wazoo dans Outsiders, 80 francs-tireurs du rock et de ses environs.

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Guy Darol nous raconte : « L’idée de ce volume m’est venue en travaillant sur l’environnement musical de Frank Zappa. Je cherchais des informations aussi détaillées que possible sur Wild Man Fischer, The GTO’s, The Shaggs … qu’il avait mis sur orbite ou évalué à la hauteur des Beatles. Il n’y avait pas grand chose à gratter. Il fallait donc mener l’enquête. Chemin faisant, j’ai fait coïncider ma recherche avec mon cœur battant depuis toujours pour les singuliers, les excentriques, ceux qui vont à leur rythme et surtout en marchant de biais ou de côté. Ces opiniâtres qui n’en font qu’à leur tête pouvaient prétendre à un bouquet, une collection, un panthéon de la malchance » .

FrontLogique ! On imagine alors que l’un des points de départ de Guy Darol fut la compile « Zapped » sortie chez Straight, label créé par Zappa, en 1970. 
Ce disque culte est un excellent moyen de (re)découvrir certains saltimbanques présents dans le livre à l’instar de Tim Buckley ou de Captain Beefheart en plus de ceux précédemment cités. Et ainsi, de comprendre à quel point Frank Zappa a bataillé dur pour l’émancipation de ces outsiders. 

Mais d’ailleurs, qu’est-ce vraiment qu’un outsider dans ce monde musical ? 
C’est très simple, un outsider est un artiste à l’opposé du music business, influencé en premier lieu par la contre culture beatnik. La musique est son principal moyen d’expression et il l’utilise comme une arme, souvent à des fins idéologiques et politiques, pour défendre des causes comme l’homosexualité (Ed Askew, Peter Grudzien). 
Ainsi, de part sa détermination souvent doublée d’une forte naïveté, la sincérité et l’innocence de ses propos créent une émotion rare qui souvent crèvent le cœur.

Les derniers seront les premiers

Parfois influencé par la drogue, la spiritualité ou un environnement naturel, il arrive que l’outsider en essayant de reproduire quelque chose se trompe et donne l’unique en transgressant involontairement certaines règles prédéfinies par le mainstream. faisant de ces échecs de véritables coups de génies (l’histoire des Shaggs en est le parfait exemple).
Il est aussi important de voir qu’un outsider est souvent en roue libre et difficile à suivre. Ceux qui furent labellisés en gardent un souvenir amer malgré l’apport de moyens nécessaires (Bill Fay, Simon Finn). Moyens qui n’altèrent en rien les productions les plus cultes du « do it yourself », qui, remplies de bidouillages font gagner les propos en émotion et en intensité (Jandek, Kenneth Higney).
Toutes ces raisons expliquent pourquoi on ne naît pas outsider et qu’on le devient souvent au détriment de soi même. (La vie tragique de Jackson C. Frank est un véritable cas d’école)
. « Certes on peut y laisser sa vie mais l’art est à ce prix. Il faut mettre sa peau sur la table. Et c’est pourquoi les outsiders sont libres de perdre ou de gagner. Ils disent ce qu’on ne veut pas entendre. C’est leur bien le plus précieux » précise Guy Darol.

COUV_OUTSIDERSCe livre passionnant et d’une précision rare retrace tous ces instants de vie pour le moins acrobatiques. Le travail fourni est impressionnant tant les sujets choisis sont discrets. Guy Darol se souvient avoir commencé par bâtir une liste qui intégrait des noms divers souvent marqués par l’infortune. Deux cents noms sur la ligne de départ, cela pouvait aboutir à un tapuscrit de 3000 pages. L’éditeur, on s’en doute aurait assurément froncé les sourcils. Guy Darol resserre donc son propos autour de 80 noms résumant deux plans : « L’un signalait des précurseurs occultes, ceux qui avaient inventé, sans que l’on soit au courant, le rock psychédélique, le surf rock, le punk, le rock gothique, la techno, les musiques cinématiques, industrielles, minimalistes, etc. ; l’autre désignait des athlètes qui ne contemplent pas leurs muscles mais qui enjambent les haies avec une insolence sans commune démesure. »

La plupart des sélectionnés sont issus des années 60/70. Il faut dire que ces années bénites sont les plus propices à la création, bien que l’aventure n’est jamais cessée pour des troubadours à la trempe de R.Stevie Moore. 
Le livre prend le parti de ne pas s’attarder sur le collectif, à part des groupes indissociables comme les Residents ou les Godz, et se concentre sur des têtes pensantes emblématiques à l’instar de Syd Barrett pour le Floyd ou de Mick Farren pour les Déviants. 

Certains noms vous parlent ? Et c’est tant mieux ! 
La force du livre réside aussi dans le fait qu’il soit grand public, et non seulement un dictionnaire pour snobs avertis.

On s’étonnera ainsi de ne pas croiser quelqu’un comme Daniel Johnston. mais il est vrai qu’il arbore dorénavant plus l’armure d’insider que celle d’outsider.
 Et c’est ce qui est drôle dans toute cette histoire, on n’a jamais autant plébiscité tous ces héros de l’ombre. Les retours récents de « Sixto Rodriguez » (grâce à un documentaire oscarisé) ou de Linda Perhacs (grâce à un coup de pouce des Daft Punk) ont révélé au monde ces vies de travers aux destins hors du commun. L’underground devient-il d’utilité publique ? Malheureusement non. Et tous ces projecteurs diaboliques font tourner cette histoire au vinaigre. Une fois portée au sommet, l’émotion n’est plus la même une fois passée au car-wash du marketing. 
Tout fini par être réédité et les éditions originales perdent la côte. Le plastique neuf a une odeur industrielle désagréable, bien plus que celle de l’usure d’un disque pressé sous le coude. Celle la même qui a toujours embaumé l’âme de ces fantômes du rock. 

Reste cette merveilleuse croisade de la lose et du fuck-off, et ces 80 noms en or qui n’attendent qu’à aiguiser vos oreilles pour vous toucher en plein cœur.

Guy Darol // Outsiders, 80 francs-tireurs du rock et de ses environs. // Castor Music

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