Autour de la terre gravite un petit satellite médiatique où la presse musicale fait et défait les carrières d’artistes qui n’intéressent personne. Un peu plus bas, dans la vraie vie, un Français remplit des salles un peu partout depuis déjà quatre ans grâce à des rites sataniques 8-Bits pratiqués autour de synthés zombifiés et de croix renversées. Carpenter, plus brute tu meurs.

La particularité des hamburgers, c’est qu’il y a plusieurs couches. Les plus faux-culs pourront bien vous tartiner des pages sur l’importance des légumes coincés de chaque côté ; les vrais savent que le plus important reste ce gros steak bien juteux et dans lequel on croque comme un sein dans un Giallo gore ; goulûment, sans retenue ni politesse, pour faire suinter le sang en s’essuyant la bouche d’un revers de main. Sans serviette, vulgairement, parce que c’est justement ce gros doigt enfoncé dans le rectum de la politesse qui fait tout le sel du plaisir.

Carpenter Brut, quand il fait ses courses chez Promocash avec un tank Panzer, c’est un peu pareil. Quatre ans après ses débuts, on s’étonne toutefois que sa cyber-doom-wave (ajoutez les adjectifs que vous voulez) n’ait pas plus contaminé cette France anti-système qui refuse les élites et les disques intra-muros composés avec l’auriculaire par des graphistes dont on se demande comment ils pourraient bien survivre en cas d’attaques nucléaires. Les nuits blanches à choper des conjonctivites sur des LAN party, la Gaulle post-industrielle des échangeurs d’autoroute délabrés, les fins de soirée à se défoncer au RedBull sur des parkings désaffectés avec des sweats à capuche en faisant des autodafés avec les albums de Skrillex ; Carpenter Brut raconte parfaitement cette insouciance débile qui échappe souvent à qui chronique des disques comme il analyserait un film de François Ozon. Pour le dire clair, cette musique est un steak de cheval heavy metal. Pas vraiment le genre de musique d’ambiance qu’on passe chez soi pour assoupir ses amis trentenaires, plutôt une B.O. imaginaire pour gros bourrins touillant leurs thés avec une carabine. Faut-il préciser que c’est cent fois plus violent, stupide et jouissif qu’un clip de Romain Gavras ?

Pas de quartier

Sur son propre label nommé No Quarter (certainement pas une référence à la chanson éponyme de Led Zeppelin), Carpenter Brut a publié depuis 2012 trois EP fondamentaux et réunis en 2015 sur un vinyle (« Trilogy ») qui se vend à 250 € sur Discogs. Fin de la parenthèse économique. Pour en arriver à cette consécration silencieuse, il est d’abord retombé, comme tant d’autres, dans le plaisir coupable des années 1980. Les interludes musicaux de séries américaines de seconde zone, les parties de synthé composées par John Carpenter (forcément) mais aussi le retrogaming dans ce qu’il a de plus beau, mélodiquement parlant. « [Les thèmes de] Agony, Gods et Speedball 2 sur Amiga ont dû me donner envie de composer ma propre musique, explique-t-il par mail. Surtout que j’ai commencé à composer mes crottes avec un tracker sur Amiga… »

Le son de l’Amérique VHS des années 1980 à son climax couplé aux univers esthétiques de Quentin Dupieux (l’absurde), Koudlam (la désolation) et Kavinsky (Miami trempée dans les cristaux liquides), c’est la carte postale envoyée par Carpenter Brut depuis l’enfer du bon goût. Un enfer pour les oreilles sensibles ne supportant pas le dégueuli de synthétiseurs coulant par tous les ports USB ; une jouissance pour tous les déclassés qui ont grandi avec Michel Sardou, Europe et Slayer. Tout ceci est tellement bien fait qu’on pourrait presque croire que le come back aux synthés de Carpenter, le vrai, n’est qu’une pale imitation tapotée par un newbie.

« T’es crédible quand tu vends dix CD, après t’es plus un TRVE »

Les zombies se cachent pour remourir

Si la personnalité de Carpenter Brut fascine les foules, c’est évidemment pour le côté proustien de sa musique qui ramène une armée de trentenaires à leurs sucettes eighties, mais c’est aussi parce que Carpenter Brut est, depuis ses débuts, davantage un concept holographique qu’un groupe de glandus n’ayant rien à dire devant un micro. Évidemment, les parallèles avec l’électro crushée de Justice sont nombreux ; de même que l’influence du maître moustachu de l’horreur est omniprésente. Autant dire que le groupe disposait d’un boulevard pour devenir le chouchou des médias en manque de sensation, mais c’est une erreur 404. Des photos du leader ? Il n’y en a pas. Ou peu. Les interviews ? Elles se comptent sur les doigts de la main d’un zombie lépreux. « Je pense que la musique est plus importante que celui qui la fait. Pour les médias, c’est l’inverse. Je n’ai donc jamais évoqué mon nom ni trouvé intéressant de faire des photos promos. » Le peu de pognon qu’il engrange sur la route ou en plaçant ses morceaux dans des pubs ou des B.O. de jeux vidéo, il préfère donc le claquer dans des clips où il n’apparaît… pas. La stratégie est connue, d’autres en ont fait des carrières. Sans dire qu’il s’agisse d’un modèle à suivre, Carpenter Brut est bien la preuve que le rôle prescripteur des médias est une connerie sans nom. Certes il ne remplit pas encore des stades, mais cette invisibilité ne l’empêche pas de se faire aimer. « Si le sens de ta question est ‘’comment tu fais pour qu’il y ait du monde à tes concerts alors que personne ne parle de toi dans la presse ?’’, je te dirai qu’il y a plus de gens qui traînent sur le web à découvrir des playlists et découvrir les artistes par eux-mêmes que d’acheter des magazines qui te vendent du pâté Hénaff pas frais en te faisant passer ça pour du foie gras, et que ça commence à se voir. » Dit autrement, Carpenter Brut ne prend pas ses fans pour des jambons. Et ça aussi, ça commence à se voir.

Pas de pitié pour les synthés

Comme dans les fast-foods, il y a à boire et à manger dans cette courte discographie. Des génériques de téléfilms avec Chuck Norris composés par Gaspard Augé et Xavier de Rosnay (347 midnight demons) avec low kick dans la tronche du méchant (un Chinois, forcément), des anthems sataniques pour rire et danser entre gamerz (Division Ruine), des génériques de jeux vidéo qui n’existent pas (Meet Matt Stryker aurait pu servir de bande-son à Duke Nukem, à l’aise) et quelques étrangetés romantiques comme ce Paradise Warfare, sublime, où un sax déboule en jet-ski pour lapider la tête de dauphins tueurs.

Fatalement, il n’en faudra pas plus pour que la France d’en haut – celle qui n’aime pas le succès soudain – et celle d’en bas – celle qui jalouse – se réunissent dans une détestation conjointe du bonhomme. Comme avec son petit frère Perturbator (emmené par James Kent, fils de Nick le critique), on sent bien le mépris pour ces tapotages de pianos jouets futuristes. Social-traître, perds-tu ton sang froid ? « Au début, les gens trouvaient ça cool. Et puis quand Carpenter Brut est devenu « connu », voire « commercial », fatalement c’est devenu de la merde. T’es crédible quand tu vends dix CD, après t’es plus un TRVE [un vrai, un « true », NDLR]. Du coup, être dans une pub, t’es un traître, t’imagines bien. Même au sein de la synthwave, on m’a traité de vendu, ah ! ah ! Il n’empêche que je reste indépendant, avec mon propre label et que l’argent d’une pub me permet de produire un clip comme Turbo Killer. » 1,5 millions de vues sur YouTube. Les chiens aboient, la caravane rouge sang passe.

Plaisir Toutes Taxes Comprises

En bon Français, il serait évidemment tentant de pointer les quelques faiblesses du projet Carpenter Brut ; le fait que cette esthétique métal soit clivante pour le plus grand nombre, qu’il n’y ait musicalement rien de neuf sous le soleil (de Satan) et pas encore un seul véritable album à se caler sur la gencive. Pendant qu’on est là comme trois couillons dans un salon littéraire à gloser sur les futurs et ses possibles, le groupe tourne aux USA sans aucun problème (avec le groupe suédois Ghost), vend des centaines de disques digitaux sans l’aide de personne et redonne vie à de vieux monstres inanimés. Quant à savoir quand les médias se réveilleront, je crois que tout le monde s’en fout. « Parler d’un projet sans le respecter, chercher à se faire mousser avec une info que les autres n’ont pas eue, voila où on en est. J’espère que ces médias ont une bonne assurance dentaire. » En bon antéchrist, Carpenter Brut a encore plein de pains à distribuer.

https://carpenterbrut.bandcamp.com/

5 commentaires

  1. Le clip de Turbokiller fait-il reference a Christine de Carpenter?,la fille se fait etouffer au gaz,aux freres la truelle?,elle se fait etouffer dans une pyramide,avec une telecommande pyramide,au film Immortel d’Enki Bilal?,qui a aussi sa trilogie,celle de Nikopol,le personnage masculin avec son masque a respiration,lui qui ne supporte pas l’atmosphere terrestre.
    Des lors,et vu le contenu de la trilogie d’Enki Bilal,le blackout mediatique est logique?

  2. Il suffit de lire la bonne presse, New Noise parle de ces groupes depuis des années et a même mis Perturbator en couv il y a quelques mois. Peu de de chances de les voir chez Rock n folk, Les Inrocks ou même Trax, c’est certain…

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