S’il vous venait l’idée, un beau soir de pluie déprimant, de chercher sur Google des hérauts de l’underground français, morts ou enterrés par le temps qui passe, il y a de grandes choses que vous tombiez sur Paris70, un site crée voilà quinze ans par un anonyme, Bernard Bacos. En hommage au courant d’air que furent les seventies à Paris, une demie porte ouverte sur le nouveau monde en changement, les deux doigts branchés dans la prise et les cheveux collés au plafond. Période Punk.

Dans le mausolée olé de Bernard Bacos, les photos sépia survivent aux cotés des portraits insouciants. Des minets des Champs Elysées à la bande du Drugstore, des gauchos de 68 aux premières fêtes branchées de la rue aux Ours de Serge Kruger, Bernard Bacos a tout flashé, témoin très discret d’une époque victime des ravalements de façade.
Pacadis, il l’a bien connu. Les autres aussi. Tous ? Presque. Bernard, la soixantaine dégarnie mais le débit speed, n’a rien oublié de ses années bohèmes à se débrouiller dans l’intérim pour toucher au Graal de l’immersion underground, à vivre de petits boulots pendant les dix ans qu’auront duré sa première jeunesse. De 1972 à la fin des années Palace, être branché est un combat, une extension du domaine de la lutte pour échapper au prolétariat, à l’ORTF et Michel Sardou.
Correspondant d’époque pour quelques fanzines US (Search & Destroy), Bacos – plus vraiment l’idéal du jeune premier – a traversé ces années en dandy, dansant sur les cendres de la pensée 68 à crever les plafonds pour oublier les gueules de bois. Quand la majorité des acteurs d’origine déforment le propos et radotent en boucle des histoires dégénérées, le créateur de Paris70 dépoussière méticuleusement toutes les poupées, d’Elodie Lauten (prêtresse proto-punk égérie de Pacadis, Jacno) à Edwige « crinière blonde et épingles à nourrice » en passant par Marie France et ses Gazolines en quête de sens. Sur l’une des photos les plus connues (voir ci-dessous) de cette époque bénie qui n’aura laissé que des souvenirs en white flash, Marie France, Patrick Eudeline et Alain Pacadis trônent au banquet de l’underground comme dans les meilleures illustrations de la cène. A ce détail près que nos trois compères rompent le jeûne avec coups de tranquillisants et autres boites vertes remplies de Neo-codion. Chacun sa croix, en dépit de leurs prophéties naïves ou légendaires.

Étiqueté souvent à tort comme l’un des rares loosers rescapés d’une décennie brillante – ne serait-ce que pour ses attraits glam, Bacos tient encore debout, son site aussi. Etoile du berger pour les nostalgiques, celui qui pense que « les jeunes n’ont forcément raison parce qu’ils sont jeunes » et qui ne croit plus au mythe de mai 68, cet homme là me donne rendez-vous au Café Flore, en plein été 2010. Plutôt que de se remémorer le « bon vieux temps », nous humons ensemble l’air du Paris d’autrefois.

Historiquement et tous genres confondus, Paris70 est aussi l’un des plus vieux sites français. Qu’est-ce qui t’as poussé, au départ, à créer ce site d’archives ?

Dès 1995, j’ai eu un véritable flash pour Internet. J’en avais jusque là entendu parler, mais c’est cette année là que je me suis connecté la première fois. Ce fut un flash, d’autant plus que je suis informaticien – reconverti, disons. A ce moment là, des souvenirs de l’époque ont commencé à remonter à la surface, des livres sont sortis, tout a finalement coïncidé. L’autre chose importante, c’est que ce sujet n’était pas encore pris sur le net. Le thème de Paris 70, il est inédit, c’était important pour moi de faire quelque chose qui n’ait pas été fait.

Es-tu surpris par tout ces gens – souvent jeunes – qui te contactent pour te faire parler de la décennie 1970, 30 ans après ?

Je n’avais pas anticipé tout cela, d’autant plus qu’à l’époque je n’écrivais pas, c’était le travail de personnes telles que Pacadis, qui avait déjà une certaine vision. Souvent les mouvements intéressants se passent à des moments où les gens n’ont pas conscience que cela deviendra quelque chose de big plus tard. J’ai simplement une très bonne mémoire, jamais pris aucune note, mais si j’avais su que trente ans plus tard que je ferais un site internet, que j’écrirais… Mais très franchement, je ne suis pas surpris par l’attrait des jeunes pour Paris70, ou dans une plus large mesure pour cette période. Dès les années 80, 90, certaines personnes éprouvaient de la nostalgie pour la fin du 20ième siècle, ne serait-ce qu’avec le phénomène house, le revival du summer of love, les groupes anglais qui piochaient dans les sixties… La nostalgie n’est pas chose nouvelle, vis à vis de cette époque.

A quel moment rentres-tu dans le petit cénacle des branchés parisiens des 70’s, et surtout : pourquoi ?

Le tournant, c’est autour de 1970, encore petit bourgeois : je deviens hippie. Il se trouve que m’a famille m’avait quitté, et pas l’inverse, dans le sens où mon père était parti travailler aux Antilles, ma famille l’avait suivi. Et moi j’ai décidé de rester (à Paris, NDR), j’avais 19 ans et aucune envie d’aller vivre là bas. Je reste donc seul, livré à moi-même, c’était une opportunité en or pour moi. Au départ j’ai commencé à trainer avec une bande de hippies, des mecs variés, de banlieue et d’ailleurs, mais pas à proprement parler l’élite underground. Kalfon, Clementi, je les rencontre en 72-73 à la Coupole, c’est là bas que j’ai commencé à me sentir intégré à une famille underground, à vivre des choses excitantes. La nuit, c’était la fête là bas, beaucoup de hippies chics, comédiens, artistes, musiciens, qui épousaient ce style et ces valeurs, le gout de l’esthétique. Et c’est à ce moment là que j’ai rencontré Adrien, Zermati, Adrien… Ca plus les concerts, qui étaient un vrai moment de ralliement à l’époque, même si on passait en général tout le concert accoudé au bar. C’était la grande spécialité d’Adrien d’ailleurs, il passait systématiquement son concert au bar, écoutait quelques bribes pour les vibes et fantasmait ses papiers en humant l’atmosphère. J’allais souvent voir des concerts par passion mais c’était aussi et surtout l’occasion de se retrouver, avec les groupies.

Quels sont les facteurs qui annoncent selon toi cette époque, disons, décadente ? Du moins : électrique.

Il y a plusieurs choses, à commencer par le rock. J’étais très attiré – depuis mes 13 ans, par la culture des Stones, entre autre. Déjà à l’époque, une grande majorité des jeunes était plan-plan et puis il y avait ceux qui voulaient bouger, danser, se retrouver sur du Rythm & Blues, du rock. Cela a donné les Minets. C’était l’après-guerre, les parents avaient une certaine compréhension pour les gens qui voulaient s’amuser.
Mais pour moi, l’époque baba est beaucoup plus intéressante que l’aventure punk par exemple, avec toute la désillusion qui en est née. C’était incroyable, avec le recul. Puis je me suis intéressé au punk, je comprenais le mouvement, d’autant plus renforcé qu’on entrait dans une époque de récession économique.

« Nightclubbing », d’Iggy Pop, colle parfaitement à cette époque.

Totalement. Ce qui est fondateur, c’est Gloria Gaynor, les débuts du disco. Et le punk aussi, beaucoup d’événements au Gibus. Avant même le punk, il y a eu une tendance à se raccourcir les cheveux, pour se chercher du boulot, par esthétique. Certains ont aussi changé de look progressivement.

Quel est le déclencheur, début des années 80, qui marque l’arrêt du nightclubbing ?

Tout cela coïncide un peu avec la fin du Palace, mais pour moi c’était déjà ans l’air un ou deux avant, vers 1982, une certaine lassitude, l’impression que tout avait été dit, que tout tournait à la répétition, même si certains continuaient à sortir. Et puis le SIDA fut un frein, inévitable.
Quelque part, on avait transgressé tous les codes, on avait été au bout, à tel point que ça débouchait souvent sur l’auto-destruction. Mais le monde ne s’est pas arrêté pour autant. Notre génération a progressivement été touché par la désillusion, la même que celle qui nous avait amené au punk, quelques années auparavant, l’impression du déjà vu. Et le mouvement new-wave ne m’a pas accroché, je me suis reconnecté sur le phénomène house, beaucoup plus excitant. Il est vrai que les années 80 sont souvent assimilées à une certaine régression, un certain conformisme, les jeunes générations n’avaient aucune considération pour l’excès des ainés.

Que se passe-t-il entre le moment où tu sors du milieu, début des eighties, et le moment où tu crées Paris 70, fin des nineties ?

C’est un peu plus nuancé. Il y a une rupture, c’est sûr, j’ai arrêté de sortir régulièrement début des 80’, je me suis stabilisé, mais je conservais un pied dans le mouvement, notamment avec le reggae, jusqu’au début des années 90 avec une émission sur Radio Aligre. Il est vrai que j’ai pris mes distances, mais en conservant un pied dans l’underground.

Avec les débuts d’Internet, ressens-tu la même excitation que tu avais pu éprouver avant, avec le rock, par exemple ?

Ce qu’on appelle le 2.0, les réseaux sociaux, ça a été une grande révolution. Les gens ont initialement mis du temps à se connecter, mais aujourd’hui, depuis 2 ans dirais-je, c’est une nouvelle étape excitante, ça peut être excitant disons. Je constate un nouvel élan avec le phénomène Facebook, le même qu’aux débuts d’Internet, puis de la génération blog.

Plus de conflit de génération, donc. Mais aujourd’hui nombreux sont ceux qui radotent sur cette époque, ce n’est pas ton cas.

Ah non, effectivement. Nous, on a commencé à se foutre de la gueule des soixante-huitards avec les punks, on se moquait des vieux gauchos, des vieux babas. Puis à l’époque du punk, il fallait voir les réactions outrées de certains milieux, de Libé par exemple, où de Pacadis qui se faisaient foutre sur la gueule, Bazooka qui se faisait expulsé.

En parlant de Pacadis, on se rend compte que Pacadis est l’un des seuls héros médiatiques de l’époque.

Libération, où il écrivait, était tout de même un journal de gauchiste militant assez récent, ce n’était pas évident pour eux d’ouvrir les colonnes à des mecs comme Pacadis, ils ont senti la révolution arriver, pour ça je leur tire mon chapeau. Dans Libé’, c’était normal que Pacadis ait été à l’étroit, dans d’autres – comme Rock & Folk, c’était beaucoup plus accepté, pour l’esprit rock.

Un peu de name dropping maintenant. Ton sentiment sur… Patrick Eudeline ?

Il est hyper authentique. Je l’ai vu commencer quasi timide au début des 70’s. Qu’il ait un peu fantasmé l’époque, peut-être… Faut dire qu’il a beaucoup d’imagination, mais quand je le voyais, avec Asphalt Jungle, c’était un vrai passage à l’acte, musicalement. Et il était vraiment destroy, c’est un vrai vécu, pas un poseur. Un acteur, au même titre qu’Adrien.

Yves Adrien ?

Je le revois ponctuellement, il vit à Paris désormais. Il a toujours vécu par éclipse, je l’ai connu avant son arrivée à Rock & Folk, puis il est parti. Il n’a fait son come-back qu’à l’arrivée du punk – alors qu’il l’avait prophétisé, au festival Punk du Palais des Glaces, le mouvement était bien lancé. Il a toujours vécu par phases, il était là de 77 à 80, à vivre chez des gens à Paris. Puis a refait son éclipse. Dès 74, il s’était retiré, à me dire qu’il n’écoutait plus que Frank Sinatra.

Alexis Quinlin ?

Je l’ai connu avant l’époque Taxi Girl, il s’occupait d’Asphalt Jungle à une époque, quelqu’un de dynamique.

Philippe Manœuvre ?

Je n’ai parle pas vraiment sur le site, et pourtant il était là. Je le connaissais en plus, c’était un passionné de rock, assez précurseur, branché sur l’Open Market, les Flamin Groovies. Au départ, ce n’était pas vraiment un branché, plutôt un fan arrivé au journalisme par passion. Mais il ne fait pas parti des précurseurs, des pionniers. C’est Rock & Folk qui a fait de lui quelqu’un de mondain.

Marie France ?

Je l’ai connu très tôt, à l’époque hippie, au début des années 70 dans le quartier latin. Elle était encore à l’Alcazar, puis je l’ai recroisé dans le mouvement Gazoline, le glam, le rétro, le punk. Elle a toujours été là, depuis les années 60, la Pergolat dans le boulevard St Germain, où elle allait souvent.

Toi, acteur ou témoin ?

Un peu des deux.

Tu n’as jamais été tenté de travailler dans ce milieu ?

Disons que j’ai fait de la musique, quelques groupes de rock. C’était ma façon de participer, c’est ce qui me branchait le plus : être rock star. Puis j’ai un petit peu fait de journalisme, pour un magazine punk américain, Search & Destroy. J’étais un peu le correspondant parisien du mouvement à Paris, quelques articles.
Beaucoup de gens se demandent pourquoi je n’ai pas fait carrière dans ce milieu, moi le coté coterie, se faire bien voir, à moins d’être une star tu es obligé d’aller dans le sens du vent, suivre les tendances, accepter le mensonge. Je préférais faire une carrière dans l’informatique, dans l’anonymat. Et j’ai vu beaucoup de gens se renier artistiquement, pour le coté vendeur. Des gens de l’industrie se sont mises à promouvoir des choses qu’ils n’aimaient pas du tout. Ca me dégoutait.

Vivant toujours à Paris, t’arrives-t-il de passer dans certaines rues et d’avoir des flashbacks de cette époque ?

Bien sûr. Typiquement ici (le quartier St Germain) où il reste encore quelque chose, comme au quartier des Halles. Le passé est toujours une partie intégrante du présent. Comme à Londres, où je retrouve l’ambiance. La rue Bussy, il y a toujours quelque chose du passé.

Visuellement, le site est très ancré dans un design très…. HTML circa 1997. Un comble, lorsqu’on sait que tu es informaticien de formation.

J’y ai pensé plusieurs mois, mais déjà, techniquement, le site ne possède pas de frames. Si quelqu’un arrivait avec une idée novatrice, pourquoi pas… mais il y a énormément de contenus, de liens, les gens parviennent à s’y retrouver, par habitude. Vu que c’est un site à vision nostalgique, c’est même assez cohérent, finalement. Grâce à cela, j’ai pu rencontré beaucoup de personnes que je ne connaissais pas à l’époque.

Maintenant que tu sembles avoir crée une vaste base de données – personnes, photos, biographies – comment s’effectue la mise à jour du site, désormais ?

Les principales mises à jour sont actuellement des contributions, depuis 2-3 ans j’ai à peu près tout dit. Gilles, de Pierre & Gilles, a fait énormément de photomaton de l’époque, de gens dont je parle mais dont je n’avais pas de photos, je vais pouvoir compléter les contenus. Et sans ça, je ne fais plus que quelques mises à jour minimes, notamment quand quelqu’un décède.

http://paris70.free.fr/
Photos : Fiston

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