Ces troubadours signés par Sub Pop ont le sens de l’épique et de leur époque. Leur quatrième album va donner quelques complexes aux rares groupes de rock qui continuent de chanter dans la langue de Jacques Cartier.

On savait qu’ils excellaient dans l’art des guitares alambiquées et des cadences soutenues. Sur leur nouvel album bizarrement surnommé « Mimi », ils confirment leur statut de cadors en la matière, tout en assumant des voix clamées et des chœurs qui restaient autrefois masqués sous la pression de la réverbération. Le résultat est un bijou d’orchestration et d’arrangement. Les rythmiques rivalisent d’ingéniosité (Phase IV, Mon argent, Jump Cut). Bref : le savoir-faire est total.

Par intermittences, certains morceaux font penser au meilleur de Polnareff (l’album Polnareff’s) si ce brave Michel avait eu la bonne idée d’enregistrer un album avec le Velvet Underground ou l’un de ses émules. Le son Corridor doit beaucoup aux femmes, ou plutôt aux Femmes. Corridor est un héritier de Women, et le groupe de Calgary est lui-même l’un des multiples rejetons illégitimes du Velvet Underground. Ecoutez successivement Heat Distraction de Women et Mon argent ou Jump Cut de Corridor, par exemple, pour vous en assurer.

Mais il faut aussi dire leur singularité, cette maîtrise de la fabrique de la pop aux accents psychédéliques, ces nappes de synthé qu’on ne trouvait pas sur les précédents albums, ce métallophone sur le morceau Porte ouverte, et autres trouvailles qui font de Corridor un groupe à part entière.

Le disque est placé sous le signe du septième art, avec trois titres qui font référence à des techniques et outils cinématographiques (Pellicule, Caméra, Jump Cut), et j’aime à penser qu’il s’accommode bien du mouvement en général et des voyages en train/tramway/car durant lesquels on regarde le paysage défiler à travers la vitre. Le clip de Jump Cut est l’un des plus beaux que vous verrez cette année, de surcroît.

La galerie des personnages de l’album intègre quelques paumés (Chenil), des fauchés, des fragiles (Phase IV), des types qui s’arrangent tant bien que mal avec les contraintes de l’âge adulte (Mon argent). C’est pas Le Cœur des hommes non plus, mais un panorama en ombres portées de ce que la vie post-Covid offre comme perspectives pour les hommes d’une trentaine d’années épris de mythologies rock.

L’album s’achève en apothéose lyrique avec deux morceaux qui parlent de la mort et des dernières fois.

Tout ça m’a donné envie de relire Gaston Miron, dont les textes correspondent en partie à l’ambiance du disque, par exemple son poème Au sortir du labyrinthe qu’on trouve facilement dans le recueil publié en France aux éditions Gallimard (ou chez Typo au Québec) :

« Quand détresse et désarroi et déchirure
te larguent en la brume et la peur
lorsque tu es seule enveloppée de chagrins
dans un monde décollé de la rétine
alors ta souffrance à la mienne s’amarre, et pareils
me traversent les déserts de blancheur aiguë »

Je ne suis pas sûr que le groupe ait le barde québécois sur sa table de chevet mais je crois que c’est comme ça que je définirais Corridor, au fond : du rock « rapaillé », une synthèse de ce qui se fait de mieux des deux côtés de l’Atlantique et qui conjugue mélancolie et frénésie.

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