« Si une œuvre me semble importante, si un artiste a quelque chose a nous raconter ; il me suffît de décrocher mon téléphone et il est sur mon plateau la semaine d’après. Ceci est une chance face au reste de la société et je ne l’oublie jamais. » Stéphane Paoli, Journaliste a France inter.
Vous sentez-vous groover ? Votre corps se tord-t-il sous l’impulsion de votre esprit allant de plus en plus loin ? Vous sentez-vous parfois plus vivant quand cette chanson atteint vos oreilles, ces mots vous heurtent le cœur ? Vous le connaissez bien ce sentiment qui vous a fait dire cent fois : « il n’y a pas de meilleure drogue que la musique, la littérature et le sexe ». Oui, je l’entends souvent dans vos bouches. Alors pourquoi n’avez-vous pas encore passé le pas de vivre à la hauteur de vos frissons ? Oui, pourquoi me semblez-vous tous si éteints, si ennuyés ? A cette question ; l’autobiographie annihile le travaille littéraire ; les plus fort ont rétorqué : « Mais c’est ma vie qui est une œuvre d’art ». Cette phrase vous file-t-elle des insomnies ? Mais dans quel camp êtes-vous pour trembler ainsi ? Perdez-vous de vue le but définitif de l’humanité : la liberté ? Le seul combat qui vaille la peine d’être vécu. Le plus facile pourtant. Celui auquel l’éternel a consacré son sixième jour. Sommes-nous fait pour autre chose qu’être libre ? Nous pouvons disséquer notre monde, crée des richesses virtuelles ; mais que restera-t-il de notre marche humaine si nous n’insufflons pas la liberté a chacun de nos pas ?
Warren Ellis est un cerbère. Il me regarde de ses petits yeux sévères surlignés de deux épais sourcils tracés à l’encre de chine. Son long nez aquilin et ses lèvres taillées en couteaux dénotent un esprit fin et sans pitié.
Son corps long tout en longueur lui impose une aura de monstre mythologique. Il est le sage sur la montagne, le chasseur des forêts et le maréchal ferrant en même temps. Il est celui qui contrôle et nous sommes ceux qui prennent la leçon. Rarement un artiste m’a désarçonné dès sa première phrase. Que ce soit dû a son d’accent Australien (douloureux à mes oreilles) ou à son assurance sans feinte, il reste ce type, un sorte d’émanation ; le pur produit d’une vie dédiée a l’art et aux tréfonds de l’humanité. Il est de ceux qui ont réussi leur pari. Il reste notre devoir de dénouer l’énigme. Sur cet homme, croupier astral, je mettrais mon tapis !
Cette compilation de vos B.O, White Lunar, est vraiment déroutante. Pourquoi avez vous sorti cet album?
Au début de l’année, Nick (Cave) et moi parlions de toute la matière que nous avions amassé ces dernières années. Nous avions fait deux comédies musicales pour le théâtre (B.O.F. de Woyzeck et La Métamorphose de Kafka Ndr), deux B.O de documentaire et trois films… mais toute cette musique n’avais pas encore été sortie. Nous voulions donc prendre tous les meilleurs morceaux de notre travail commun et les sortir sur un même album. Pour les pièces de théâtre, nous les avons laissé au théâtre ; pour le reste, nous avons imaginé une sorte de package conceptuel de toute cette musique dormant dans un placard. Pour nous, cette musique n’est pas que de la musique de film. Toute l’idée, c’est que ces morceaux ne sont pas que des thèmes sans conclusion ou des atmosphère de 20 secondes… Ce sont des morceaux qui peuvent vivre indépendamment.
Pourtant cet album n’est pas très narratif, il est très dur d’en tirer quelque chose. La musique est très éthérée… l’auditeur a besoin d’une notice pour l’écouter.
Le deuxième CD donne peut être plus que le premier. Le premier compile les morceaux que nous avons mis dans les trois films (The Proposition, L’assassinat de Jesse James, The Road Ndr). Ce sont les bons thèmes de ces films… un sorte de Sampler. C’est la même chose que d’acheter une compilation de Morricone. Après, j’en ai rien à foutre que cela pose de problème au gens. En fait cela me fait plutôt plaisir. Qui veut que les choses soient faciles?
Mais le deuxième Cd, c’est une écoute intéressante. Si tu prends le temps d’écouter, tu vas en tirer quelque chose. Je ne peux pas vraiment instruire quelqu’un sur comment l’écouter. Tout comme je ne pourrais pas apprendre à quelqu’un à écouter AC/DC. Si tu ne comprends pas AC/DC, c’est foutu. Si tu pense que c’est du rock stupide, tu ne pourra pas comprendre ce qu’il y a derrière.
Bien sûr. Mais vous dites que vous avez mis les Thèmes par exemple… Pourtant vos B.O ne sont pas comme celle de Luis E Bacalov ou Ennio Morricone… Ce n’est pas une musique épique.
Je pense que mes albums de B.O sont déroutants. Je ne peux pas écouter un album de B.0. Mon problème, c’est que sur un album complet, tu as une ou deux choses intéressantes et le reste n’est composé que des petites atmosphères. Je pense que c’est la différence que l’on a quand Nick et moi décidons de faire une musique de film. Notre approche est exactement la même que pour faire de la musique pour les Bad Seeds ou Grinderman. Nous faisons la musique avant le film. Puis nous voyons a postériori ce qui va avec le film. Je pense que si nous n’avions pas utilisé ces morceaux pour une B.O.F., nous l’aurions sorti comme cela. C’est presqu’un malheur que cette musique soit utilisée pour des films : la vision des gens est maintenant figée.
C’est drôle car Goblin m’a dit qu’ils n’étaient pas un groupe de B.O.F., mais un vrai groupe. Certains morceaux de The Road, par exemple, me font penser a No More Shall We Part.
Tu as lu The Road de Cormac McCarthy? Le dernier qu’il ait fait après No Country for Old Man. C’est très sombre, une histoire de fin du monde. Un père et son fils qui traverse les USA dévastés. La musique est très contrastée par rapport à ce qui se passe. C’est l’aspect positif du film. Nous l’avons composé en un bloc, avec des moments effrayants, différentes ambiances… C’est marrant que tu parles de Goblin car leur musique sonne davantage comme un groupe jouant ses propres chansons, leurs albums marchent sans les films. Tout comme Popol Vuh qui a fait des B.O pour Werner Herzog… Ces groupes ont une approche différente de la musique de film, une approche que nous partageons avec Nick. Nous voyons notre musique comme pouvant marcher sans les images.
Il y a une choses qui est très étonnante par rapport à cette musique : j’ai toujours trouvé la musique de Nick Cave pleine de rage, que ce soit une énergie pure ou une colère sourde… mais ici tout est très éthéré, c’est a l’auditeur de mettre des expériences dans ces morceaux pour ressentir quelque chose.
Cet album n’est pas tout de suite parlant. Je pense qu’il faut se déconnecter, vraiment faire le pari de se laisser prendre par cet album. Il faut vraiment être ouvert. La B.O.F. de The Proposition a été faite dans la droite lignée de Grinderman. Nous étions capable d’aller vers ce genre de chose. Pour quelqu’un comme Nick, que les gens connaissent, que les gens attendent, avec un certain style ; c’était le moyen de sortir de son moule et de pouvoir se libérer. Cet album était la démonstration que nous pouvions faire quelque chose de différent. Mais je pense que c’est bien que tu dises que l’on ne comprenne pas. C’est bien moins énervant que si tu me disais que cela ressemble à la dernière chose que nous avons faite. C’est bien que tu ne vois pas ce que cela veut dire.
Mais vous, vous avez les clefs de cette musique !
Moi j’adore cet album. C’est certainement l’une des meilleures choses que j’ai faite. Je pense même que c’est l’une des meilleures choses de Nick a jamais faite. Enfin, ce qui est superbe avec cette album, c’est que Nick apparait comme un l’excellent musicien qu’il est, ce n’est pas toujours évident sur ses albums. Je sais, à force de travailler avec lui, que Nick a une incroyable approche de son jeu, et qu’il méritait bien d’être mis en avant… et c’est ce qui se passe sur White Lunar. Il a vraiment délaissé le chant pour faire sortir cet autre aspect de lui. J’aurais aimé que nous sortions le deuxième CD de White Lunar sans l’associer aux films…
En fait, Grinderman devait être un groupe concept où personne n’aurait su qui nous étions, nous voulions sortir l’album sans label etc… Juste le sortir et c’est tout. Puis nous avons réalisé que nous ne pouvions cacher la voix de Nick. La dynamique de base devait être la suivante : si nous voulions un instrumental de 20 minutes, nous pouvions. C’était l’idée. Et ce Grinderman là aurait certainement plus ressembler au deuxième CD de White Lunar. Nous l’aurions certainement enregistré comme ces albums de Radiohead…
QUOI !
Tu connais Radiohead ?!
Oueup..
J’aime la manière dont ils font ce genre d’albums. Ceux où ils abandonnent leurs structures de base et se laissent aller.
… heu, je n’aime pas vraiment Radiohead.
Yeah, moi non plus. Je pense qu’ils sont agaçant. Ils sont tellement prétentieux. Tu sais, une fois j’était en face de ce putain de Thom York qui me toisait carrément. Et Thom York disait : « Nous n’enregistrerons plus jamais d’albums parce que le dernier a été tellement douloureux à faire. On pense que nous allons faire que des singles et des EP ». Et j’étais là « humm, tu dis de la merde ». Et ces cons du Guardian ont fait leur couverture là-dessus. Jimi Hendrix mort à 27 ans, c’est une bonne Une, Janis Joplin, morte à 27 ans… Kurt Cobain s’est fait sauter le cerveau… et là « RADIOHEAD : « TROP DOULOUREUX POUR FAIRE UN AUTRE ALBUM » Fuck it.
C’est drôle qu’il vous ait dit cela, à vous qui avez joué sur des albums vraiment douloureux.
Le truc… j’ai joué dans cette autre groupe appelé Dirty Three qui était un groupe extrêmement chargé émotionnellement. Pendant les 6 ans où nous l’avons fait, ca m’a pratiquement tué car tous les soirs il fallait tout donner pour jouer cette musique. Puis j’ai eu des enfants et j’ai réalisé que je devais prendre de l’espace et avoir une autre approche de mon œuvre. Avant, j’allais vraiment vers ces « choses » qui réveillaient ma force en tant qu’artiste. Quand j’ai eu mes enfants, je savais que je ne pourrais plus faire comme avant, et cela m’a rendu plus fort en fait. J’ai enfin été capable de pouvoir écrire une chanson vraiment triste et de me détacher en même temps de cela. C’est devenu une création artistique. Mais si tu regardes, Nick n’a pratiquement plus écrit de ballade depuis No More Shall We Part. En interview, il dit qu’il a évolué ; il a gagné de la force créative. Même si le monde apparaît triste, l’artiste peut trouver l’énergie d’aller au-delà de ces apparences. J’ai fait beaucoup d’albums tristes dans ma vie, mais je n’aurais pu les faire si j’avais été continuellement dans cet état d’esprit.
C’est comme cette réflexion sur Gainsbourg : faire ses chansons d’amour les plus douloureuses alors qu’il vivait l’amour de sa vie.
Tu connais Heroin, la chanson de Lou Reed ? Tu sais quand il l’a écrite ? Il n’avait jamais pris d’héroïne. Il a écrit cette chanson et quand tu l’entends, même si tu n’a jamais pris d’héroïne, tu sais de quoi il parle. Et si tu a pris de l’héroïne, tu sais qu’il est en plein dans le mille. Il l’a écrite à 17 ans dans une putain d’université… C’est incroyable qu’il ait fait cela.
Justement comment s’est passé l’enregistrement de No More Shall We part? C’est un album tellement noir, profond… comment enregistre-t-on un album comme celui ci?
Je ne sais pas… Quand on enregistre un album, l’ambiance est l’une des choses les plus lointaines dans votre esprit. Quand tu rentres en studio, tu dois tout oublier de ce qui se passe a l’extérieur. Pour moi, la plupart des enregistrement exigaient que je sois concentré sur la musique. Tu ne peux pas bosser vraiment si tu es déprimé. C’est la priorité. Cela en fait une expérience intense et incroyable et cela ne s’estompe jamais. Nous avons fait No More Shall We Part à Abbey Road avec Nick, moi, Nick, Tobey, Tomy… Nous devions faire les prises pendant une semaine. Puis nous sommes partis faire les arrangements de cordes. Cet album a été fait très rapidement. Il était très important pour Nick pour plein de raisons personnelles. Il voulait que les textes soient très compréhensibles. Il a passé beaucoup de temps sur la prononciation des mots, l’articulation. Les voix sont sur-mixées sur cet album, elles devraient être plus basses. Il a été remasteurisé avec les voix moins fortes…
Pour être honnête, j’ai un bon souvenir des arrangements de corde avec Mick, faire ces thèmes et tomber sur ces choses merveilleuses… Inattendues. C’est la première fois que nous travaillions de manière si proche avec Mick. Nous étions vraiment surpris par notre travail sur Love Letter ou No More Shall We Part. C’était une grosse production et beaucoup de concentration sur le son. Mais je me souviens de moments vraiment créatifs. Ce n’était pas sombre et confus… C’était beaucoup de travail et de concentration.
Quand vous enregistrez un album comme celui-ci, vous faite apparaitre qu’il y a un lien spécial aujourd’hui entre vous et Nick Cave. A cause de cela, à cause de Grinderman… on peut se demander si les Bad Seeds sont toujours un groupe.
Les Bad Seeds sont un groupe et le seront toujours. C’est toujours à eux que Nick a besoin de présenter ses chansons et ses idées… puis c’est au groupe de les interpréter. Avant de les rejoindre, je n’avais jamais vu les Bad Seeds comme un backing-band plutôt comme l’un des groupes les plus uniques et originaux. C’est pour cela que j’aimais les voir et pas juste pour voir Nick Cave sur scène. Comme le Crazy Horse pour Neil Young. Je ne sens pas que les choses aient changé de ce coté… même depuis que je les vois de l’intérieure. Je sais quel est le travail que l’on met dans toute cette musique. Bien que Nick soit la personne connue ; il ne ferait jamais cela avec d’autres personnes. Ce n’est pas une coïncidence s’il est resté fidèle au même groupe après toutes ces années.
Warren Ellis & Nick Cave // White Lunar // EMI
14 commentaires
Rien a foutre, c’est une bonne occasion de bouger vos culs et de vous cultiver. Histoire de rendre hommage à un autre Warren Ellis.
hey !
j’l’ai vu au concert de the Dead Weather !
pas douloureux du tout le concert d’ailleurs !
😉