Anton Newcombe, figure emblématique du Brian Jonestown Massacre, a accordé une interview à Gonzaï pour la sortie de son dernier album, « Aufheben ». Cette fois-ci, nous avons droit à une entrevue simple avec un personnage apaisé, sympa et loquace, au cours de laquelle on parle de musique, de fin du monde et de liberté artistique, reléguant « DiG! » à un simple fantasme.

« Ne convient pas aux enfants, ce disque peut causer des maladies mentales »

« Aufheben » est un disque qui tranche avec le précédent, « Who Killed Sgt. Pepper ? ». On avait un album certes psychédélique comme l’ensemble de l’œuvre, mais faisant un hommage prononcé à la musique des années 80, notamment avec le très flagrant (et froid) This Is The One Thing We Did Not Want To Have Happen qui rappelait avant tout She’s Lost Control de Joy Division. Newcombe nous sert cette fois-ci un album dans une lignée ambiant psychédélique, qui contre toute attente serait fait pour « se déplacer ». « C’est étrange, parce que les gens passent tellement de temps avec des ordinateurs ou des trucs du genre… Cet album est bien dans les déplacements, en mouvement, quand ils marchent ou peut-être conduisent… Au bureau, pas tellement. Sur des haut-parleurs peut-être, je ne sais pas. Il est probablement fait pour faire différentes activités. Pas du sport, mais quand tu bouges, peut-être ». Rires.

5 mars 2012, entre 15h et 17h : « Putain mais ça veut dire quoi Aufheben ?! »

« Aufheben » est en effet un terme de la langue de Goethe, qui, comme la plupart des mot de cette idiome, est traduisible de différentes manières (une bonne vingtaine pour celui-ci, en comptant l’usage de verbe substantivé). Pour Anton, le rapport se situe à la fois entre la pochette de l’album, qui reprend les « messages » envoyés par les États-Unis dans l’espace (« homme-femme-nous on est là entre Mars et Vénus-on est gentils-on écoute des trucs chouettes »), plusieurs significations du terme et le contenu de l’album « Aufheben peut vouloir dire ‘détruire’, et en même temps ‘protéger’, ‘accumuler’, ‘préserver’. Donc, si tu le prends d’un point de vue culturel, ils ont détruit la culture pour l’accumuler et la sauvegarder. Ainsi, je pense que c’est un mot intéressant lié à l’humanité et à la pochette (qui reprend là fameuse « plaque de Pionneer »). Ça aurait pu être bien si un scientifique avait mis ce mot sur la plaque pour exprimer l’idée qu’on a besoin d’être détruits pour être préservés. Je m’intéresse à l’eschatologie (l’étude de la fin du monde – NdA) et je pense que c’était intéressant de mettre tout ça en lien avec le disque. » Bien sûr, le côté eschatologique des titres de l’album n’est pas forcément évident au premier abord. D’ailleurs je ne le vois toujours pas, même après avoir écouté ce disque 168 fois dans divers types de situations, attentivement ou non, et ce en moins d’une semaine. Newcombe affirme qu’il y est, « moi j’y crois ».

En m’envoyant le disque, Bester m’a soutenu qu’il y entendait des clins d’œil à des titres comme Paint It Black. Si le simple fait d’insérer des instruments orientaux dans un morceau est une référence aux Stones… (En retirant la mauvaise foi de mon propos, on peut effectivement y songer en écoutant Panic in Babylon, premier titre de l’album) C’est certes cohérent, mais assez réducteur, là où on entend plutôt des références, conscientes ou non, à la face A du « Just a Poke » de Sweet Smoke (Baby Night, un morceau psychédélique avec de longues improvisations, des variations et évolutions, qui prend toute la face du disque. Environ 17 minutes au pays des flûtes et des acides, le tout emballé dans l’une des plus belles pochettes qu’il m’ait été donné de voir). Et quand on lui demande de définir sa musique, il explique : « Je pense qu’il s’agit de psychédélique, mais pas comme dans les années 60 avec ces tee-shirts et ces lunettes dingues. C’est du psychédélique en tant qu’esprit en expansion. C’est particulier à cause des acides. Je pense que ça peut être amusant, mais c’est autre chose. »

Pourquoi le ciel est bleu ?

« Who killed Sgt. Pepper ? » a été composé entre Reykjavík, Londres et Berlin. « Aufheben », seulement à Berlin. Malgré les a priori et autres interrogations existentielles que nous avions, l’Islande est un pays froid, « Who killed Sgt. Pepper ? » rend hommage à une musique que l’on qualifie usuellement de « froide ». Berlin est-elle une ville ambiant et psychédélique ? D’ailleurs, Berlin est-elle une ville ? Comment fait-il pour garder la « patte Newcombe » dans tous ses albums alors qu’il part toujours dans des expérimentations diverses ? Papa, pourquoi le ciel est bleu ?

Finalement, de l’aveu du compositeur, rien de tout cela n’entre vraiment en ligne de compte, et mis à part à New York, ça n’a que peu d’importance pour lui. « Je pense que New York est trop folle, trop de choses s’y passent, tu ne peux pas faire de bruit, si tu veux en faire il te faut une lourde isolation… Quel que soit l’espace, il peut y avoir un rapport à l’environnement, mais je ne pense pas que vivre à Berlin depuis 2007 ait affecté tant que ça « Aufheben » au niveau de l’inspiration. Ça facilite l’enregistrement de titres en français, en allemand, en finlandais, en suédois ou d’autres langues, tu vois ? Ça permet de rencontrer d’autres gens, et je trouve ça intéressant comme approche. La musique n’a pas de règles ». Au niveau de l’indépendance, sa ligne de conduite n’a pas changé non plus : « Je veux suivre ma propre voie, parce que j’aimerais voir d’autre gens faire de même. Dans le business, ça marche au succès, quel que soit le groupe, et si ils ne vendent pas assez de disques on les renvoie d’où ils viennent. C’est bizarre. Je pense que si tu prends ton propre chemin, si tu fais ton propre truc depuis longtemps, l’industrie n’aura pas le pouvoir de dire que c’est fini. »

Dans le futur, Newcombe veut composer des bandes originales pour le cinéma, à la manière classique, conventionnelle. Il déplore le manque de musique de film vraiment épique. À l’image de sa musique, ce garçon veut avant tout tenter des expériences, qu’elles soient humaines ou musicales, sachant qu’en général les deux sont liées et qualifiées d’ « art moderne abstrait avec technologie » dans l’idée d’approche de la rencontre. C’est par exemple le cas avec le morceau intitulé Seven Kinds of Wonderful dans lequel un Français nommé Thibault, qui a un groupe à Grenoble, et sa copine allemande chantent en français. C’est certes noyé dans l’écho et dans différentes strates sonores, mais c’est bien le cas. Si on devait résumer le disque, et aussi le personnage d’Anton Newcombe, on emploierait les termes d’indépendance, de rencontres, d’expérimentation. Mais surtout, après avoir rencontré cet homme nouveau, on doit oublier toute la période mise en images par DiG ! Qu’on doit désormais, face à l’attitude de ce « héros malgré lui », reléguer à un simple fantasme fait d’ « erreurs de jeunesse ». Le concert de plus de dix heures dans ce local perdu du Parti Communiste Américain pour une dizaine de personnes s’est achevé il y a plus de dix ans. La fin du monde, censée arriver cette année, ne sera finalement pas si mal avec un disque de qualité comme « Aufheben » dans les oreilles.

The Brian Jonestown Massacre // Aufheben // Differ-Ant
http://www.brianjonestownmassacre.com/ 

Crédit photo ouverture: Richard Bellia

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