Dans l’enfer climatisé des villes-plages et sous le ventilo du salon brassant un air trop chaud, des envies de dépaysement à rebours des péages et des quais de gare peuvent se manifester. La musique adoucissant les morts vivants et les morsures d’un été réclamant son lot de kilomètres parcourus pour faire croire qu’ailleurs, les choses changent. Plongeons si vous le voulez bien dans quelques disques qui ne rempliront jamais de stades mais qui valent quand même la peine de se sortir les doigts du culte.

Hook & The Twin, « Never Ever Ever »

The Twin Power. Trois ans. Trois putains d’années à attendre le premier LP de Hook & The Twin. Découvert ici même sous la plume de Monsieur Hilaire Picault, notre avis fut immédiatement définitif : ces deux-là allaient s’emparer du monde. Leurs deux singles s’appelaient Bang Bang Cherry et They’ll Get Your Head et ils avaient eu la mienne en trois écoutes. Quatre décennies musicales digérées en deux tubes, ça avait de quoi laisser pantois. Et rendre impatient. Quelques mois plus tard, concert. Et ce souvenir émerveillé de constater qu’ils étaient capables de jouer ça en dehors de leur studio. On tenait les kings de la pop 2.0. Puis plus rien. Un long silence. Suivi d’une frustration XXL.
Comme dans les films, « Never Ever Ever » est sorti sans prévenir, il y a quelques semaines. Mon premier achat bandcamp. Comme un ado. Clic, clic, clic, fièvre, fièvre, fièvre. Et puis le zip est là. Joie. Peur de la déception. Rassuré et inquiet de voir que les deux singles sont sur le disque. Du grand n’importe quoi. Le bouton play vient mettre fin à ces jérémiades. Et à trois ans d’attente. Comme disait mon voisin de bureau, comment appeler ça autrement que « ce machin » ? Nos deux English (je soupçonne le chauve à moustaches de se taper les trois quarts du boulot) ont le cœur pop et le cerveau électronique. La première note du disque est un bip bip crispant que vient bousculer leur goût de la pop bien entêtante. Plus malin que Django Django, leurs coutures ne sont pas apparentes. That Was a Day est un single très singulier. Hook & The Twin, un band à part. « Never Ever Ever » un des disques de l’année. Malgré quelques temps faibles, il traversera les années. Je parie ma montre.

Deerhunter, « Monomania »

Voyage au goût de l’enfer. Le rock indie. Ses guitares qui braillent, son shoegaze de rigueur et ses tristesses en larsen. Bof, bof, bof, hein ? Vous êtes pourtant priés de remettre une pièce dans le jukebox des disques rouillés qui refilent le tétanos des oreilles. Eh ouais. Un chant essoufflé, des guitares exsangues, un micro couvert de bile, des mesures qui se cassent la gueule et puis se rattrapent, puis retombent, puis te collent un uppercut dans le genou pour t’obliger à regarder leurs pieds s’agitant sur leurs pédales de distorsion : les petits gars de Deerhunter savent y faire, au moment de remuer les poubelles planquées au fond des poches de ton jeans troué rangé dans l’armoire et conservé par nostalgie et aussi un peu par lâcheté. « On ne sait jamais, dès fois que ça puisse resservir. » Ben ça y est, ça recommence : pour pleurer ses maux d’estomac au bon tempo, il y a « Monomania ». Le titre du même nom ressemble à un clou enfoncé dans les tympans au son d’une scie sauteuse attaquant l’os. Le meilleur morceau, indéniablement.

F/LOR, « Blackflakes »

NLF solo. Un album solo de Fabrice Laureau, ça ne tient pas dans 500 signes. Ca se passe en boucle mille fois pour arriver à se glisser dans les interstices, ça se devine, ça s’effleure, fleur de peau et feu follet, voyez-vous. Le bonhomme a longtemps joué hardcore avec son frère, Don Nino, dans Prohibition. Puis ils ont foutu les pieds dans l’immense champ des possibles d’NLF3. Plus de chants, des instruments dans tous les sens, des syncopes, hop hop hop, un œil sur le cinéma, l’autre sur le séquenceur, le troisième recherchant des frontières encore inconnues. De Mexico à Berlin en passant par Lagos. A un peu plus de 40 ans, Fabrice Laureau a déjà eu mille vies de studio. Mais jamais en solitaire. Cette surprenante première fois fout des frissons, inquiétante épure où les mots sont absents. Reste des respirations retenues, des souffles parfois coupés et des syncopes au bout des mains dont on ne sait pas quoi faire ; stupeur, tremblements, tempo de laptop et fièvre du ternaire. Un golem avec des circuits imprimés à la place des yeux. Le premier qui ose le raccourci « musique électronique », je lui envoie une armée de Mayas.

Girls in Hawaii, « Misses EP »

Batterie rechargée. Tandis que les Daft Punk masquent leur incapacité à sonner comme des noirs derrière une promo marketing aussi disproportionnée que d’aller chercher ses croissants à la boulangerie en fusée Ariane, Girls in Hawaii revient avec sa musique de blancs becs. Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents, ces garçons avaient commis deux très beaux disques de pop malade et belge dans le courant des années 2000, avant de se murer dans le silence après la mort de leur batteur. En septembre, ils sortiront leur troisième album. S’ils font la couv de Vanity Fair avec, je me mets au mikado.
N’empêche qu’ils n’ont pas leur pareille pour appuyer (gentiment) là où ça fait (pas atrocement mais quand même) mal. Ca causerait de fantômes urbains et des assourdissants silences du jeudi soir, voire de la mâchoire de la solitude enfoncée dans la peau qu’on ne serait pas étonné. Vivement septembre.

5 commentaires

  1. je sais pas comment tu as fait pour écouter ce disque en entier, le Deerhunter m’est littéralement tombé des mains au troisième morceau…

  2. T’as raison de venir resserrer un peu la vis Bester et rappeler la ligne éditoriale. On commence par aimer un morceau de Deerhunter et on sait pas ou ça peut finir tout ça. Faut être vigilent avec ce genre de fantaisies un peu trop coolos sur les bords.

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