Il y a quelques semaines, Daft Punk s’est acoquiné avec les cinq Australiens de Parcels pour façonner un tube de l’été. Design lissé aux entournures, finitions soignées, production industrielle. Résultat : Overnight, morceau pop funky, plutôt sympatoche, qui tourne rond et propage des bonnes ondes façon cruising californien sur incrustation coucher de soleil mandarine. Bref, un produit de demi-saison pas si mal foutu, rangé entre les paréos made in Bangladesh et les frisbees en plastique, qui multipliera les K€ et tiendra la route des vacances jusqu’aux premiers péages de l’automne, mais finira après ça relégué aux dépôts-vente et aux vides-greniers de quartier, vendu contre quelques piécettes de fond de porte-monnaie ; du moins c’eut été le cas si les singles ne se vendaient plus désormais qu’en digital, format FLAC ou traficotés en MP3 128kbps.
Il y avait, pourtant, mieux à faire. En s’associant à Nit, par exemple, électronicien ludique et curieux qui roule sa bosse depuis une dizaine d’années dans l’underground électronique. Cofondateur du festival de création sonore Brouillage, ex-directeur d’antenne de Radio Campus Paris, contributeur de cet étrange bazar web qu’est Musique Approximative [1], il fut aussi l’une des deux pensantes du duo (Nit)neroc, dont la toy music enjouée et chatoyante faisait déjà onduler les hanches des danseurs les plus avertis. Menant désormais sa barque en solo, il aime, d’après sa présentation, « les synthés à molettes, les parties de cordes des tubes disco, les démo-songs des vieux claviers Casio et les hululements des chouettes ». Un homme aux goûts sûrs, en somme. On pourrait ajouter quelques autres choses à cet éventail de préférences : peut-être pas Bordeaux, où l’intéressé a suivi des études de musicologie, mais à coup sûr le violon qu’il a étudié au conservatoire, le soleil estival, les jeux vidéo [2] et les bidouilles glitch-pop enrichies en malice.
Alors, certes, Nit est bien moins hype que les demi-surfeurs de Byron Bay. Surtout quand ces derniers ont en poche leur précieux coupe-file siglé DP. Surtout lorsque la carte d’identité de Nit affiche le prénom Corentin, qu’on associerait davantage à un jeune-vieux trop sage au charisme d’huître bouillie qu’à un héros overground. Surtout si l’on s’arrête à la pochette de son « Dessous de plage », aperçu littoral naïf à la ligne claire schématique copié sur un visuel de sous-plat datant de l’époque des Renault 5 et des téléphones à six chiffres. Pourtant, en dépit de ces quelques anicroches sur les sentiers du branché, cet EP ne saurait se contenter du statut de faire-valoir vis-à-vis des toquades Kitsuné pour millionnaires casqués. Les rideaux de fumée des équipes marketing n’y feront rien : a minima, Nit ≥ Daft Parcels.
Un concentré d’été
Bien qu’il soit sorti à la fin mars dernier (ouais, on est un peu à la masse), ce disque est gaulé sur mesure pour l’été (bon, finalement, ça tombe plutôt pas mal). Avec, toutefois, un léger, tout léger nuage : on n’est pas forcément capable de se décider sur le millésime. S’agit-il de l’été 1976, disco-funk, giscardisme énergétique et canicule ? L’été 1984, et son boogie chébran ? L’été 1996, catégorie second couteau solaire de la French Touch ? L’été 2017, tout simplement, histoire de ne pas se fâcher avec le continuum espace-temps ? Ou plutôt l’été 2018, puis ceux de 2019, 2020, et caetera, quand ce disque aura insinué tous ses charmes luisants et sautillants dans nos casques audio ?
Quoi qu’il en soit, cet EP pourrait tout aussi bien servir de bande-son à un film porno détendu du gland, à un générique pour un talk-show présenté par des androïdes argentés dans des maisons bulles ou, mieux, à une évocation fantasmée de vos plus belles vacances, ces « uchronies imparfaites » dont vous n’avez même pas envie de poster les photos sur Instagram de peur que le monde réel ne vienne faire éclater cette bulle de savon estivale.
Même si le décor de ton été ressemble davantage à une triple dose de béton entre deux couches de goudron urbain, avec option manque de thunes, ce « Dessous de plage » peut te projeter plus sûrement qu’un casque de VR vers cette carte postale tridimensionnelle que promouvaient les catalogues des voyagistes période Trente Glorieuses. Les doigts de pieds frétillants à çà du sable, la respiration profonde de l’océan qui vient hanter l’oreille, les champignonnières de parasols, les torsades crémeuses des glaces à l’italienne acheté au retour de la bronzette, les flirts esquissés, le pétard qui tourne à la nuit tombante après avoir refait le monde et englouti les saucisses et les gambas grillées, tout est contenu quelque part dans les sillons de ce disque, animé trente-trois fois par minute. Cet EP transpire par tous ses pores mélodiques l’ocytocine et un ciel plus bleu que les nuanciers d’Yves Klein. Pour tout te dire, on est à ça de te recommander de te badigeonner d’indice 50 avant de lancer le disque – le cool tape fort ici. « C’est Nit et sans bavure », me souffle-t-on dans l’oreillette – Ruquier, Lacan ou Libé, la blague est recalée.
A la p(l)age
Ça commence avec un morceau au drôle d’intitulé, comme si on avait mis les « poupipou » de Dewey et les « chabadabada » lelouchiens dans le même shaker : Choudiboudibou, titre boogie-funk chaloupé qui mélange des ingrédients pas forcément recommandés par la brigade du bon goût, à savoir les Doobie Brothers (Long train Running) pour l’attaque rythmique, et l’improbable Holiday Rap pour le côté funky fresh en roue libre. Et à l’écoute du résultat bonnard, on se dit aussi que le fantôme de Jean-Jacques Perrey a dû prendre une piaule pas loin, lui qui n’était pas le dernier à faire rigoler des machines parfois plus austères qu’un temple protestant.
Dans une dimension parallèle Air joue du funk avec Dondolo et Houellebecq.
La suite, à savoir Fréquentations Modulaires, est à l’avenant, mélangeant funk électronique de babtou 80s, library music, chill-disco et quelques bleep-bleeps et gimmicks wink-wink comme autant de tintinnabulements de glaçons dans ce cocktail bien mieux dosé que n’importe quel mojito en terrasse – désolé les meufs. Et après Imparfaite, morceau remarqué (par La Souterraine, notamment) qui semble croire que dans une dimension parallèle Air joue du funk avec Dondolo et Houellebecq, il convient de décerner une mention spéciale aux deux beaux instrumentaux Bricolage et mélancolie et L’étoile aux renards (quel titre !), orchestrés avec une densité et un tournemain digne des meilleures BO françaises 70s, les mentions de Goraguer, Cosma ou De Roubaix figurant ici d’aussi évidents autant qu’indispensables sésames. Espièglerie, pureté, beauté : que demande le peuple ? A part une sixième semaine de congés payés, histoire d’en profiter encore davantage sous le soleil exactement, on ne voit pas.
Alors, faisons comme Nit sur l’Imparfaite déjà citée, « imaginons un demain divergeant ». Qui sait, ces mois de juillet-août et ceux d’après, la musique de Nit rassemblera dans un même tourbillon les mélomanes en goguette, les ados déglingués à la Manzana pomme, la bestah de ta nièce qui bosse à trois-quarts temps chez C&A, les quinquas qui se rappellent de leur jeunesse FM, ceux qui aiment Les bronzés 3 et ceux qui révèrent Pauline à la plage. Et peut-être que tu réussiras à choper ta target d’un soir au bord de la piscine, au son de Choudiboudibou. Mais, bon, soyons honnêtes : toutes ces jolies divagations, c’est comme vouloir expliquer le punk-rock à Nagui, c’est perdu d’avance. La paix dans le monde – fût-elle seulement musicale –, ce n’est ni pour après-demain ni pour l’an 10191 ; il y aura toujours un cassos pour switcher sur le dernier Pharrell ou Ed Sheeran ; et il y a huit chances sur dix que ta target ne te calcule jamais, préférant zieuter une autre insignifiance en maillot de bain. Reste l’essentiel – non, pas ta main droite pour baffer l’impudent et branler ta frustration –, la musique, délectable, qui fait fondre ces désagréments passagers.
D’ailleurs, je suggère d’apposer sur cet EP un sticker « qualité cool » avec la mention suivante : « Après deux ans de tests sur des quokkas élevés en plein air, le Pôle de Recherche des Mutants Ninjas (ou des Teenages Tortues, on ne sait plus …), Nit et ses assesseurs synthétiques vous propose un programme d’activités avec 95,17% de fun et de funky-geek dedans, plein de colorants mais sans aucun conservateur en costard à l’horizon de ses (boules à) facettes. Et si tu n’as rien compris, laisse tomber ce descriptif et file plutôt écouter ce disque : ce n’est pas demain la veille que tu le rangeras avec les assiettes sales, les dessous de table et les disques du fond du bac. » En fait, j’aurais peut-être dû me contenter de ces lignes. Mais ça n’aurait pas été très sérieux … Et puis, après tout, on est en été, la saison idoine pour se rendre compte que sous les pavés (de texte) il y a la plage qui mordore les peaux et les « Dessous de plage » qui réjouit les oreilles. On a connu dessous moins pétillants. Allez, on a fini ; vous pouvez fermer le coffre et mettre les clefs sur le contact maintenant.
Nit // Dessous de plage // Mutant Ninja
https://soundcloud.com/nit-neroc/sets/nit-dessous-de-plage-ep
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[1] Un site où, par exemple, les noms des contributeurs regorgent d’une poésie absconse et rigolote, à l’instar de Youri Margarine, Professeur Impetigo, Jean-Claude Blu-Ray, DJ Pute-Acier, Morue Mekanik ou encore – attention, on prend son élan – Pinpon Fan Club du Karaoké Team de la Salle des Fêtes de la Piscine de Steenokkerzeel.
[2] En témoigne Octopop, le projet interactif qu’il mène avec le collectif Bruyant à la jointure du concert et de l’expérience immersive vidéoludique.
1 commentaire
Super ce morceau de Parcels