Bruce Dickinson est désormais mondialement connu comme étant le grand chanteur d’un des meilleurs groupes de heavy-metal de l’Histoire : Iron Maiden. Il ne fut pourtant pas le premier à enregistrer avec le groupe. Il précéda un certain Paul Di’Anno, qui reste encore à ce jour un mystère. Malgré ses coups de gueule, ses disques solos plus ou moins foirés, ses excès souvent peu ragoûtants d’alcool, de drogues et de sexe, le jeune chanteur de heavy-metal de Iron Maiden entre 1977 et 1981 continue de fasciner.
Ce ne sont pas les récentes photos ou vidéos de concerts dans les Pays de l’Est qui vont alimenter la légende, si ce n’est celle d’une déliquescence terrible. Paul Di’Anno ressemble à un skinhead obèse, chauve, piercé et tatoué de partout, coincé dans un fauteuil roulant depuis presque dix ans pour ne pas avoir eu les moyens de soigner de graves problèmes de genoux. Pourtant, les fans du chanteur restent suffisamment nombreux pour avoir financé des soins dans une clinique privée de Croatie grâce à une cagnotte. Il a refait quelques concerts pour les fans locaux afin de les remercier. L’homme est depuis reparti sur la route pour financer l’opération et les soins conséquents liés à ses problèmes aux jambes. Si l’homme est physiquement l’ombre de lui-même, la voix reste étonnamment bonne chez cette homme de 66 ans aux multiples excès passés.
Un jeune punk de l’East London
Paul Di’Anno est né le 17 mai 1958 au sein d’une famille modeste de la banlieue Nord-Est de Londres. Le secteur n’est pas encore l’apanage des bobos friqués, mais bien le lieu de vie de milliers de familles travaillant dans les usines de la périphérie de Londres. La vie n’y est pas facile, et les mauvaises fréquentations légions. Très occupés par leurs emplois du quotidien, les parents de Paul ne voit pas que leur enfant dérape très vite. Dans ces quartiers où les rixes de bandes sont fréquentes, il faut savoir très vite rendre le coup de poing pour se faire respecter. Le secteur est par ailleurs le terrain des frères jumeaux Kray, Ronnie et Reggie, qui dominent l’East End avec leur gang The Firm en y faisant régner le régime de la pègre dans les commerces et les clubs.
Les bagarres augmentent au fur et à mesure que les résultats scolaires du petit Paul déclinent. Malgré les baffes régulières du père, et tout l’amour de sa pauvre mère, il s’installe dans le rôle de la petite frappe locale. Il a 18 ans lorsque le punk-rock apparaît en 1976. Le plus amusant, c’est que Paul Di’Anno n’est curieusement pas et en premier lieu un amateur de rock heavy et violent. Parmi ses reprises chéries tout au long de sa carrière, on y trouve des morceaux de formations plus glam-rock, paillettes et mascara que vraiment hard pour un gamin donnant le coup de poing. Cela fera partie des nombreuses contradictions du personnage.
Musique de morveux glavioteurs, le punk est parfait pour Paul Di’Anno la petite frappe. Dans ses mémoires, il s’inventera en skinhead, mais à l’époque, ces derniers écoutaient du ska et n’ont pas grand-chose avec les skin-punks du début des années 1980 écoutant du GBH et du Social Distorsion. Des Damned à Clash en passant par Sex Pistols, ils ont tous biberonnés aux Who et au glam-rock. Paul Di’Anno n’est par ailleurs pas un petit mafieux, mais au fond un bon garçon. Pour se payer ses soirées, ses disques, ses fringues, mais aussi subvenir au revenu du foyer familial, il occupe un emploi d’ouvrier dans une raffinerie de la compagnie pétrolière BP. Là encore, Di’Anno ne s’étend pas sur le sujet, préférant se faire passer pour un vrai dur qui cogne et trousse de la petite culotte. Il sera en fait plutôt un Mod de la seconde génération, fan des Small Faces, des Who et des Jam.
C’est grâce à ses parents qu’il devient fasciné par la musique. A la maison, il y a toujours un disque qui tourne : Rolling Stones, Frank Sinatra, du classique. Paul a même le droit de passer les Sex Pistols sur la platine familiale, car M. et Mme Di’Anno étaient curieux d’entendre ce nouveau rock qui fait parler de lui dans les journaux à scandales et à la télévision sur le plateau de Bill Grundy.
Iron Maiden
Eddie the head and Paul di Anno (1980)
UP THE IRONS 🇬🇧 pic.twitter.com/LnhkL775cX— Legionista 🇵🇱 Ⓛ (@Legionista83) January 28, 2024
Un petit groupe de heavy-metal
En 1975, le hard-rock et le heavy-metal sont encore très populaires grâce à ses trois figures tutélaires que sont Led Zeppelin, Deep Purple, et Black Sabbath, suivies de près par Thin Lizzy, Queen, Wishbone Ash et UFO. Steve Harris est un jeune homme né le 12 mars 1956. Grand fan de musique électrique de toutes sortes, de la hard music au psychédélique en passant par le progressif, sa discothèque dispose de disques étonnants pour un jeune homme anglais de cette époque : Nektar, Golden Earring… C’est un passionné, qui dévore l’underground avec Budgie, Stray et bien d’autres formations peu connues du grand public. De cet agrégat de musique, ils commence à composer ses premières chansons originales pour un groupe qui sera le sien et qu’il nomme Iron Maiden, du nom d’un outil de torture visible à la Tour de Londres, un cercueil en chêne à visage humain recouvert de pointes de metal à l’intérieur. Steve Harris n’est sur le papier pas plus que le bassiste, ce qui est loin d’être le poste d’un leader. Mais le bonhomme, à l’apparence discrète, sait ce qu’il veut. Iron Maiden commence à tourner dans les pubs de Londres, plus précisément dans le quartier de Leyton, au sud de Chingford où réside un certain Paul Di’Anno.
Paul Mario Day est le premier chanteur officiel d’Iron Maiden entre 1975 et 1976. Son look glam-rock est en adéquation avec l’époque. Il fera par la suite une carrière très intéressante avec notamment deux très bons albums dans le groupe Wildfire. Dennis Wilcock suit entre 1976 et 1977. Il apporte une touche horror-rock en créant de petits effets scéniques artisanaux, comme faire semblant de se couper la bouche avec un sabre en éclatant des capsules de faux-sang. Tout cela est inspiré à la fois d’Alice Cooper et de Kiss, ces derniers étant alors au sommet de sa gloire. Le guitariste Bob Sawyer, alias Bob Angelo, contribue à faire évoluer musicalement Iron Maiden, même si son style mélodique sera bien plus efficace au sein de Praying Mantis par la suite.
Le premier vrai musicien qui va devenir l’autre pilier d’Iron Maiden se nomme Dave Murray. Il a le même âge que Steve Harris, et a déjà un solide bagage de guitariste. Il va cependant oscillé quelques temps entre Iron Maiden et Urchin, le groupe de son copain guitariste et chanteur Adrian Smith. Contrairement à Iron Maiden, Urchin a déjà publié un simple en 1977 sur le label DJM, qui signa Elton John, Jade ou John Mayall : Black Leather Fantasy/Rock’n’Roll Woman. Il recommencera en 1978 avec She’s A Roller/Long Time No Woman, alors qu’Iron Maiden n’est toujours qu’un groupe de pubs qui partage son répertoire entre des reprises pointues et des compositions originales qui peinent à intéresser le public.
La rencontre
Paul Di’Anno traîne les pubs pour boire des bières et écouter de la musique. Il est un peu comme le personnage de Ace Face joué par Sting dans le film Quadrophenia de 1979 : une grande gueule qui s’efface pour retrouver son boulot de larbin le lendemain. Il croise régulièrement la route d’Iron Maiden entre 1976 et 1977, et voit le groupe sous ses différents line-ups avec les guitaristes Terry Rance puis Terry Wapram, ou le chanteur Dennis Wilcock. S’il n’est pas toujours impressionné par les musiciens qui s’y trouvent, Di’Anno trouve qu’Iron Maiden avance musicalement et techniquement à grands pas, bien plus que les petits groupes de punk sans lendemain dont il fait partie. Steve Harris est déjà un leader ainsi qu’un bassiste solide. Dave Murray a vraiment du talent à revendre pour un type de 20 ans. Les autres semblent trop glam-rock, trop amateurs à côté, bien qu’Harris et Murray soient tout sauf des caïds. Ils sont plutôt souriants et accessibles, pas frimeurs pour un sou. Ils manquent surtout de charisme au goût de Paul Di’Anno.
Paul Di’Anno répond à la petite annonce d’Iron Maiden cherchant un chanteur fin 1978. Il se pointe comme il est : santiags, pantalon de cuir, tee-shirt léopard, cheveux courts.
Le line-up est toujours instable : le poste de second guitariste restera vacant deux ans, obligeant Dave Murray à revoir toutes les harmonies à deux guitares pensées par Harris avec une seule. Il manque aussi un chanteur. Le punk bat son plein, mais le hard-rock reste encore solide dans les villes industrielles du Nord de l’Angleterre. Status Quo reste une tête de fil, AC/DC, Motörhead et Judas Priest commencent à progresser en audience dans le pays, alors que la plupart des groupes installés a fui pour les Etats-Unis. C’est que le contexte social britannique de 1977-1979 est catastrophique, avec des mouvements sociaux dans les charbonnages, la sidérurgie et l’automobile, immobilisant économiquement la Grande-Bretagne. Le conflit est si brutal que des familles d’ouvriers souffrent de la faim et du froid, sans salaires pour acheter de la nourriture et du charbon. Le réalisateur Ken Loach sera l’un des grands observateurs de ces souffrances ouvrières pour défendre des conditions de travail dignes et des industries britanniques, qui aboutira pourtant à la nomination de Margaret Thatcher, à l’origine des privatisations à coups de triques. Par cette misère, le circuit rock et l’organisation des concerts sont fortement bousculés.
Paul Di’Anno répond à la petite annonce d’Iron Maiden cherchant un chanteur fin 1978. Il se pointe comme il est : santiags, pantalon de cuir, tee-shirt léopard, cheveux courts. Il n’a pas répété. Il est fan de UFO et de Thin Lizzy comme Harris, et il a déjà bien en tête les quelques chansons originales d’Iron Maiden. Il impressionne vite le trio composé d’Harris, Murray et du batteur cagoulé Barry Graham Purkis alias Thunderstick dont ce sont les dernières semaines avec Iron Maiden. Il s’impose par un jeu de scène finalement assez minimaliste, mais une prestance puissante et une gueule. Lorsqu’il chante, il semble glapir comme un animal, ses courts cheveux hérissés sur sa tête comme un rapace à l’attaque (il les coupe court car si il les laisse pousser, il se retrouve avec une chevelure presque afro à cause de ses cheveux bruns et raides). Et il a du coffre, capable de monter tranquillement dans les aigus pour les hurlements rock sauvages. Fin 1977, il est l’homme rêvé. Il semble punk, il a la gouaille, mais a un gosier capable de chanter du heavy-metal de la meilleure des manières. Il a aussi un charisme magnétique qu’il ne va cesser d’affirmer sans s’en rendre compte jusqu’à son départ.
NWOBHM
Avec l’arrivée de Paul Di’Anno au chant, un public de plus en plus nombreux gravite autour d’Iron Maiden. Les titres originaux de Steve Harris trouvent une toute autre dimension avec Paul Di’Anno au chant. Cela sonne plus dur, plus heavy, tout en conservant sa subtilité mélodique. Les débuts scéniques se feront au pub Cart & Horses, mais le Ruskin Arms restera le fief des débuts d’Iron Maiden. Le groupe reviendra y jouer le soir de la sortie de son premier album le 14 avril 1980.
Paul Di’Anno évoquera avec le recul la faiblesse d’image d’Iron Maiden avant son arrivée, et le changement qui va intervenir par la suite. Cela peut sembler prétentieux, mais effectivement, Iron Maiden n’est qu’un petit trio de musiciens solides et déterminés jouant du heavy-hard-rock élaboré. Paul Di’Anno a du chien, et cela transparaît sur les maigres polaroïds d’époque le montrant torse nu, crispé et éructant dans son micro sur pied. Pratiquant la natation, il se constitue un buste solide qui efface les épaules frêles de l’ancien punk buveur de pintes.
En 1978, Iron Maiden n’assure qu’une poignée de concerts. Ceux du 3 et 4 février sont annulés du fait du vol de leur matériel. Il faut attendre le 17 février pour revoir Iron Maiden sur scène. Le groupe répète intensément avec le nouveau batteur Doug Sampson. La scène est encore encombrée par le punk. Iron Maiden ne joue par ailleurs pas hors de Londres et sa banlieue à ses débuts. Et le poste de second guitariste reste un sujet délicat. En 1979, ils se succèdent : Paul Cairns, Paul Todd, puis enfin Tony Parsons. Iron Maiden commence à se faire connaître au sein d’un nouveau mouvement appelé la New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM) que le DJ Neal Kay contribue à promouvoir au Music Machine.
En juillet 1979, Iron Maiden doit donner un concert au pub The Windsor Castle. Le gérant insiste pour que le groupe commence à jouer alors que Steve Harris attend des amis pour gonfler les rangs du public. Une dispute éclate entre les deux hommes, et le concert est annulé. Cela devait être le premier concert auquel devait assister Rod Smallwood. Ce dernier a commencé à organiser des concerts depuis la fin des années 1960, avant de manager Steve Harley & Cockney Rebel (une très mauvaise expérience) puis des groupes pour le label EMI. Il a reçu une démo d’Iron Maiden sur son bureau. Cette dernière a été enregistrée les 30 et 31 décembre 1978 aux Spaceward Studios de Cambridge. La date n’est pas anodine : il s’agit du week-end précédant le Nouvel An, et le studio est moins chère. Quatre titres sont jetés live en studio : Prowler, Invasion, Strange World et Iron Maiden. Le résultat est plutôt convaincant, car Iron Maiden joue ces morceaux en concerts et en répétitions depuis des mois.
Le concert au Windsor Castle faisait partie des deux concerts organisés spécialement pour montrer à Rod Smallwood ce que vaut Iron Maiden. Et pour lui montrer l’immense succès du groupe, Harris devait ramener tous ses copains pour faire la claque. Le second doit se tenir au pub The Swan dans le quartier d’Hammersmith. Cette fois, c’est Paul DiAnno qui fait des siennes en se faisant arrêter par la police pour port d’arme blanche. Le groupe va jouer, Harris tenant fort mal le poste de chanteur, avant que Di’Anno débarque pour les derniers titres après avoir payé son amende.
Smallwood accepte de les aider en leur trouvant des concerts, mais il refuse d’être leur manager avant d’avoir sécurisé un contrat avec un label, en l’occurrence EMI. Ce sera chose faite en octobre 1979, et Smallwood est à ce jour toujours leur manager. Le 9 novembre, Iron Maiden publie trois des titres de ses démos aux Spaceward Studios sur le EP auto-produit « The Soundhouse Tapes ». Pressé à cinq mille exemplaires, le disque est rapidement épuisé. Cela est suffisant pour attirer l’animateur du Friday Rock Show, Tommy Vance, qui va lui aussi contribué à promouvoir le nouveau heavy-metal anglais. Le 14 novembre 1979, Iron Maiden passe donc sur les ondes de la BBC.
Désormais signé chez EMI, le groupe est incontournable pour une compilation sur ce label du nouveau heavy-metal anglais assemblé par le DJ Neal Kay. A ce titre, Iron Maiden exige deux choses : pouvoir enregistrer deux titres nouveau en studio, et apparaître en ouverture du disque. Ce sera chose faite. La compilation se nomme « Metal For Muthas » et sort le 15 février 1980. Elle atteint la 12ème place des ventes en Grande-Bretagne en grande partie grâce à Iron Maiden, mais aussi à quelques autres groupes de valeur : Angel Witch, Samson, Praying Mantis, Sledgehammer.
Une tournée Metal For Muthas est lancée avec Iron Maiden en tête d’affiche, accompagné principalement de Praying Mantis. Le quintette remplace ainsi Samson qui l’avait emmené avec lui et Angel Witch à la fin de l’année 1979. Diamond Head et Angel Witch se joindront à eux sur une poignée de dates. Les concerts s’arrêtent cependant assez vite, au bout de onze concerts : Iron Maiden doit entrer en studio. Le mois restant de dates est donc purement et simplement annulé.
Iron Maiden
Le 23 janvier 1980, le simple Running Free/Burning Ambition est publié. Il atteint la 34ème place des ventes en Grande-Bretagne, ce qui déclenche l’empressement de EMI pour un album. Le line-up a grandement bougé depuis le début de l’année 1980 : si le noyau Harris/Murray/Di’Anno reste solide, Sampson est remplacé par Clive Burr, et Parsons par Dennis Stratton. Ce dernier est un apport de dernière minute, Parsons semblant complètement dépassé par les exigences musicales de Harris qui veut un enregistrement techniquement solide, et sur lequel ses idées d’harmonies de guitares sortent sous leur meilleur aspect.
Iron Maiden se lance donc dans ses sessions d’enregistrements, mais la douche est froide lorsque le groupe découvre le producteur. Il s’agit de Will Malone. L’homme est un arrangeur de rock progressif et d’orchestrations symphoniques. Il n’a que faire de ce groupe de chevelus bruyants. Il va passer l’essentiel de son temps à lancer les bandes et à lire le journal, les pieds sur la console, montrant ostensiblement son mépris. Steve Harris va tenter de sauver l’enregistrement avec l’ingénieur du son Martin Levan. Iron Maiden va ainsi quasiment s’auto-produire. Au final, le disque possède un son sec et méchant manquant d’épaisseur au niveau des basses. Mais son côté punk est parfaitement raccord avec le chant de Paul Di’Anno et la pochette géniale. Elle est l’oeuvre de l’illustrateur Derek Riggs, qui va devenir le dessinateur officiel d’Iron Maiden jusque dans les années 2000. Il invente le personnage d’Eddie The Head, un mort-vivant menaçant, le poil hérissé sur le crâne. Il a beaucoup à voir avec Paul Di’Anno lorsque ce dernier chante possédé sur scène. L’énigme de l’origine du personnage n’a cependant jamais été résolue.
« Iron Maiden » sort le 14 avril 1980 et atteint la 4ème place des ventes d’albums en Grande-Bretagne. Il va atteindre le statut de disque de platine en quelques mois, faisant de cet album rugueux un précédent au live « No Sleep ‘Til Hammersmith » de Motörhead, qui sera numéro un des ventes en 1981. Pour qui a découvert Iron Maiden avec les albums chantés par Bruce Dickinson, le choc sonore va être rude. Ce premier disque est un jaillissement de heavy-metal brutal. Il le doit beaucoup à la batterie speed et virtuose de Clive Burr, et à la voix féroce de Paul Di’Anno. Murray, Harris et Stratton apportent toute la dimension épique et mélodique. La « production » de Malone aboutit à un son compact, avec des riffs de guitares teigneux, quasi-punk, en fait proto-thrash.
Pour montrer son dévouement sans faille au heavy-metal, Paul Di’Anno a viré ses fringues d’imprimé léopard et ses tee-shirts déchirés. Il a aussi balancé tous ses disques de punk pour une vraie discothèque heavy-metal dans laquelle il puise des idées de textes. Mais le bonhomme reste une teigne dans l’âme. Si il porte le jeans de rigueur, le perfecto, et les bottes de moto, il conserve le cheveu plutôt court et une boucle d’oreille de boucanier. Il va cependant se montrer novateur en poussant l’esthétique débutée par Judas Priest qui consiste à poser avec des ceintures et des bracelets de clous et de cartouchières, laissant de côté le fouet et la casquette de cuir, trop connotés gay à son goût. Et pour cause, Rob Halford, le chanteur de Judas Priest l’est pleinement. Di’Anno laisse aussi de côté les anciens oripeaux un peu androgynes comme les cuissardes ou les spandex moulants. Il se créé un personnage métallique à base de cuir, de jeans, et de chemises noires qu’il agrémente de poignets de force et de ceintures cloutées, fortement inspiré du personnage Mad Max dont le premier film est sorti en 1979 en Australie. Sur scène, en sueur, dans la lumière de projecteurs de couleur, il ressemble à un oiseau de proie. Bien campé sur son pied de micro, ou battant la mesure sur sa cuisse avec son micro, le visage crispé de rage, il est absolument charismatique.
A l’assaut de l’Europe
Rod Smallwood a très vite compris que si il veut que Iron Maiden réussisse sur la longueur, il va falloir tourner intensivement. Le groupe a certes une image percutante, mais hormis la presse musicale spécialisée, Sounds puis Kerrang essentiellement, il n’y a rien de mieux que la scène pour se faire connaître. Après avoir passé toutes ses premières années à tourner sur Londres et sa banlieue, les deux tournées successives de la seconde moitié de 1979 et Metal For Muthas Tour au début de l’année 1980 ont permis d’aller chercher le public ouvrier du Nord de l’Angleterre, friand de sonorités hard’n’heavy. Iron Maiden s’est aussi débarrassé de son image de groupe londonien, alors que ses concurrents, Saxon, Tygers Of Pan-Tang, Diamond Head ou Def Leppard, sont tous issus de ce fameux Nord prolétaire. Iron Maiden s’est frotté à ces publics durs et exigeants, et grâce au charisme de Paul Di’Anno, ils ont triomphé, ce dernier leur ayant donné une vraie crédibilité de groupe méchant, faisant presque passer les Def Leppard pour des minets.
Le 1er avril 1980, Iron Maiden débute sa première tournée en tête d’affiche en Grande-Bretagne. Le Royaume-Uni est écumé consciencieusement pendant cinq mois avec principalement Praying Mantis en première partie, mais aussi Tygers Of Pan-Tang, Raven et Fist lors de deux résidences au Marquee Club en avril et juillet. Le 14 avril, jour de la sortie de leur premier album, un concert de charité est organisé au pub le Ruskin’ Arms qui les a tant aidé à leurs débuts. C’est sur la route que le quintette apprend sa place dans le Top 5 britannique.
IRON MAIDEN – DEZ 1979 / OUT 1980
CLIVE BURR (Bateria), STEVE HARRIS (Baixo), DENNIS STRATTON (Guitarra), PAUL DI’ANNO (Vocal) e DAVE MURRAY (Guitarra). pic.twitter.com/bxIXNK1nM5— Iron Maiden 666 (@Blog666) April 3, 2024
A partir du 29 août 1980, Iron Maiden assure la première partie de la tournée européenne de Kiss. C’est véritablement un échange de bons procédés. Kiss a des difficultés à remplir les grandes salles car son nouvel album, « Unmasked », connaît un maigre succès comparé à « Dynasty » en 1979. Iron Maiden est une formation montante en Europe, qui a classé son premier album 34ème en Allemagne notamment. De l’autre côté, les cinq anglais sont ravis de jouer en ouverture d’un groupe aussi majeur que Kiss. Ces derniers sont de très bons hôtes, offrant à leurs premières parties toute la sonorisation et la lumière à leur disposition, et permettant même des rappels. Les Kiss y voient là un moyen de se dépasser. La tournée dure deux mois, et Iron Maiden donne régulièrement une fessée aux Américains, qui doivent effectivement tout donner pour se surpasser.
Dennis Stratton est débarqué après l’avant-dernier concert le 13 octobre. Rechignant à s’habiller comme les autres en cuir noir pour faire gang, amateur de rock californien comme les Eagles, il tente d’imposer des harmonies vocales sur les morceaux. Steve Harris n’a pas l’intention d’adoucir la musique de son groupe, au contraire. Il devient clair que Stratton, un peu plus vieux que les autres, ne s’intègre pas vraiment au groupe, et émet de plus en plus de critiques à son égard. Il va falloir un remplacement rapide, mais il est déjà tout trouvé pour Dave Murray. Le nom d’Adrian Smith revient sur la table. C’est un ami de Murray. Urchin, son groupe, patine. Smith avait refusé le poste dans Iron Maiden en 1979, laissant la place à Stratton. Le jeune homme croyait alors en l’avenir d’Urchin, et Iron Maiden était encore loin du succès. Avec un premier album dans le Top 5 britannique, la situation est bien différente. Smith accepte immédiatement. Lui et Murray vont former la plus belle paire de duettistes de guitaristes de l’histoire du rock’n’roll. Smith travaille en vue de l’ultime date avec Kiss le 8 novembre 1980 à Munich qui sera filmée.
Loin d’avoir pris la grosse tête, les Iron Maiden retournent dans les salles moyennes anglaises, à la Leeds University ou au Rock City de Nottingham pour deux semaines de concerts anglais qui culminent le 21 décembre par une prestation filmée au Rainbow Theatre de Londres, et qui fera l’objet de la première VHS du groupe : « Live At The Rainbow ». Sur ce film, le charisme de Paul Di’Anno saute aux yeux. Il domine la scène, il est l’élément dangereux du concert. Si Murray, Smith, Harris et Burr sont d’excellents instrumentistes se donnant pleinement, dès que Di’Anno apparaît, il happe l’objectif, qu’il chante ou non, comme lorsqu’il réapparaît, torse nu, matraquant furieusement sa cuisse avec son micro pendant que les autres entreprennent les solos de la seconde partie de « Phantom Of The Opera ».
L’aura du groupe grandit encore grâce aux pochettes de deux simples. La première, celle du du EP du 23 mai 1980 Sanctuary/Drifter/I’ve Got The Fire montre Eddie poignardant Margaret Thatcher arrachant une affiche du groupe. Les tabloïds britanniques tentent une polémique, et EMI commence à se demander si il s’agissait d’une bonne idée. Mais au final, la pochette sera une excellente publicité pour Iron Maiden, les mettant dans le camp des rebelles au pouvoir autoritaire de Thatcher qui matraque les milieux ouvriers britanniques. La pochette suivante montrera une fois encore Margaret Thatcher en uniforme, mitraillette à la main, prête à flinguer Eddie et deux copines pour la pochette du simple Women In Uniform/Invasion le 17 octobre 1980.
Killers
Très mécontent de l’enregistrement du premier album avec Will Malone, Steve Harris et son groupe sont désormais en position d’avoir quelques exigences. Le bassiste en a une en particulier : il souhaite travailler avec Martin Birch, le producteur de Deep Purple, Rainbow, Whitesnake, Blue Oyster Cult et Black Sabbath. Cela tombe bien, car Birch suit l’actualité musicale, et s’étonne qu’Iron Maiden ne l’ait pas appelé dès le premier disque ! Très rapidement, Birch et Harris entrent en contact, et tombent totalement en phase sur le travail à mener. Le bassiste a déjà en stock l’équivalent d’un second album, dont certaines compositions comme Killers avec des paroles différentes ou Wrathchild tournent déjà dans les set-lists. Le disque sera enregistré aux Battery Studios, la maison attitré de Birch, Robert « Mutt » Lange, Tony Platt et Chris Tsangarides, soit les orfèvres de la musique heavy britannique : on les retrouve aux manettes d’albums mythiques de Whitesnake, Rainbow, Black Sabbath, Thin Lizzy, Def Leppard, mais aussi Trust en 1981.
De novembre 1980 à janvier 1981, Iron Maiden assemble patiemment son nouvel album. Le duo Murray-Smith fonctionne maintenant à plein. Birch conseille Di’Anno qui apprend à maîtriser sa puissance vocale. Le producteur est épaté par la voix du chanteur, et comprend très vite qu’elle constitue le coeur identitaire d’Iron Maiden. Il y a deux moteurs dans le groupe : le quatuor d’instrumentistes qui ferraille avec férocité, et Di’Anno qui survole le tout de sa voix si impressionnante et de son charisme qui transpire presque sur les bandes.
« Killers » est un album quasi-parfait qui est le pinacle du talent de Paul Di’Anno. La musique gagne en vitesse et en virtuosité, flirtant avec une forme de proto-thrash-metal. Le chanteur signe à nouveau deux textes et des arrangements vocaux sur les dix titres (dont deux instrumentaux), ce qui est un exploit pour un groupe largement dominé par la signature de son bassiste et leader Steve Harris. La force musicale d’Iron Maiden n’a jamais été aussi bien mise en valeur que sur ce disque. Paul Di’Anno est à son pinacle vocal. Les instrumentistes forment une solide unité soudée qui délivre une lave sonore de tout premier ordre.
Contre toute attente, il ne fait que 12ème en Grande-Bretagne, mais se classe partout en Europe, et surtout aux USA, à la 78ème place, alors qu’Iron Maiden n’y a pas encore posé le pied. Le groupe connaît une sorte de contre-coup inspiré de Def Leppard, du groupe qui s’embourgeoise et cherche le succès américain. Le quintette n’a pourtant rien lâché en termes d’images et de musique, durcissant finalement le propos avec ce second d’album. Il faut aussi préciser qu’en termes de heavy-metal, 1981 est un excellent cru, avec de fabuleux disques qui se bousculent dans les classements européens.
« Killers » est un immense album, parmi les meilleurs de toute la carrière d’Iron Maiden. Il est même plus puissant et abouti que le pourtant classique « The Number Of The Beast ». La musique y est compacte, violente, sans compromis, sale et urbaine, comme sa superbe pochette où Eddie trouve une première forme achevée avec sa jolie raie centrale. Il n’a plus l’apparence de Paul Di’Anno, mais s’apparente davantage à un bon sidérurgiste du son, comme Harris, Murray, ou Smith, qui ont tous un peu cette coupe de cheveux, le poil plus ou moins long.
Une consécration qui se gâte
Le 17 février 1981, dès le lendemain de la publication de « Killers », Iron Maiden repart sur la route. En 1980, le groupe avait assuré 120 dates. Smallwood en a prévu 180 pour 1981.
Durant deux mois, Iron Maiden tourne en Grande-Bretagne avec les français de Trust en première partie. A partir du 18 mars, le groupe est en France en tête d’affiche avec More mais surtout les pionniers du hard-rock français d’Océan qui viennent de sortir leur troisième album enregistré lui aussi aux Battery Studios. Océan ne suivra pas au-delà des dates françaises se terminant à Montpellier le 27 mars 1981. More poursuit avec Iron Maiden, sur la tournée européenne, y compris sur de nouvelles dates françaises en avril. Un certain Paul Mario Day en est le chanteur, l’esprit de famille sans doute …
Iron Maiden devient une vraie coqueluche du nouveau heavy-metal, effaçant les Led Zeppelin, Deep Purple, ou UFO. La connexion créée avec Martin Birch apporte de la crédibilité inattendue au Japon, où le groupe effectue quatre dates devant un public de fans comme au plus beau jour des Beatles dans les années 1960. A cette occasion, le set fera l’objet d’un enregistrement au Kosei Nenkin Hall de Nagoya le 23 mai 1981, et qui offrira l’un des rares enregistrements live avec Paul Di’Anno au chant : le EP « Maiden Japan » publié en septembre 1981. Paul Di’Anno avait la réputation d’être déjà fatigué vocalement à ce moment-là. Il est en fait superbe. Et le set complet existe, publié en bootleg à de multiples reprises.
De manière générale, Iron Maiden est abondamment enregistré en live par des radios du monde en entier, qui toutes comprennent l’ampleur qu’est en train d’acquérir Iron Maiden. Le groupe n’est plus un très honorable nouveau groupe de heavy-metal anglais. Il devient dès 1981 l’équivalent des Judas Priest, Motörhead, Scorpions, Whitesnake ou Rainbow. Il a tout pour réussir : l’originalité musicale, une image emblématique avec Eddie, une vraie solidité technique, et un chanteur charismatique.
Cependant, Paul Di’Anno devient un animal compliqué à dompter. Il fatigue au fur et à mesure des dates, consommant de plus en plus de drogues et d’alcool, célébrant un peu plus chaque soir un succès qui commence à dépasser ses pourtant solides épaules. Le fossé entre lui et le reste du groupe réapparaît, et en particulier avec Steve Harris. Si Di’Anno s’était imposé à l’esbroufe comme chanteur en 1978, c’était parce qu’Iron Maiden n’était encore qu’un groupe peu affirmé. Le chanteur leur donna alors l’image de durs qui les imposa face à Saxon ou Def Leppard. Mais avec l’arrivée d’Adrian Smith, le camp des instrumentistes s’est resserré. Le duo qu’il forme avec Dave Murray carbure à plein régime et grignote peu à peu l’aura du chanteur. Pourtant, l’équipe que forme Di’Anno, Harris, Murray et Smith sur le devant de la scène est imbattable, les quatre musiciens jouant épaules contre épaules comme un gang. Mais alors que la tournée mondiale, les excès fragilise non seulement la voix de Di’Anno, mais l’éloigne des autres, dont les mœurs sont moins dissolus, conscients qu’il faut se préserver pour rester au niveau sur les cent quatre-vingt concerts, même si le chanteur arrive encore à les attirer de temps en temps dans ses guet-apens. Mais Harris et Smallwood veillent au grain. Car Iron Maiden joue gros sur cette première tournée mondiale. Ne disposant que des concerts pour s’imposer commercialement, il faut qu’il se montre sous son meilleur jour soir après soir. Paul Di’Anno commence à montrer les signes d’un certain désintérêt, et à devenir un problème pour Steve Harris et Rod Smallwood. Il s’invente un double maléfique : Fuckeye Jones. Lors d’un concert dans l’Indiana en première partie de Judas Priest, Di’Anno passe l’après-midi à boire et à prendre de la cocaïne, entraînant avec lui Smith et Burr. Le concert sera compliqué, mais la soirée qui suit encore plus. Fuckeye Jones détruit tout sur son passage : bar, chambre d’hôtel, avant de s’écrouler, sans pouls. Il sera ramené presque sans vie dans sa chambre par des roadies, et réapparaîtra le lendemain sous le visage de Paul Di’Anno, comme si de rien n’était. Cet incident puis d’autres vont sceller son sort pour Harris et Smallwood.
La proposition est claire : Iron Maiden a besoin d’un chanteur fiable et talentueux pour interpréter de nouvelles compositions plus ambitieuses, mais surtout pour tenir le choc en vue des plus de 200 dates à venir.
Début août 1981, les Iron Maiden ont quelques jours off entre les dernières dates américaines avec UFO et les dernières dates européennes. Steve Harris a planché sur de nouvelles compositions, ainsi qu’Adrian Smith, bousculant lui aussi le leadership incontesté jusque-là du bassiste sur l’écriture, musicale cette fois. Dans les deux cas, les compositions poursuivent le chemin tracé par « Killers » avec des morceaux plus complexes et épiques. Des choses comme 22 Acacia Avenue ou Run To The Hills prennent forme. Mais Di’Anno n’est pas à l’aise avec ce matériel, et ses textes moins urbains et plus littéraires.
Le 29 août, Harris et Smallwood font une apparition dans les coulisses du festival de Reading. Ils sont là pour voir les copains de Trust qui sont en deuxième position sur l’affiche juste avant Gillan, mais surtout pour assister au concert du groupe Samson dans l’après-midi. Ce pionnier de la NWOBHM, qui accueillit Iron Maiden en première partie en 1978-1979, est doté d’un chanteur puissant et énergique qui se fait appeler Bruce Bruce, mais dont le vrai patronyme est Bruce Dickinson. Samson connaît une jolie ascension commerciale depuis ses débuts avec d’excellents albums dont le mythique « Head On » en 1980. Le dernier en date, « Shock Tactics », a été produit par Tony Platt et commence à caresser dans le sens du poil les fans d’AC/DC et de ZZ Top. Si Samson vient de perdre un de ses personnages-clé, le batteur masqué Thunderstick, la formation continue son ascension, et Bruce Bruce en est le personnage majeur. Cependant, il est conscient que la carrière de Samson peine à décoller hors des frontières britanniques, et la sienne avec.
Malgré un set en plein après-midi, Samson donne tout, et Dickinson avec. Les nouveaux morceaux trouvent un accueil favorable du public, mais surtout, le chanteur sait que Rod Smallwood et Steve Harris sont venus jeter un œil à sa prestation. Il ne fait pas grand secret, même si les Iron Maiden cultivent le secret sur leurs affaires personnelles, que Paul Di’Anno est sur un siège éjectable. Dickinson a vu juste : Smallwood et Harris viennent à sa rencontre en coulisses après le concert. Rapidement, le festival bruisse de rumeurs : le chanteur de Samson est approché par les Iron Maiden. Les trois hommes sont obligés de s’éclipser dans un pub voisin pour discuter tranquillement. La proposition est claire : Iron Maiden a besoin d’un chanteur fiable et talentueux pour interpréter de nouvelles compositions plus ambitieuses, mais surtout pour tenir le choc en vue des plus de 200 dates à venir. Harris et Smallwood posent leurs conditions, et Dickinson n’est pas trop en position de trop discuter, car l’opportunité est exceptionnelle. D’abord, il devra se fondre dans le collectif : pas question d’avoir une diva qui bouffe les autres sur scène. Le chanteur acquiesce, mais s’assiera rapidement dessus, provoquant quelques embrouilles sur la tournée à venir. Ensuite, les pantalons blancs et les chemises colorées sont à proscrire. Il devra se revêtir de l’uniforme établi par Paul Di’Anno qui a fait leur réputation : jeans et blouson de cuir noir. Là encore, Dickinson tiendra parole le temps de quelques dates et une première session photo.
Le 10 septembre 1981, Paul Di’Anno donne son dernier concert avec Iron Maiden au Odd Fellow de Copenhague au Danemark, une date de mai reportée à cause de problèmes de voix du chanteur.
Paul solo
Bruce Dickinson est testé sur une série de cinq concerts italiens fin octobre 1981 avant faire son premier concert devant le public anglais le 15 novembre au Rainbow Theatre de Londres. La rupture est consommée. Si Dickinson est un merveilleux chanteur, parfaitement à l’aise sur les grandes scènes, à la voix presque indestructible, Iron Maiden part avec l’album « The Number Of The Beast » vers une voie plus épique et moins agressive. Pour tous les fans purs et durs d’Iron Maiden, Paul Di’Anno va rester la figure de la phase dangereuse du groupe.
Désormais libéré de toutes contraintes, Paul Di’Anno peut se lancer dans une carrière solo. On espère beaucoup de lui. « The Number Of The Beast » sort très rapidement, le 19 mars 1982, toujours sous la houlette du producteur mythique Martin Birch. Il est numéro un des ventes en Grande-Bretagne, 33ème du Top 200 US. Si le licenciement de Paul Di’Anno a clairement été mal vécu par les fans, le grand public heavy-metal a remplacé les nostalgiques de l’atmosphère des deux premiers albums, qui sont néanmoins fort nombreux. L’aura de bête heavy-metal de Paul Di’Anno reste alors immaculée. Il n’a finalement qu’à reprendre la suite du Iron Maiden des deux premiers albums avec d’autres musiciens judicieusement choisis. C’est même comme cela qu’est vendue sa première VHS en concert, « Di’Anno Live At The Palace » (à Paris). Il est le chanteur ORIGINAL d’Iron Maiden.
Cette vidéo, comme son premier album, sortent pourtant bien trop tard. Paul a bien fondé son propre groupe en solo portant son nom, DiAnno. Mais il va prendre son temps, traînant les bars et les soirées, avant de se remettre au travail. Et il ne veut plus entendre parler de heavy-metal. Sur « DiAnno », qui sort en 1984, il est devenu vocaliste d’un rock mélodique bouffi de synthétiseurs. Il a fallu presque trois ans d’attente pour cela. Le disque est mauvais, même si Di’Anno y chante fort bien, et surprend son auditoire à pouvoir chanter à peu près ce qu’il veut avec talent.
Mal managé, rongé par une consommation de cocaïne et d’alcool galopante, il accepte finalement de rejoindre une sorte de super-groupe de la NWOBHM réunissant outre lui le guitariste Jannick Gers ex-White Spirit et Gillan, le bassiste Neil Murray ex-Whitesnake, le guitariste Pete Willis ex-Def Leppard, et Clive Burr ex… Iron Maiden. La chose est nommée Gogmagog, et sort en 1985 un unique EP, « I Will Be There », de trois titres efficaces mais sans âme. Paul Di’Anno semble saboter consciencieusement sa carrière. Il regarde alors les offres d’enregistrement qui lui sont soumises, et les accepte contre un gros chèque, quel que soit la qualité de la musique et l’honnêteté de la chose. Di’Anno préfère passer son temps à boire, se droguer, et profiter de sa belle gueule de rebelle qui lui apporte sur un plateau de jeunes femmes gourmandes mais naïves. Le chanteur n’est pas de ce que l’on peut appeler un gentleman, et il honore ces dames avec peu de considération.
Battlezone
En 1985, les scènes thrash américaines et allemandes avec Metallica, Megadeth, Slayer, Sodom et Destruction ont largement dépassé en violence sonore les Anglais. Les groupes de la NWOBHM sont soit séparés soit au bord du split comme Diamond Head et Samson, ou ils se sont largement tournés vers l’étranger, et notamment les USA : Iron Maiden, Saxon, Def Leppard.
Paul Di’Anno est approché par le guitariste John Wiggins, membre de Deep Machine qui fut phagocyté par le guitariste Kevin Heybourne pour devenir un temps Angel Witch en 1982. Wiggins fut évidemment le cocu de l’affaire. Il souhaite relancer un vrai groupe de heavy-metal capable d’en répondre aux USA et à l’Allemagne. Le guitariste John Hurley est déjà dans le circuit, ainsi que le batteur américain Bob Falck et le bassiste danois Pete West. Le nom de Paul Di’Anno serait vraiment une plus-value. Mais il n’est pas approché pour son passé avec Iron Maiden. Wiggins est fan de la voix de Di’Anno, et pense qu’il est capable d’interpréter un heavy-thrash-metal agressif sans problème. Alors à la dérive musicalement parlant, le chanteur se ressaisit, et se jette dans ce nouveau projet qui va prendre le patronyme de Paul Di’Anno’s Battlezone.
Le groupe est signé sur un petit label, mais avec des ramifications internationales. Le quintette enregistre un premier album nommé « Fighting Back » qui voit le jour en 1986. Il s’agit ni plus ni moins que d’un chef d’oeuvre de heavy-metal thrashy. Paul Di’Anno s’y montre brillant, rappelant sa présence au sein d’Iron Maiden. Mais il est aussi capable de nuances mélodiques finement amenées sans se départir de sa puissance vocale. Les excellents titres sont nombreux : Welcome To The Battlezone, Warchild, les splendides In The Darkness et The Land God Gave To Caine, les redoutables Too Much To Heart et Voice On The Radio. Presque cinq ans après son départ d’Iron Maiden, toutes ses nuances vocales entre punk, blues et heavy-metal explosent enfin sur des morceaux à la hauteur de son talent. Wiggins et Hurley sont d’excellents guitaristes, concis et efficaces, jamais prétentieux, qui maintiennent l’unité sonore d’un groupe tourné résolument vers l’efficacité.
Le groupe est bien managé par un certain Mickey Keys, qui, en accord avec le groupe, décide de faire tourner Paul Di’Anno’s Battlezone en Amérique du Nord. Il s’en sort fort bien, d’autant plus que le disque « Fighting Back » reçoit d’excellentes critiques, régénérant dans le petit coeur des chroniqueurs britanniques une certaine fierté nationale. Mais là encore, Paul Di’Anno, ou plutôt Fuckeye Jones, va tout faire capoter. Emmenant avec lui les musiciens dans son délire, Paul Di’Anno’s Battlezone se comporte comme les Sex Pistols. La tournée sera surnommée « Slap The Flaps », soit « claque les lèvres », ce qui en dit long sur la consommation sexuelle des musiciens. Les concerts seront inégaux, mais les bons soirs, Paul Di’Anno’s Battlezone est littéralement intouchable. Paul Di’Anno est capable de parfaitement retranscrire vocalement toutes les nuances de morceaux complexes comme The Land God Gave To Caine de presque huit minutes malgré sa consommation peu recommandable d’expédients.
Cette tournée d’imbéciles ne fait rien pour arranger la réputation du quintette qui a pourtant tous les atouts pour s’imposer sur la scène avec un heavy-thrash mélodique redoutable parfaitement imbibé de la puissance vocale de Paul Di’Anno et de son âme dangereuse des premiers albums d’Iron Maiden. Le disque et les concerts doivent leur succès à cette aura que Paul Di’Anno ne mesure pas vraiment, et sabote malheureusement. A nouveau, des bootlegs de Paul Di’Anno’s Battlezone d’excellente qualité circulent via des bandes radio, et qui seront la base de l’hommage du morceau Voice On The Radio. S’il y aura beaucoup de dope et d’alcool sur cette tournée, elle sera malgré tout d’un succès encourageant, et ouvrira des portes commerciales au groupe. Ainsi, le set au Palladium de New York sera filmé et retransmis par MTV.
Children Of Madness
Un second album est assemblé, nommé « Children Of Madness ». Il est un peu plus fin mélodiquement parlant, mais conserve la hargne originelle. C’est un nouveau joli succès commercial, qui aboutit à des émissions télévisées, notamment en Espagne. Paul Di’Anno a abandonné son look cuir inspiré de Mad Max pour un grand manteau noir, une coupe mulet et du rimmel sur les yeux. La tournée ne sera pas plus fine au niveau stupéfiants et sexe.
Pour ce second album de Paul Di’Anno’s Battlezone, Falck est remplacé par Steve Hopgood, batteur issu de la scène de la NWOBHM avec des groupes undergrounds comme Bronz, Chinatown ou Persian Risk, dont l’un des guitaristes Phil Campbell sera le fidèle second de Lemmy Kilmister dans Motörhead. Hopgood est une tête brûlée du heavy-metal, comme Di’Anno. Hurley s’en va également, épuisé par la tournée qui vient de se terminer, il est remplacé par Graham Bath, également de Persian Risk.
Paul Di’Anno fustigera la scène britannique lors de la sortie du premier album. C’est que cette dernière n’est plus que l’ombre de celle de 1980. Le heavy-metal est bien plus actif et populaire aux USA. Mais c’est bien une pointe de fierté nationale qui est écornée. Battlezone signe sur le label Powerstation en Grande-Bretagne pour ce second album, et bénéficie donc d’une meilleure distribution en Europe. Le quintette opte pour un look plus glam-metal capable de plaire à un public plus large. Il n’abandonne cependant pas son mordant, du moins sur l’essentiel. Néanmoins, l’approche est plus mélodique, influencé dans son choix par les confrères britanniques Grim Reaper, sont les deux premiers albums ont connu un succès inattendu aux Etats-Unis grâce à MTV sans se départir de leur heavy-speed agressif. Cela se sent sur les refrains de I Don’t Wanna Know ou It’s Love. Paul Di’Anno’s Battlezone réussit cependant le pari de ne pas se compromettre musicalement en créant un juste équilibre entre heavy-metal solide et touches mélodiques. Paul Di’Anno exploite en particulier dans son chant sa passion pour le chanteur Alex Harvey, fondateur du Sensational Alex Harvey Band, qui sut fusionner avec génie hard-rock, chanson folk et une forme de théâtralité glam-rock. Cela s’entend sur Nuclear Breakdown ou le morceau de bravoure Children Of Madness, pièce épique par excellence. Des clins d’oeil à Whitesnake sont également à signaler sur Metal Tears, It’s Love ou Overloaded. Au final, « Children Of Madness » est un album très réussi, parfait successeur de « Fighting Back », tout en ouvrant de nouvelles portes sans trahir l’esprit heavy menaçant porté par Paul Di’Anno.
La tournée sera toute aussi mouvementée que la première, le duo Di’Anno-Hopgood menant indirectement à sa perte une formation pourtant capable de prestations brillantes. Mais on ne peut vivre à cette vitesse sans des conséquences plus ou moins immédiates. Selon les propres mots du chanteur, le noyau dur Di’Anno-Wiggins-Hopgood « fouettait un cheval mort » sur les dernières dates. Paul Di’Anno’s Battlezone donne son dernier concert le 10 décembre 1989 à la salle le Dynamo d’Eindhoven aux Pays-Bas, honorant d’ultimes engagements. Mais l’énergie s’est envolée, dissoute dans les excès.
En 1991, Paul Di’Anno atterrit à Los Angeles, et il a pratiquement acté le fait que sa carrière de chanteur est terminée. Il ne sait pas trop quoi faire, à part voyou.
Les tueurs
Paul Di’Anno finit la tournée à l’état de quasi-épave. Battlezone a toujours conservé un bouton d’autodestruction sous son coude, et s’en est allègrement servi. On ne compte plus les bagarres dans les boîtes de nuit, les soirées à base de seaux d’alcool et de drogues, les admiratrices outrageusement, et sans doute peu respectueusement honorées par cette bande de barbares complètement cramés.
En 1991, Paul Di’Anno atterrit à Los Angeles, et il a pratiquement acté le fait que sa carrière de chanteur est terminée. Il ne sait pas trop quoi faire, à part voyou. Mais le frisson de la scène lui manque, et le coup de fil miraculeux de Steve Hopgood tombe à pic. Il est en train de réunir une petite bande de musiciens de la NWOBHM à New York : outre lui, il y a le guitariste Cliff Evans de Tank, et le bassiste de Raven John Gallagher serait aussi de la partie. Di’Anno s’extirpe du lit de son petit appartement californien pour les rejoindre. Le courant passe immédiatement. Tous ont en commun de vouloir en découdre. La NWOBHM leur a échappé, le thrash-metal US leur a tout piqué, ils ont soif de revanche. Les chansons se montent rapidement, et Paul Di’Anno ressent la même impression que lorsqu’il s’assit un jour de 1978 devant une tasse de thé avec Steve Harris. Le futur groupe a un potentiel exceptionnel. Le guitariste Nick Burr de Tyrant vient compléter le nouveau quintette, et ce dernier envoie un power-metal redoutable dont Impaler sera l’une des premières réalisations, ainsi qu’une reprise de Children Of The Revolution du T-Rex de Marc Bolan, une sucrerie de Paul Di’Anno.
Ce dernier se transforme peu à peu en une racaille à la sauce bad boy US californien. Le crâne rasé, des tatouages couvrant peu à peu son corps, il est non seulement un consommateur de drogues dures, mais devient aussi un dealer pour s’assurer ses doses quotidiennes. Il a des problèmes de plus en plus fréquents avec les gangs locaux, et devient un vrai américain équipé d’un véritable arsenal : fusil d’assaut, armes de poing, couteaux… Le mauvais garçon londonien, déboussolé par la dope, devient une vraie teigne délinquante version US.
Hopgood est certes une mauvaise graine, mais il a de la suite dans les idées. Il a un management efficace, qui a d’ores et déjà en programme des dates en Amérique du Sud en vue d’un album live bon marché servant de rampe de lancement. Les pays de ce continent n’ont pas encore eu la chance de voir les meilleurs groupes de heavy-metal en action, car ils sont systématiquement écartés, considérés comme pauvres et sans intérêt. Mais au début des années 1990, c’est bien là que se trouve le foyer le plus incandescent de fans de heavy-metal anglais classique, engendrant des groupes aussi diverses que Sarcofago, Sepultura ou Angra. Dans l’histoire, John Gallagher est remplacé par Gavin Cooper, le premier préférant rester fidèle au trio fondé avec son frère : Raven. Le live « South American Assault », vendu cinq dollars uniquement en Amérique du Sud, permet à la formation de se faire la main. La set-list est essentiellement composée de morceaux d’Iron Maiden de 1980-1981, et de chansons de Battlezone. Le disque n’a alors d’autre intérêt que de prouver le fait qu’il s’agit d’un groupe solide, et pour Paul Di’Anno, d’un chanteur exceptionnel. Il sera nommé Killers en clin d’oeil au passé de Paul Di’Anno, le plus célèbre de la bande. Cela ne l’enchante guère, mais finalement, ce n’est pas si bête, car c’est comme cela que le groupe se voit, des meurtriers du son alors en préparation de leur premier disque.
« Murder One » sort en 1992 et est un très bon disque de heavy-metal power et thrash. Paul Di’Anno a développé un chant plus agressif, mais toujours bien en filiation d’Iron Maiden et de Battlezone. Il continue de disposer d’une puissance vocale invraisemblable malgré ses excès délirants. Remember Tomorrow d’Iron Maiden bénéficie d’une nouvelle version, nouveau clin d’oeil au passé prestigieux de Di’Anno. C’est que le chanteur vit largement des droits d’auteur des deux premiers albums avec Iron Maiden, qui est devenu un immense groupe de heavy-metal à travers le monde.
Afin de se donner toutes les chances, les musiciens décident d’écarter la cocaïne, et de se limiter à deux bières avant chaque concert. La tournée se passe bien, et et la réputation de Killers monte, jusqu’à être invité au Foundation Forum de Los Angeles, énorme convention pour groupes de rock avec des show-cases et des interviews. Killers descend à l’hôtel Marriott, et a comme voisins de chambre Ozzy Osbourne ou Kiss. Paul Di’Anno continue d’être un homme instable et frondeur, incapable de rester bien longtemps en place. Il s’échappe alors pour aller boire son poids en Jack Daniel’s, accompagné de plusieurs rails de cocaïne, la drogue annulant la cuite précédente, et permettant de recommencer encore et encore, jusqu’à limite de la mort. Les autres Killers le retrouve le soir ivre mort et défoncé, et doivent le porter à travers le hall de l’hôtel, passant derrière les musiciens de Kiss en train d’être interviewés par MTV.
Malgré les imbécilités de Paul Di’Anno, Killers commence à se tailler une vraie bonne réputation sur la scène Metal. Avec « Murder One », cela semble même une sorte de résurrection pour le chanteur. Cependant, rapidement, il va tout gâcher à nouveau. En couple avec une jeune femme, leur relation est plus que tumultueuse : carrément toxique. Ils passent le temps à s’aimer à la folie puis à se battre. Les deux finissent régulièrement avec des coquards et des cotes cassées. Et les descentes de police sont fréquentes à leur domicile. Di’Anno se retrouve à faire des séjours en prison, car les Etats-Unis sont bien moins permissives pour les hommes frappant des femmes, même si la réciproque violente peut-être avérée.
Cela contrarie sérieusement l’agenda de Killers. Un second album est enregistré : « Menace To Society » qui sort en 1994. Le chanteur a écrit les textes pendant ses séjours en prison, avant de les enregistrer à sa sortie. Killers est alors musicalement fortement marqué par le groupe Pantera, nouvelle coqueluche Metal américaine avec son groove-metal ravageur. Il y a d’excellents titres comme Chemical Imbalance, ou A Song For You, mais la production et la batterie triggée esquintent la qualité sonore. Killers s’en sort néanmoins fort bien dans le genre, mais l’album ne paraîtra qu’en Grande-Bretagne sur le label Bleeding Hearts. Désormais doté d’un casier judiciaire conséquent incluant violences, port d’armes illégal, consommation et détention de stupéfiants, Di’Anno est expulsé des Etats-Unis. Le reste de Killers ne peut que suivre, mais leur carrière est très sérieusement compromise, notamment car ce pays était leur principal marché et leur rampe de lancement.
Le groove-metal de Killers ne fait guère recette en Europe, les charts étant trustés par le grunge de Soundgarden et Nirvana, et le heavy-metal plus consensuel de Metallica et Guns’N’Roses. « Menace To Society » passe complètement inaperçu. Personne dans la presse européenne ne percute que Killers réunit Paul Di’Anno ex-Iron Maiden, ou Cliff Evans ex-Tank. Il s’agit d’un vague groupe de power-metal dont le seul mérite est de reprendre Faith Healer de Sensational Alex Harvey Band pour ce qui est des Anglais. Killers se disloque peu de temps après la sortie de ce disque. Paul Di’Anno a encore tout fait rater, et dans son autobiographie, il ne peut que reconnaître sa lourde responsabilité dans cet échec.
L’ombre d’une légende
La suite de la carrière de Paul Di’Anno va être une longue errance ponctuée d’opportunités de plus en plus médiocres. Il trouve un temps refuge au Brésil, l’Amérique du Sud restant fan d’Iron Maiden quelques soient les époques. Di’Anno y est alors encore une légende, tout comme au Japon et dans les Pays d’Europe de l’Est. Il cachetonne pour des albums de reprises comme celui consacré à Thin Lizzy où il reprend avec maestria Killer On The Loose. Il est aussi un des poulains de l’écurie Lea Hart. Ce guitariste-chanteur opportuniste avait précédemment réussi à se joindre au guitariste Fast Eddie Clarke, ex-légende ruinée et alcoolique de Motörhead, au sein de Fastway à partir de 1988, et à dérouler son hard-fm tout en profitant de la renommée de Clarke. Après la fin de Fastway en 1992, Hart jette son dévolu sur les anciens Iron Maiden de la première heure : Paul Di’Anno et le guitariste Dennis Stratton. Il leur fera notamment enregistrer deux albums sous le nom de The Original Iron Men en 1995 et 1996. Ils sont composés de chansons toutes aussi gluantes de rock FM éculé signées Lea Hart, parfois les mêmes que sur les albums de Fastway.
La voix de Di’Anno ne semble toujours pas souffrir de ses excès toujours conséquents. Il ne fait que rechuter sans cesse, s’enfonçant à intervalles réguliers dans les excès de cocaïne et de Jack Daniels. Tout cela réveille chez lui des pulsions de violence de petite frappe engendrant des bagarres dans des bars, des hôtels, et plus graves, des coups et des actes sexuels moyennement consentis sur des petites amies plus ou moins de passage. Dans son autobiographie, il fera amende honorable sur son comportement envers les femmes, bien penaud devant la bêtise de ses actes. Mais l’image de beau chevalier noir du heavy-metal anglais des années Iron Maiden en a pris un sérieux coup. A partir de Battlezone, son histoire ne sera finalement plus que cela : une alternance d’éclairs de génie musicaux et de comportements imbéciles et immatures.
Conscient de ses erreurs, il fait la paix avec Steve Hopgood. Avec lui, il reforme Battlezone pour un honnête album nommé « Feel My Pain » en 1998 et une petite tournée. Mais ce qui les réunit vraiment, c’est l’échec de Killers. Le groupe se réunit dans sa configuration originale : Paul Di’Anno au chant, Steve Hopgood à la batterie, Cliff Evans et Graham Bath aux guitares, Gavin Cooper à la basse. Leur prestation au club Whiskey-A-Go-Go de Los Angeles en 2000 est impeccable. Le groupe est habité par l’envie de faire aussi bien, si ce n’est mieux qu’à l’époque. Après vingt ans d’excès divers, Di’Anno continue d’être un vocaliste prodigieux, aux nuances entre punk et metal de plus en plus élaborées. Il n’y aura cependant pas d’album à venir. Personne ne veut plus de Paul Di’Anno sur un label, et les autres musiciens sont passés à autre chose.
Le chanteur se retrouve peu à peu seul, enregistrant des albums solos avec des musiciens d’Amérique du Sud ou des Pays de l’Est à la technique instrumentale parfois un peu précaire. Di’Anno exploite de plus en plus et jusqu’à la corde son passé avec Iron Maiden, composant de moins en moins de titres originaux et se contentant d’offrir aux quelques fans fidèles ce qu’ils veulent. Il en est aujourd’hui réduit à àa. Désormais cloué dans un fauteuil roulant à cause de problèmes de phlébites mal soignés et de genoux récalcitrants, système de santé britannique oblige, il devra donc faire appel à un crowdfunding pour se payer un traitement dans une clinique de Croatie. Il a les dents pourries, et doit bénéficier de kinésithérapie et de drainage lymphatique quotidien. Il n’en a pas les moyens, et doit continuer à assurer des dates de concerts en fauteuil pour payer ses soins, ce qui n’arrange en rien son état, puisque ceux-ci ne sont pas réguliers. Steve Harris et Bruce Dickinson viendront lui rendre visite, et feront des dons financiers substantiels à cinq chiffres pour l’aider, malheureusement encore insuffisants.
Paul Di’Anno est désormais un infirme rasé et tatoué de la tête aux pieds, en treillis, ressemblant à ces punks à chiens des petites villes de province. Il fut et reste l’icône magique des premières années d’Iron Maiden. Sa présence reste tellement puissante et indélébile de l’histoire du groupe qu’Harris et Smallwood lui consacreront une large part du coffret Eddie’s Archive en 2002 et du DVD The History of Iron Maiden, Part 1: The Early Days en 2004. Malgré le fait qu’il exploite largement le patrimoine des deux premiers albums d’Iron Maiden, Di’Anno se montre discret sur le sujet. Il ne semble pas conscient de sa contribution majeure au succès de cette première période du quintette anglais. Le livre précieux de photos publié chez Rufus sur Iron Maiden sous-titré The Paul Di’Anno Years en dit long sur l’impact visuel et musical de ce jeune hooligan anglais à la voix d’or qui tint le micro d’un groupe désormais aussi mythique que les plus grandes institutions rock que sont les Rolling Stones, Led Zeppelin, Deep Purple, Genesis, Yes ou Black Sabbath.