Imaginez une armoire à glace tout en débardeur estampillé PSYCHIC TV et tatouages en train d’embrasser à pleine bouche Genesis P-Orridge, leader du groupe susnommé : ou quand l’after concert est à la hauteur des deux heures qui viennent de passer; rock’n’roll, vraiment.
L’histoire c’est une ligne droite, et le truc, c’est la musique. Toujours la musique. Et surtout pas de faux détachement, d’ironie facile glissant avec le temps vers le cynisme. Le point de départ d’un récit passionnant: en ce vendredi soir, à Marseille, les rues sont pleines de carrefours; il va bien falloir choisir. Un festoch garage rock, une soirée club à l’heure de l’apéro ou une légende du rock transformiste ? J’opte pour la 1e partie du second (Anything Maria, blonde à guitare et machines qui fait le pont entre P.J Harvey, encore elle, et du répétitif faussement club) : le public de Miss Kittin & the Hacker, encore éparse, accueille assez bien cette rockeuse tribalo indus en se roulant des pelles au bar où en faisant la gueule adossé à la scène. Pari réussi, les filles : vous avez l’air aussi con que n’importe quel con.
Je file de là avant la fin du set : je ne veux pas rater le sexagénaire siliconé et botoxé et ses PTV3. Normalement, pas de soucis, ça va rentrer dans la rubrique Culte. Normalement. Jusqu’ici tout va bien.
Une légende rock. Avec des nichons en plastique et une gueule à featurer dans Nip / Tuck. Ce soir, à Marseille, c’est l’heure de gloire. Car sous un carré blond façon Mireille Darc période Audiard / Lautner, Lou Reed et Nico cohabitent dans le même corps et ce, depuis 50 ans.
Genesis P-Orridge ? Une outre à silicone et botox, engoncée dans une tunique orange sous laquelle un ventre énorme se devine. Car oui, le temps a passé, les splendeurs d’avant ne sont plus si nettes, la séduction a adopté un autre langage, la compagne de toujours, Lady Jaye, l’a abandonné (disparition qui lui a inspiré le récent Mr Alien vs The Skinwalkers). Mais sa voix a toujours des couilles, croyez moi. Et je vous le dis tout de suite, ce fut exceptionnel. Extraordinaire ; au sens propre du terme. A la hauteur du mythe ? Non, mieux que ça : vivant. Débordant. Bruyant.
Résultat, après cinq minutes de crainte, genre espérons que papy ne va pas assurer le minimum syndical, j’oublie très vite de boire ma bière, j’oublie qu’on crève de chaud, j’oublie qu’on a plus le droit de fumer dans les concerts et je me dis qu’il y a là comme des relents de Factory à l’anglaise et qu’en même temps, il n’est pas question de nostalgie. Non, il est question de rock psyché, du vrai : pauvre étiquette collant dans ma poche à cause de la sueur ; je la sors, faute de mieux.
Mes yeux et mes oreilles sont happés tout entier par le son, par cette énergie INCROYABLE orchestrée par Genesis P-Orridge et son regard presque révulsé, cette échancrure et ces faux seins qui pointent vraiment, son I-phone en guise d’antenne Martenot. Par cette bassiste avec ses rides au-dessus des lèvres : mettez lui un chignon, un chemisier old school, elle vous servira le thé au fond d’un canapé victorien. Par ce batteur tribal capable de tout, d’un détour kraut, d’une envolée noise, jouer fort dans les temps faibles, s’effacer dans les temps forts tout en continuant de soutenir les fondations.
J’ai une admiration sans limites pour les batteurs intelligents qui savent cogner. Ce sont les meilleurs. Ce sont les plus importants. Sans eux, pas de rock, pas d’intensité, rien.
Ceci dit, je vais par faire le malin non plus, genre le rock n’a plus aucun secret pour moi : Genesis P-Orridge, il y a une semaine, je savais même pas qui « il » c’était. Alors entre deux paragraphes, j’ai googelisé le bonhomme (le transsexuel, le transformiste, comment dire ?) : premier groupe en 76 : Throbbing Gristle, soit « sexe turgescent », l’Angleterre vacille et les traite de « menace pour la civilisation ». Les encyclopédistes du rock quant à eux, leur attribuent la paternité de l’indus ; ce n’est pas rien. En 81, deuxième groupe, Psychic TV, donc. 20 ans de carrière, entre Velvet, glam rock, psyché et même acid house, si l’on en croit Wikipédia… En 2003, Genesis P-Orridge est de retour avec un nouveau line-up, d’où ce PTV3 : ceux là même que j’ai eu sous le nez. Dans les oreilles. Se faisant la course dans mon système nerveux, à en taper du pied, à en osciller bêtement du cou, à sourire niaisement, à gueuler bravo à la fin d’un morceau où Genesis P-Orridge a empoigné son violon, son guitariste ayant pété une corde : petit virage induso-expérimental, histoire de nous rappeler un passif toujours actif…
Une légende, pour de vrai. A te remettre les compteurs des concerts à zéro. Ou l’envie de dire « j’y étais » est supplanté par quelque chose de plus important, de plus profond, une indicible joie d’avoir vécu ça, un soulèvement à ranger dans le petit classeur, celui des bonnes raisons de vivre, oui monsieur, oui madame. Et ça n’est pas le baroudeur rock tatoué mangeant goulûment la bouche de son idole après le concert qui dira le contraire.
PTV3 / / Mr Alien vs The Skinwalkers / / Sweet Nothing