Récemment, je constatais que les pages Web des principaux supports féminins associent immanquablement sur un même onglet "sexe" et "love" — tout en ne manquant pas de revendiquer parallèlement des valeurs féministes d'indépendance et de pouvoir. Est-ce le cas sur la page de FHM ? Je vous laisse deviner.

Nous l’avons suffisamment entendu pour l’intégrer : les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus. À la librairie dans laquelle je travaille, on trouve d’ailleurs un livre intitulé Pourquoi les femmes font-elle l’amour ? coécrit par l’auteur de l’incontournable Le meurtrier ordinaire : pourquoi l’esprit est-il conçu pour tuer ? Et c’est un fait, partout où l’on prône le développement de supports érotiques destinés au public féminin, on invoquera longuement les différences de sensibilité des deux sexes. Rapide analyse des faits : la règle de base du marketing est de créer le besoin, un besoin vient d’être créé, ma bouche affiche un sourire narquois… Peut-être à tort.

Je pensais pourtant que nous étions partis sur une base égalitaire. Bien avant l’accès au porno haut débit, nous avions regardé Benny Hill et les stripteases des Playmates des émissions de Stéphane Collaro en famille, pendant que le décolleté de Lova Moor explosait sur le Télé 7 jours de la table du salon. Et, bien que tombant amoureuse de tous les garçons que je croisais, le modèle connecté à l’idée de sexualité, c’était le corps de la femme. Et, parce qu’il est temps pour ma famille de mesurer l’impact du non-rachat d’un Ken lorsque le premier s’est fait arracher la jambe par un crocodile, il faut savoir que les journées de mes Barbies étaient occupées par des orgies saphistes — ou, parfois, par des pique-niques en forêt aboutissant à des orgies saphistes. J’avais à l’époque saisi la justification dans les propos de ma grand-mère, qui avait un jour déclaré que le corps de la femme était plus beau que celui de l’homme. L’autorité avait parlé, dossier clos ; mes Barbies pouvaient reprendre leurs activités.

Cette approche a évolué lorsque j’ai découvert une presse ado aspirant à faire découvrir mille concepts fascinants à un lectorat en pleine tempête hormonale.

Il y a d’ailleurs eu un laps de temps où, dans une même matinée, j’ai pu apprendre à réaliser un bracelet en macramé dans Minnie Magazine et à pratiquer une fellation dans Bravo Girl. Le caractère technique des explications données n’étant parvenu à éveiller en moi qu’un intérêt limité, j’ai dû attendre près d’une décennie pour pratiquer l’une et, mes goûts ayant évolué entre-temps, je n’ai jamais eu l’occasion de m’essayer à l’autre. Mais une chose était claire : la presse pour jeunes filles, dans le sillage de la presse féminine, ambitionnait de faire de moi une déesse du sexe, capable d’asservir un homme d’un mouvement du bassin. Très attentive aux prises de parole du groupement féministe le plus en vue à l’époque (les Spice Girls), l’idée me paraissait extrêmement moderne et pertinente.

Mais ce qui devait arriver arriva. Le jour où j’ai découvert par moi-même une réalité franchement moins exaltante que ce qui m’avait été vendu pendant ces années de lecture assidue, la presse féminine a perdu son intérêt. Au final, ces modes d’emploi pas si éloignés des fiches cuisine (le manque de réalisme en plus) m’ont-il servi ? Sûrement moins qu’une discussion entre amies ou même qu’un épisode de Sex and the City (série pourtant écrite par des hommes). Il ne me restait plus qu’à tenter de me distancier de tous ces conseils patiemment ingurgités.

C’est d’ailleurs une conversation entre filles, a priori toutes hétérosexuelles, qui a fini de donner raison à ma grand-mère en démontrant que, si l’occasion nous était offerte, nous étions toutes disposées à changer de bord (au moins quelques heures) pour les beaux yeux de Shane, héroïne garçonne de la série The L World. L’échelle de Kinsey, proposant six degrés de gradation entre une personne exclusivement hétérosexuelle et une exclusivement homosexuelle, prenait tout son sens. Mais ce n’est que plus tard que j’ai réalisé le fait que l’érotisme tel que distillé dans la société depuis qu’il a fallu vendre des voitures et du gel douche s’est axé sur le désir de l’homme hétérosexuel. Dans cet environnement, le développement de pornos destinés à un public féminin s’avère intéressant mais pas forcément prioritaire. L’imaginaire érotique est loin de se construire exclusivement sur le visionnage de supports X et la femme n’a pas attendu l’avènement du porno pour être chosifiée. Le droit de la famille et les publicitaires étaient déjà passés par là.

Mais, parce que je crois au sens critique, je ne suis pas certaine que je changerais quoi que ce soit à ce parcours. À défaut d’avoir fait de moi le meilleur coup de la planète, les lectures de ma prime adolescence ont fait de moi une poupée qui fait non.

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