La question intéresse sûrement tous les vieux cons ne jurant que par Van Morrison et Robert Plant, c’est-à-dire la (grande) majorité (je l’espère) des lecteurs de Gonzai tout comme ceux qui achètent Trax pour le CD offert vénèrent probablement des producteurs bidons, genre Ben Clock ou Nina Kravitz, au même titre que je chéris Warp Records alors que je sais pertinemment que la moitié de leurs sorties sont bonnes pour les poubelles de l’internet. Mais comment aborder une question qui relève de la sociologie profonde (et mériterait sûrement plus qu’un article) alors que je suis un nanti sorti d’école de commerce et que les seules fois où j’ai refait le monde c’était avec Stéphane au PMU de Cergy autour d’un fraise-bonbon ?

Au pire, le lecteur moyen méprise profondément 1995 (se lit un-neuf-neuf-cinq), pas tant pour leur musique mais pour l’image que dégage leur public (les ien-clis).  Au mieux, il ne sait même pas qui ils étaient. Et ce n’est pas très grave. Résumé rapide, prêts ? Groupe de rap fin 2000’s, début 2010’s. 5 rappeurs (Nekfeu, Sneazzy, Alpha Wann, Darryl Zeuja, Fonky Flav’), 4 arrondissements (5ème, 13ème, 14ème, 15ème), au moins 3 influences (Les Sages Poètes de la Rue, Lunatic, Scred Connexion), 2 EPs (La Source, La Suite) et 1 album (Paris Sud Minute). Ah, et j’ai oublié de mentionner le producteur dont vous aurez surement oublié le nom d’ici la fin de l’article : Hologram Lo’. C’est tout ce que vous avez à savoir pour continuer à lire (et à faire la conversation dans les soirées mondaines du Silencio, ou avec votre date Tinder qui a menti sur son âge pour pouvoir s’inscrire).

1995 - Paris Sud Minute - Abcdr Du Son

Quand j’étais au collège, la musique était le marqueur social le plus important, ou au moins aussi important que le nombre de commentaires sur ton Skyblog, la couleur de ton sac Eastpak ou celle des lacets de tes Converse, tu sais celles sur lesquelles tu griffonnais ton code postal au Posca : tu trainais avec des gens qui avaient les mêmes goûts musicaux que toi, et tu savais exactement qui écoutait quoi à sa dégaine.  Il y avait une vraie diversité, d’autant plus que mon collège était à la lisière des 5ème et 13ème arrondissement de Paris, pris en étau entre les barres HLM de la rue Duméril et le bas quartier latin mi-intello mi-bourge.
T’avais la bande de nanas nasillardes qui écoutaient Coldplay et Muse, les jeunes rebelles mécheux fans de garage rock et autres actes associés genre Nirvana ou Slipknot, l’équipe de lascars qui soulevait des questions métaphysiques à n’en plus finir (C’est Booba ou Rohff le boss du game ? Sexion d’Assaut ils sont nazis ou bien ?), les tecktonik killers qui dansaient sur leur merde (aucun autre terme ne me vient à l’esprit) ou encore les marmots qui ne connaissaient que la musique de leurs parents (et je vous assure que certains ont souffert d’avoir Chimène Badi dans leurs iPods). Puis il y avait moi.

Pendant longtemps je n’écoutais que les Daft Punk, qui m’ont par la suite poussé à m’intéresser à la scène électronique française de l’époque (Ed Banger, Institubes, Kitsuné…). Pas la peine de préciser qu’avec ces goûts-là, je n’étais franchement pas le gosse le plus populaire. D’ailleurs, vous avez vu qu’ils se sont séparés récemment ? Honnêtement, ça ne m’a fait ni chaud ni froid. Enfin, y’a un détail qui m’a fait bondir de mes grolles : les hommages de la génération Z (ceux qui sont nés après la seconde guerre de Tchétchénie) sur les réseaux sociaux. « J’suis trop triste, Random Access Memories est mon album préféré », « Je vais passer Get Lucky en boucle pour leur rendre hommage », « j’écoute surtout du rap mais RAM c’était incroyable »… Bordel de qui vous moquez-vous ? Y’a qu’une œuvre à mentionner, c’est Homework (allez je suis sympa, si vous citez Discovery c’est tout bon aussi). Vous rendez-vous compte de l’impact qu’a eu cet album ? Je pense que même Jean-Michel Jarre et Isao Tomita ne comprenaient pas comment les Daft avaient produit Rollin’ & Scratchin’, et que Bob Sinclar a essayé de faire grincer tous les ustensiles de sa cuisine pour obtenir le même son avant de finalement lancer sa carrière en leur volant Gym Tonic. Enfin bref, cette époque est révolue. Car aujourd’hui, le rap est aux jeunes ce que le rock était à nos parents. Pfiou, je retombe enfin sur le sujet initial, je m’égare souvent. Avez-vous la moindre idée de la difficulté que représente pour moi le respect d’une ligne éditoriale ? Mesrine avait sûrement moins de mal à passer incognito devant le 36 dans sa BMW grise et sans postiche. Enfin, j’avais peut-être surtout la flemme d’aborder ce qui va suivre.

Aujourd’hui, même dans le 16ème catho’ les jeunes écoutent Booba raconter qu’il se lave le pénis à l’eau bénite ou que la Vierge Marie se snap.

Car c’est là que le sujet devient touchy, on ne peut pas l’aborder sans parler de noirs, de blancs, de banlieues, de quartiers bourgeois, des termes un peu tabous dans le journalisme français. Mais il faut bien imprimer que le rap et le rock viennent des States et sont intimement liés à l’histoire de leur société : les noirs ont créé le rock, les blancs l’ont démocratisé (je caricature, si la question vous intéresse lisez Bring The Noize de Ryan Reynolds). Je dois m’efforcer d’écrire comme un Américain, un stylo dans la main droite et un gallon de Coca-Cola saveur vanille dans la main gauche. Parce que la musique a toujours eu une connotation sociale. Et qu’aujourd’hui, le rap s’adresse à toutes les catégories de jeunes en France, qu’ils soient de cité ou des beaux quartiers. Attention, je ne dis pas que les jeunes blancs n’écoutaient pas déjà du rap dans les années 2000. Mais ça n’était pas le même rap. Ils écoutaient des choses comme Hocus Pocus ou Stupeflip, globalement de la musique moyenne sur fond de Fête de l’Huma, avec -paradoxalement- un mépris pour le rap de banlieue (écoute ça mec c’est du bon rap, ça ne parle ni de meufs, ni de drogue ni de grosses bagnoles). Aujourd’hui, même dans le 16ème catho’ les jeunes écoutent Booba raconter qu’il se lave le pénis à l’eau bénite ou que la Vierge Marie se snap (envoyer une photo par Snapchat, ndlr) les doigts dans la c***** (je sais que c’est pas le genre de la maison de censurer, mais ma maman va lire l’article). Ils écoutent des rappeurs de banlieue qui abordent des lieux communs du genre, autrefois mal vus, aujourd’hui banalisés. Et ma thèse est simple : si tu es de la génération Z, que ta daronne soit Asset Manager chez Edmond de Rotschild ou buraliste à Palavas-les-Flots, tu écoutes sûrement du Ninho et du PNL. Ce que tu ne sais pas, c’est que c’est grâce à un groupe de rappeurs de Paris Sud.

Ces morceaux qui ont 10 ans en 2021

1995 a décomplexé le rap de banlieue dans l’inconscient collectif sans pour autant en faire. Vous me suivez ? Vous vous rappelez quand je vous ai dit que les noirs ont créé le rock et que les blancs s’en sont emparés ? 1995, a fait ça avec le rap et à l’échelle de la France. A l’heure où toute la scène rap française (Booba, Rohff, La Fouine…) accompagnait la fin du mouvement gangsta rap (re)impulsée par Lil Wayne et compagnie, 1995 a pris tout le monde de court en revenant aux origines du rap. Ils ne faisaient pas du rap old school, mais ils en redécouvraient les origines et le revendiquaient dans leur nom et dans leurs paroles : « On prend l’Rap à la source: rime, sample et flow // 1.9.9.5: l’équipe qui t’met des gifles au micro ».

Nekfeu, le plus talentueux du groupe (même si aujourd’hui Alpha Wann lui tient tête avec son excellent Une main lave l’autre) est devenu (malgré lui) l’idole du public qui dit « j’aime pas le rap mais j’adore 1995 ». Je dis malgré lui parce qu’il a toujours eu les codes du rap de banlieue mais peu de gens s’en rendaient compte. Et que je reste persuadé qu’il n’aime pas une bonne partie de son public de l’époque (ces gens qui l’écoutaient mais méprisaient le rap de banlieue). Vous ne vous en rappelez surement pas, mais les médias d’infodivertissement genre Konbini aimaient se moquer des rappeurs autotunés comme Jul. Puis un jour, ils ont interviewé Nekfeu qui a dit qu’il adorait Jul, qu’il représentait la rue, la vraie, puis ces gens se sont mis à parler de Jul sérieusement.  Vous me direz qu’il s’agit juste d’une anecdote, mais si vous faisiez autant attention que moi au traitement médiatique du rap (qui est malheureusement toujours compliqué) vous auriez senti que 1995 a été un grand déclic dans la perception du rap de banlieue en France. Les mecs de 1995 posaient avec des filles presque nues, ils parlaient de drogue, d’alcool, mais c’est passé comme une lettre à la poste parce qu’ils ne mettaient pas de survet’. Puis je trouve ça rigolo de se dire que ce sont des jeunes de Paris Sud qui ont permis de démocratiser un art souvent associé à Paris Nord et sa banlieue, d’autant plus qu’il y a une certaine rivalité nord-sud. « La banlieue influence Paname, Paname influence le monde » pour ne pas citer Médine.
Je viens moi-même du 13ème, j’étais aux premières loges de la fulgurante ascension de 1995, j’ai grandi avec ça. J’ai peut-être vécu différemment leur impact culturel, et j’exagère surement par moments. Évidemment qu’il y a d’autres raisons plus évidentes pour expliquer cette propension des jeunes en France à écouter du rap. Une piste à explorer est la concordance entre l’essor du streaming et celle du rap qui a créé un cercle vertueux, car c’est un genre de musique plus instantané, plus accessible que le jazz, le rock ou la musique électronique. J’adore le streaming mais je déteste ce que les gens en font. Dans les années 70, Lester Bangs disait qu’il rêvait d’avoir une cave avec toute la discographie du monde en vinyle. Eh ben Spotify l’a fait, ça tient dans une brique munie d’internet, mais les gens ne trouvent rien de mieux que de binge-listen (je voulais déposer ce terme à l’INPI mais ça existe déjà apparemment) les mêmes titres en boucle (évidemment, ceux auxquels ils ont adhéré dès la première écoute). Vous imaginez si Spotify était sorti à l’époque ? Qui aurait donné une seconde chance à Exile on Main Street des Stones ? Aucun hit, mais je vous garantis que c’est leur meilleur album. Tiens, j’ai oublié de parler de la raison principale qui fait que tous les jeunes écoutent du rap en France : la qualité des projets depuis quelques années. La prochaine fois je me fais un brouillon, j’arrête de me fier à ma mémoire. Ne vous y fiez pas non plus si vous ne vous rappelez plus du nom du producteur de 1995.

27 commentaires

    1. Bonjour le problème de la France il vont te cataloguer tout les mec de cité en disant qu’ils font du rap.mais beaucoup font de la variété française en faite pourquoi parce que nous sommes plus à l’époque de Johnny l’évolution du langage le multiculturalisme es plus présent à notre époque le rap es représentatif des minorités aujourd’hui il représente beaucoup d’égoïsme l’appartenance de bien ces du rap de droite car il font plus de pub pour les riches enfin vous voyez

      1. Oulala du « rap de droite » m’enfin vous voyez braves gens.. étant entendu que l’individualisme, le trafic de shit et les twerkeu.se.s qui se frotte le cul sur ta bite : c’est de droite.

  1. Même si je suis vieux, Je peux te dire que non 1995 n’a pas fait basculer le public jeune de leur playlist habituel vers le rap. Tout simplement parce que je les ai pas attendu pour m’intéresser au rap et je vois pas pourquoi je serai le seul a être curieux.

    Et les bourges qui s’encanaillent en écoutant de la street musique et ben dans les années 90 ça existait déjà et c’était des pétasses qui écoutaient les berus. C’était pour faire bien chier leur parents, comme aujourd’hui avec PNL de merde et autre autotune trépané. Ca s’appelle être adolescents, rien de bien révolutionnaire.

    1995 je pense que pouvait pas marcher sur le long terme. Ça plaisait et aux jeunes et aux vieux…

  2. Il faut arrêter d’essayer de parler de rap Gonzaï
    Vous y arrivez pas, c’est pas votre truc, vous essayez de faire des efforts, mais c’est balourd, c’est foireux et ça se voit que vous y comprenez rien ou que votre écoute est bancale. Et c’est pas grave, c’est comme ça, c’est la vie, on vous aime bien quand même
    peace

  3. 1995,je me souviens.Differends groupe.De Démocrate d aux Sages poètes de la rue,en passant par Madison et Crysto le barbare…Autres temps,autres vibes!Le temps a changé…Vos pseudo rappers actuels me font glori!

  4. Non je crois pas le jeu écoute de la m3rde en passant par wejdenne bigflow olive jul et toutes cest daube quon peut retrouver sur skyfrok

  5. Vous faites un article sur la musique de jeunes alors que Gonzai n’est lu que par des vieux (un peu réac’ en plus).
    C’est pour ça que ça marche pas.

  6. tom tom club buffalo tom tom rundgreen tom b ola tom pretty tom waits there tommy tom chibouilla, que des sacres champions…. tom la!

  7. Pourquoi tous les jeunes écoutent du rap en France ? Grâce au regroupement familial, tout simplement madame Michu.
    Faut pas chercher plus loin…

  8. Comme d’hab après un article sur tel ou tel sujet arrivent les spécialistes …
    Le monde entier est rempli de spécialistes Avec toutes ces compétences on devrait sauver le monde?

  9. MC solaar c’est le premier à avoir rafler les Dollars. Le premier crossover entre la Variétoche à la française et ces rythme Urbain et ce phrasé venu des USA, le premier( avec IAM et son MIA peut être) à toucher le grand public en tant que Rappeur et qui va ouvrir la porte à tout le genre dans notre pays avec du plus gentils au plus méchant (NTM en chef de rang ? Minister Amer? Assassin? ) Paris Nord qui s’empresse de calquer son attitude sur le dernier truc à la mode dans le genre au USA à ce moment là, j’ai nommé le Cirque Gangsta caricature (déjà) du style des pionniers . Oui Chikun Metoo Specialist :)) !!!!

    YO YO ToTo dans ma Benz Benz Benz!!!

  10. Hello, ton article est tellement pertinent, bravo !
    Je pense aussi qu’à un moment, il n’y avait rien de rien chanté en français, à part des reprises debiles de vieilleries des enfoirés ou restos du coeur, y’avait pas de Angèle ou de représentants un peu cool pour les jeunes etc, c’était le desert … un vrai grand écart entre Patrick Sebastien et le rap français.
    J’ai vu un tournant chez des potes proches en 2016, qui ont commencé à parler / s’habiller façon rap français – et en ecouter beaucoup, vraiment beaucoup… j’étais en panique avec une impression de les perdre ( sachant que je suis sortie de la cité, c’est vraiment pas pour y retourner, et encore y’avait pas toute cette musique merdique comme tu dis ).
    Et impossible de savoir actuellement si les medias font le jeu du rap-pourri ( car oui faut reconnaître du talent chez certains même quand on n’aime pas, là je parle uniquement des sous-merdes qui incitent à la haine ou incitent à se dr*guer ), engrainant encore plus les gens sur « ce qu’il faut écouter ou pas », ou, s’ils en parlent juste pour la visibilité, parce que les gens dans leur grande majorité sont irrésistiblement attirés par la grosse daube. C’est une vraie question que je me pose… au point de tomber sur ton brillant article, en googlant 😅
    Comment est-ce possible que certains choppent aussi des subventions de la Culture, de 50000 euros voire + pour leurs clips où ils font la promo de la violence et un appel à tout n*quer ? Je comprends pas !
    Hâte de voir ce que sera le prochain cycle, vivement que ça passe

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