Si amour, gloire et beauté sont trois mots qui font rêver, Top 50, NRJ et années 80 ont plutôt tendance à faire saigner les oreilles. Il serait pourtant dommage de snober cette époque qui brassait d’anciens espoirs Novö, des artistes conceptuels et des cinéastes qui inspirèrent nombre de chansons pop bien intentionnées et parfois réussies. Et tant pis si beaucoup d’entre elles sont disséminées dans d’affreuses compilations flanquées d’un Rubik’s Cube.

La pop française des années 80 est un sujet difficile, tant il est admis d’y voir un gisement de 45 tours produits par des charcutiers du synthé, agressivement vendus par des radios « libres » dévoyées. C’est le moment de ressortir vos poupées vaudoues frappées du logo Gonzaï, car nous défendons ici l’indéfendable. Passé l’âge d’or du vénéré Novö et des « jeunes gens mödernes », tout ne fut pourtant pas horrible. Elli, Jacno, Taxi Girl et Daho ont côtoyé et inspiré un mouvement pop conséquent, riche de croisements et de références. Commençons par ce qui fâche : Lio a existé sans Jacno, et ce fut parfois bien.

En 1984, la chanteuse d’Amoureux solitaires et du charmant Sage comme une image glisse lentement de la pop vers le popu, à travers Tétèoù ?, un éprouvant duo avec Jacky-de-RécréA2, qui porte pourtant l’empreinte de Chamfort sous une pochette Pierre & Gilles. Sursaut qualitatif l’année suivante : Lio joue dans un film de Chantal Akerman, cinéaste conceptuelle et féministe. La comédie musicale Golden Eighties, l’une des dernières apparitions de Delphine Seyrig, hume l’air du temps. Pour le son comme pour l’image, Akerman joue à fond le revival années 50. Mais elle le fait sans outrance (pas de style Memphis à l’horizon), et cela n’a rien de gratuit : l’ambiance rétro résonne avec les désenchantements fin de siècle, le film se déroulant dans une galerie commerciale très contemporaine. Pour Lio, ce film constitue un sommet artistique dont elle redescendra très vite.

Le film d’Akerman laisse des traces dans la culture pop, pas toujours pour le meilleur. Production effarante, texte empli de fausse impertinence : A caus’ des garçons a beau lorgner vers l’ambiance Golden Eighties, ses chanteuses ont beau appartenir aux écosystèmes Chamfort et Mondino, le résultat est indigent. Début 1988, le titre tient miraculeusement trois mois dans le ventre mou du Top 50, classement d’ailleurs assez opaque. Yelle tentera une reprise vingt ans plus tard.

Clips sombres, clips chics

La sortie de Querelle de Fassbinder en 1982 (d’après le roman Querelle de Brest de Jean Genet, 1947) travaille tout un pan de la pop française. Grand fan de l’écrivain, Etienne Daho adopte la marinière dès son premier clip, Le Grand Sommeil. Dans la foulée, Jean-Baptiste Mondino met en scène des marins interlopes pour la vidéo de Cargo d’Axel Bauer. Cette amusante ballade industrielle tourne désormais mille fois par jour sur Nostalgie, mais ça, personne ne pouvait le prévoir à l’époque.

Certes, le Top 50 a ringardisé Etienne, Etienne en moins de temps qu’il n’en faut pour chauffer un burger au micro-ondes. Mais il ne faudrait pas négliger l’intéressant aspect porno-chic du clip réalisé par Lydie Callier pour Guesh Patti. Contre toute attente, une atmosphère de cabaret SM à la Helmut Newton pénètre le rayon 45 tours du Prisunic. Callier et Patti avaient précédemment créé Dacapo, un projet synthpop plus obscur, à l’esthétique déjà très sûre.

En 1986, dans une veine ultra sombre, Graziella de Michele fait planer sur le Top 50 son Pull-over blanc, une chanson habitée par le deuil. Infirmière de son état, Graziella de Michelle est confrontée très tôt à l’irruption du Sida et s’engage aux côtés de son ami Cyril Collard. C’est d’ailleurs le futur réalisateur des Nuits fauves qui conçoit la vidéo de Pull-over blanc, dans laquelle apparaissent d’anciens membres des Fils de Joie, un groupe post-punk. Arno reprendra la chanson quatre ans plus tard, pour une compilation Virgin.

Les one hit wonders ne sortent pas de nulle part

Caroline Loeb crée en 1986 une chansonnette électro chaloupée-molle, C’est la ouate, qui célèbre le désengagement et l’indifférence en matière de séduction. Deux ans avant son succès radiophonique, cette styliste et comédienne est apparue dans un film très indé, La Nuit porte-jarretelles de Virginie Thévenet, une actrice de Truffaut et Rohmer passée derrière la caméra. Outre Loeb, la réalisatrice enrôle ses amis du Palace, Eva Ionesco et Christian Louboutin en tête, mais aussi quelques acteurs rohmériens comme Pascal Greggory, Arielle Dombasle et Rosette. Interprété par Thévenet elle-même, le single-générique La Nuit porte-jarretelles sort dans le commerce, assez discrètement. La chanson séduit tout de même Etienne Daho qui se laisse convaincre de tourner dans le second film de Virginie Thévenet, Jeux d’Artifices.

Puisque nous les évoquions, Eric Rohmer a réalisé un clip pour Rosette en 1986. La ritournelle intitulée Bois ton café est un brin laborieuse, mais la jolie vidéo est une friandise pour les fans du réalisateur. En revanche, glissons très vite sur le clip d’Arielle Dombasle signé par le grand Eric en 1989. Souvenons-nous plutôt des Nuits de la Pleine Lune et de Pascale Ogier introduisant Elli et Jacno dans l’univers rohmérien, ça vaut beaucoup mieux.

En 1987, Luna Parker sort un titre charmant, accompagné d’un clip bien filmé : Tes Etats d’âmeEric (aucun lien avec Rohmer, pour le coup). Si le groupe est un one hit wonder, il ne sort pas de nulle part. Ses deux membres, Eric Tabuchi et Rachel Ortas, conduisaient le projet post-punk Tokow Boys au début de la décennie. Au même moment, ils participaient au film Faux Fuyants, de Jean-Pierre Limosin et Alain Bergala. Dans cette petite oeuvre de cinéphiles (où apparaît aussi l’artiste plasticienne Sophie Calle), Ortas incarne… une chanteuse post-punk. Elle y interprète notamment Cobra ! Cobra !, intéressant titre des Tokow Boys. Notons qu’aujourd’hui, Eric Tabuchi est un photographe réputé, co-auteur avec Nelly Monnier de l’excellent Atlas des Régions Naturelles. Ils y archivent les patrimoines et paysages de la France profonde, une démarche pas tout à fait étrangère au pop art. Reste que dans le riche parcours de Tabuchi, l’épisode Luna Parker semble être la seule séquence très ouvertement pop.

Prozac pop

Si les années 80 marquent le règne des chansons de camping et autres beauferies enjouées, elles sont aussi faites de tubes un peu blagueurs mais ambigus, armés d’un sourire douloureux. Dès 1986, les chansons badines de Niagara, au fond assez sombres, ringardisent instantanément les lovers de discothèque, type Laroche-Valmont. Nous pouvons donc affirmer que Muriel Moreno est de salubrité publique.

Anticonformistes, Agathe et les Regrets livrent une farce parodique faussement guillerette et vraiment déglinguée, qui sent fort la fin de soirée difficile. Emmené par Agathe Labernia, étudiante aux beaux-arts de Montpellier, le groupe sort le lunaire Je ne veux pas rentrer chez moi seule en 1983. Un an plus tard, le single Tout le monde s’amuse fait figure de vaccin contre les boîtes de nuit. Un album existe, il comporte notamment ce refrain geignard : « Que je me sens sale et lourde et gourde et molle ». Difficile de rester insensible à cette perpétuelle descente.

Assez peu prestigieuse, Sophie Favier fait partie des nombreuses nymphettes qui parviennent à se faire financer un 45 tours. En 1984, cette plantureuse animatrice télé sort un tube faussement insouciant, Aujourd’hui plus qu’hier, qui sent à la fois le Spritz et le Prozac. Touchante Sophie, plus sensible qu’il n’y paraît, comme une Marilyn Monroe des années Ciel mon mardi. Sauf qu’on ne lui prête pas de liaison avec Edouard Balladur, notre JFK à nous.

Un monde acide

Nombre de jeunes artistes, plus ou moins sincères, ont entamé la course au Top 50, suscitant quelques envies parmi les monuments de la culture française. Ainsi en 1987, surfant sur la vague(lette) des chansons parlées, Alain Delon commet Comme au cinéma. Dans ce flop commercial à gros budget, Delon se livre tel qu’en lui-même, dinosaure viriliste des 30 Glorieuses affublé d’un melon gros comme Uranus, pontifiant comme un tonton RPR. On l’aperçoit à la télé, poussant la chansonnette en tripotant ses choristes avec la prestance d’un mec bourré en fin de soirée (il en épousera une).

N’en déplaise à Delon, accroché à son vingtième siècle comme une moule à son rocher, la pop arty des années 80 esquissait les contours d’une nouvelle époque. D’Etienne Daho en Agathe Labernia, de Guesch Patti en Virginie Thévenet, émergeait un monde interlope, féminisé, impertinent à l’occasion. Un monde marqué par une certaine gaieté pas toujours synonyme d’insouciance. Ce mouvement créatif restait parfois confidentiel, mais apparaissait souvent populaire au point de côtoyer, au Top 50, tout ce que la France pouvait produire à l’époque, à savoir diverses choses vaguement new wave, nos sacro-saints chanteurs de variété et quelques musiques bien racoleuses formatées pour les soirées au Macumba. Ces dernières furent d’ailleurs les plus vendues. Pour un disque de Caroline Loeb ou Graziella de Michele, il se vendait quatre Nuit de Folie et autant de Viens boire un p’tit coup à la maison. Fureter dans le rayon 45 tours du supermarché, c’était clairement chercher quelques bijoux dans une caverne des horreurs.

9 commentaires

  1. Pierre, avec cette mention d’Alain DELON vous ouvrez la boîte de Pandore des chansons « parlées » qu’il faut refermer très vite fait avec le « on oublie tout, on oublie rien » de Jean Marais.
    https://www.youtube.com/watch?v=y8IJ-yTLqLo
    Vu Faux-Fuyants de Limosin/Bergala à la Cinémathèque française, Rachel Ortas rayonne vraiment dans le film, dommage qu’elle n’ait pas joué dans d’autres films…

  2. Mouais
    Je pensais que c’était un article de Gérard Love et que j’allais rire une fois de plus avec mes doigts de pieds.
    Mais non c’est pire, ici on convoque Rhomer pour donner un peu de vernis à un propos qui n’intéresse que l’auteur
    Merci pour la « découverte » de Luna Park, je savais qu’on pouvait chanter comme une patate mais là je découvre qu’on peut aussi chanter comme une savate.
    Bref se foutre de la gueule certes gentiment des loosers des 80′ c’est pas très glorieux

  3. Super papier que j’aurais aimé voir plus long. Il y a eu de très grands titres pop dans les honnies années 80. Notre époque a perdu ce goût de la mélodie bien faite.

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