Enfant, j’ai longtemps admiré son swing de la castagne. Ca tenait à pas grand-chose. Trois répliques monosyllabiques ponctuées de grosse mandales dans la tête de sales types interchangeables qui invariablement finissaient tous à travers une vitre (souvent au ralenti d’ailleurs) avec 36 chandelles en guise de poignée de main. C’était ça la signature Mister T, une frénésie de pains dans ta gueule qui pendant les quatre ans – de 1983 à 1987 – que dura L’Agence Tous Risques rythma les samedis après-midi, et tous ces moments où l’on s’imaginait qu’on pourrait latter les blancs-becs dans la cour de récré alors que, bien évidemment, c’était tout l’inverse.
Mais si Mister T, dit Barracuda dans la série (et encore B.A dans la version américaine, pour « Bad Attitude ») est parvenu à incarner à l’écran ce que Mohamed Ali sublima sur le ring, notamment dans ce mythique combat [1] face à Foreman, c’est pour cette puissance contrôlée qui évitait toujours au molosse d’asséner le coup de trop. L’incroyable douceur dans le regard, la mémorable trouille des avions – comment oublier tous les subterfuges d’Hannibal pour endormir la bête, le refus de la violence gratuite – personne ne saigne jamais à l’écran dans L’Agence Tous Risques – et une écriture des scripts par Stephen J. Cannell permettant de faire de Barracuda le digne descendant de Jean Valjean ; le voilà le grand héros pacifiste des années Reagan. Et ça n’a l’air de rien, mais après Mister T, difficile de trouver un acteur capable de survivre aussi longtemps à sa propre mort télévisuelle.
L’instant Wikipédia
Sans compter les multiples rediffusions par des chaînes en manque d’idées, dire de Mister T qu’il hante l’inconscient collectif est un doux euphémisme. Rien que le fait de le filmer en plan large éclipse tous les autres protagonistes à l’écran, et si vous avez déjà rêvé de péter des tanks à la seule force du poing, que vous attendiez une version black de G.I. Joe capable de rivaliser avec Cassius Clay pour le titre d’afro-américain bodybuildé du vingtième siècle, il y a fort à parier que Mister T, né Laurence Tureaud, est le type à qui vous avez déjà voulu ressembler. Pourtant tout ne s’est pas fait en un claquement de torgnole, il en aura fallu du temps au petit Laurence pour se libérer de ses chaînes, puis les porter façon 24 carats autour de ce cou gros comme un nerf de bœuf.
Fils d’une famille de douze enfants, Laurence a grandi dans l’Amérique de Soul Train, cette mythique émission des 70’s qui donna à la population noire la possibilité de s’exprimer. Mais alors que Don Cornelius initie une partie du ghetto à de nouveaux pas de danse, celui qui ne s’appelle pas encore Mister T choisit de faire bouger ses grands pieds d’une autre manière : il s’initie au football américain, au catch, aux arts martiaux et, plus surprenant, aux mathématiques – il sera major de sa promo à l’Université – et évite ainsi de sombrer dans la délinquance ou la dope qui phagocyte les quartiers chauds de Chicago. Laurence, alors dans sa vingtaine, est déjà baraqué comme une athlète biélorusse sous stéroïdes. Sa force physique, il décide alors de l’offrir à l’oncle Sam en s’engageant dans l’armée. Un passage éphémère qui se clôturera par une anecdote à la hauteur du bonhomme : alors que le colosse a écopé d’une punition l’obligeant à couper des troncs d’arbre, son sergent mal avisé découvre stupéfié que Laurence en a déjà abattu plus de 70 en seulement trois heures trente… Exit l’armée donc. Exit aussi la gloire des stades, puisque notre force de la nature est recalé à l’entrée en NFL après qu’une blessure au genou ait définitivement relégué sur le banc de touche ses espoirs de devenir un sportif professionnel. Voilà pour l’introduction à la vie de Mister T, vient maintenant l’heure de la mise en scène.
Bon et brut, mais pas truand
On pourrait croire que la naissance de Mister T en tant que machine à cocards s’est faite comme par magie ; pourtant son physique de porte de prison va d’abord lui ouvrir les portes des… discothèques. Ou disons plutôt que Laurence va devenir le cerbère à l’entrée, un videur quoi. Si le petit boulot sert avant tout à payer les factures, il permet aussi au gamin de se rêver en quelqu’un d’autre, plus puissant, plus méchant, plus réel. Pour la première fois de sa vie, il est celui qui a le pouvoir de dire non et de refouler les clients selon son bon vouloir. Mister T naît là, sur le pas de la porte, après que Laurence ait développé cette étonnante habitude de confisquer bijoux et chaînes en or aux clients récalcitrants, ivres et bien souvent fouteurs de merde. De soirée en soirée, de baston en baston – environ 200 selon la police, le bodybuildé développe un impressionnant amas de jonquaille qui deviendra bientôt sa marque de fabrique : autour du cou trônent désormais des chaînes brillantes comme des trophées de chasse que Mister T arbore aussi comme un fardeau, pour rendre hommage à ses ancêtres africains, jadis esclaves. Un jour qu’il lit National Geographic – bah oui, Mister T a aussi oublié d’être con – il tombe sur une photo de guerrier d’Afrique de l’Ouest coiffé d’une crête, et décide de s’en inspirer sur le champ en branchant sa tondeuse. La panoplie du super héros est désormais fin prête, ne manque plus que le terrain de jeu.
Une première occasion de côtoyer les étoiles américaines se présente un peu plus tard, alors que Mister T est devenu garde du corps. Après s’être fait ‘’la main’’ en protégeant prostituées, banquiers et patrons de boutique, le voilà qui colle aux basques de gloires comme Diana Ross, Joe Frazier, Michael Jackson ou encore – tiens, tiens – Mohamed Ali. C’est une première victoire pour le gosse de Chicago, un échauffement dans l’ombre, qui s’accompagne fatalement de choix cornéliens, comme par exemple refuser des contrats véreux – pour liquider les indésirables, faire raquer les mauvais payeurs, etc. – et préférer encourager les gamins du block à étudier plutôt qu’à traîner dans la rue. Au sortir des années 70, Mister T n’est encore qu’un Mister nobody mais il a déjà eu plusieurs vies. Et le pire, c’est que le vrai film n’a même pas commencé.
(D)ring (d)ring
Repéré par Sylvester Stallone alors qu’il participe à America’s Toughest Bouncer, une émission diffusée sur NBC destinée à consacrer le meilleur videur des USA (?!), Mister T voit au début des années 80 sa carrière enfin décoller. Casté, puis engagé, pour incarner Clubber Lang dans Rocky III, le voilà désormais transformé en homme canon, destination les étoiles avec un premier rôle dans cette série nommée L’Agence Tous Risques où Barracuda brille surtout pour son jeu minimaliste, proche de celui de Schwarzenegger. Si le pitch de la série est simplissime – des vétérans de la guerre du Vietnam sont en cavale pour un crime qu’ils n’ont pas commis – et chaque épisode écrit sur un mode linéaire – la bande sauve à chaque fois la veuve et l’orphelin en moins de 25 minutes avec un bâton de dynamite et deux marteaux – c’est surtout l’alchimie entre Barracuda, Hannibal, Looping et Futé qui permet à la série d’entrer au panthéon des trucs les plus cons qu’on ait pu voir à la Tv, mais dont on ne se lasse pas. Derrière chaque script écrit sur un bout de nappe, un principe de synthèse additive qui veut que chaque personnage est complémentaire des autres, et que chaque épisode est l’occasion pour chacun d’entre eux de jouer sa partition singulière. Avec ses body cintrés militaires et ses boucles d’oreille à plume d’indiens, on se doute bien que Barracuda n’est pas là pour beurrer des tartines.
Entre deux prises, Mister T profite de son peu de temps libre pour monter sur le ring aux côtés d’Hulk Hogan et pinter la gueule à des acteurs ratés : les catcheurs professionnels. Qui, fatalement, n’apprécient pas trop la correction. On ne saurait parler à sa place, mais Mister T semble s’en foutre comme de son premier biscotto. Non pas qu’il soit bon perdant, mais à l’écouter en version originale avec sa voix toute fluette de réparateur de trottinette, on se doute bien que Mister T a d’autres ambitions que de finir sur un round à 45 ans, à moitié dégarni et gras du bide. Alors au summum de sa carrière débutée deux ans plus tôt, il décide subitement de s’improviser chanteur choc sur un disque pas très chic (« Mr. T’s Commandments », 1984) où le bougre profite de l’essor du hip hop et des scratchs pour enfoncer le clou. Son fils, sa bataille, c’est la prévention et c’est même écrit en gros sur la pochette : touche pas à la drogue gamin, fais des études. En France, à la même époque, Gainsbourg écrit cette horreur nommée Aux enfants de la Chance. De l’autre côté de l’Atlantique, Mister T se contente quant à lui de foutre des roustes aux délinquants pour les remettre dans le droit chemin.
Si pour Mister T le plateau de tournage est un ring, on oublie aussi trop souvent que sans être un ponte de la négritude, il est aussi un ardent défenseur de la cause noire. Il faut se souvenir de cet épisode de l’Agence Tous Risques (saison 4, épisode 6) dans lequel Isaac Hayes incarne C.J. Mack, chanteur emprisonné à tort que Barracuda aidera à remonter sur scène dans l’enceinte même de la prison, pour un concert destiné – attention symbole – aux prisonniers blancs. Dans une Amérique conservatrice très R&B (pour ‘’Reagan & Bush’’), le héros noir fait tache et ses sujets de prédilection (l’égalité des classes, l’écologie, la défense des populations pauvres) un peu d’ombre aux vieilles gloires Motown, désormais toutes menées à la baguette par l’odeur du saint dollar. Dans cette Amérique à dominante grise (le cas Michael Jackson est à ce titre éloquent) le physique de Mister apparaît comme un dernier rempart à l’envahisseur Républicain ; c’est à la fois une ligne Maginot sévèrement burnée et un piètre acteur certes, mais avec un cœur gros comme ça. De 1983 à 1987, il est assis sur le toit du monde. Et comme dans les meilleurs films à suspense, tout va maintenant se casser la gueule.
Plus dur sera le chut
Les caméras de l’Agence Tous Risques remisées au placard, débute alors pour Mister T une longue parenthèse à ce jour pas encore clôturée. Une filmographie pathétique, quelques apparitions à la WWF, un peu de cachetonnage dans des publicités bien payées et puis, en 1995, un cancer qui l’éloigne pendant près de 10 ans de tout objectif, avant un incroyable come-back dans… une publicité pour Snickers.
Ayant bien compris qu’on ne saurait être le héros de plusieurs époques, Mister T sait que sa carrière est derrière lui et que chaque jour qui passe le rapproche un peu plus d’un cercueil format XXL ; et c’est pourtant précisément là que le dernier acte de cette vie tourmentée s’avère formidable. Oublié par les nouvelles générations et ringardisés par des acteurs plus baraqués mais nettement plus cons – coucou Vin Diesel – Mister T décide de redevenir Laurence Tureaud en 2005, bouleversé qu’il est par le désastre de l’ouragan Katrina. Symboliquement, il ôte ses chaînes en or en hommage aux victimes, acte christique s’il en est et qui, pour peu qu’on soit croyant, s’apparente à une résurrection. Et alors que ses ex-compagnons de jeu Dirk Benedict (alias Futé) et Dwight Schultz (alias Looping) ont décidé de rempiler pour cet infâme remake de L’Agence Tous Risques en 2010 avec Liam Neeson dans le rôle d’Hannibal (George Peppard est mort en 1994), lui préfère décliner, bien conscient qu’on ne rattrape jamais le temps qui passe. Peu importe que sa crête d’iroquois batte un peu de l’aile, ou que ses rides fassent un peu pitié depuis qu’il s’est reconverti animateur d’une émission ringarde sur la BBC (World’s Craziest Fools, un vidéogag british qu’il a animé jusqu’en février 2013), Mister T est en tout temps resté fidèle à lui-même, sorte de Popeye extirpé du Bronx qui n’a jamais eu à se baisser pour ramasser l’argent sale.
A ce jour, Mister T pèserait encore plus de 215 millions d’euros, un score qui fait non seulement de lui l’un des acteurs les mieux payés alors qu’il n’a pas tourné depuis Mathusalem, mais qui lui a aussi permis de réaliser son rêve de gosse : devenir propriétaire d’un club de football à Chicago. Mister T, comme Tout est bien qui finit bien.
[1] Pour cela, voir d’urgence si ce n’est pas déjà fait le documentaire When we were Kings, passionnant témoignage d’époque sur ce grand combat du 20ième siècle entrecoupé de scènes délirantes à base de trashtalking et de live de James Brown à Kinshasa.
4 commentaires
Splendide ! Etant moi-même fan de Clubber Lang – Mister T, je ne résiste pas au plaisir de citer l’un de ses plus beaux aphorismes : « votre Balboa, je vais me le taper comme une bonne branlette. » Plus cool ? Non, vraiment, je vois pas.
Ah génial, merci pour la citation. On fait pas mieux ouais, ça vaut toutes les punchlines de Grand Corps Malade.
J’adore qu’un plan Q se déroule sans accros !!