Un après sa mort, le label de diggers Light In The Attic s’apprête à sortir une réédition de quatre albums de Betty Davis, de ses premiers coups d’éclat à ses derniers enregistrements encore inconnus du grand public. Retour sur la carrière éphémère d’une artiste provocante, qui a su s’imposer comme figure avant-gardiste de l’effervescence des 70s en s’émancipant de son mari; un certain Miles Davis.

De sa courte union avec Miles, Betty Davis (née Mabry) a conservé le nom. Et si leur affaire n’aura duré qu’un an, l’illustre jazzman (alors de vingt ans son aîné) sera le premier à reconnaître l’influence que Betty a eu sur sa musique. C’est d’ailleurs son portrait qui ornera la pochette du « Filles de Kilimanjaro » de Miles, sorti au début de leur mariage en 1968.

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Dans ce même album, la muse aura le droit à sa sérénade : Mademoiselle Mabry. C’est aussi Betty qui introduira son époux à la scène rock de l’époque, en lui présentant ses amis Sly Stone et Jimi Hendrix, rencontrés au début des années 60 au Greenwich Village, alors qu’elle se concentrait plus sur son métier de mannequin que sa carrière musicale. Et si le mariage avec Betty et la rencontre avec Hendrix paveront le chemin de la période fusion de Miles et son « Bitches Brew » de 1970, le trompettiste n’en sortira pas indemne : ivre de jalousie, il voit dans le jeune rockeur acclamé par les foules un alter ego rival et ami, plus jeune et plus populaire.
Au bout du rouleau, Miles demande le divorce en 1969, persuadé que son épouse le trompe avec Hendrix. Dans son autobiographie, il décrira Betty comme « trop jeune et sauvage pour lui », avant de conclure qu’elle était « simplement en avance sur son temps ». Deux déclarations qui en disent déjà long sur le personnage.

Empowerment

Malgré l’influence majeure qu’elle a eu sur son ex-époux laissé sur le carreau (ce qui est déjà un sacré fait d’armes), Betty Davis n’est pas du genre à être « la femme de ». Au tournant des 70s, dans une Amérique conservatrice renvoyée au constat de ses propres limites, la jeune femme a tout de l’ennemie publique numéro 1 : elle est jeune, afro-américaine, elle est belle et elle le sait. Et surtout, elle a une grande gueule et elle provoque, autant dans le monde de la mode (elle sera d’ailleurs l’une des premières mannequins noires à défiler à Londres) que dans celui de la musique.
Et c’est en 1973 que Betty Davis sort son premier album éponyme; une véritable bombe de funk langoureux et explicite, à l’image de son Anti Love Song quasi sadomasochiste. Des textes crus et bestiaux qu’elle interprète dans des lives sulfureux, scénarisant une sexualité débridée qu’elle revendiquait haut et fort, entre suggestion appuyée et quasi-exhibitionnisme. Évidemment, la critique morale ne tarde pas à pointer le bout de son nez, d’abord avec les groupes citoyens et religieux de l’Amérique WASP qui lui reprochent, sans surprise, sa langue bien pendue. Puis c’est la NAACP (Association pour le Progrès des Gens de Couleur) qui lui reproche de porter préjudice à la communauté noire.

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Marraine du funk

Boudée par la plupart des radios, Betty se taillera tout de même une 66e place (à deux chiffres près, l’équation était parfaite) au Billboard R&B Charts de 1973. Pas assez pour rencontrer un véritable succès commercial, malgré une certaine popularité au sein de la scène avant-gardiste new-yorkaise qui lui reconnaît un talent indéniable. Car musicalement, non seulement Betty Davis se démarque sans peine, mais elle sait aussi très bien s’entourer. Son premier album sera enregistré avec les musiciens de Sly Stone, et ses derniers morceaux accueilleront Herbie Hancock. Et, fait notable, elle mettra un point d’honneur à rester maîtresse de son processus créatif, menant la baguette de l’écriture aux arrangements sur « They Say I’m Different » (1974) et « Nasty Gal » (1975), qui formeront avec « Betty Davis » ses trois seuls albums studios sortis sur la période. Quelques enregistrements de la fin des 70s donneront lieu à deux parutions ultérieures, « Is It Love Or Desire ? », sorti en 2009, puis « Crashin’ From Passion », qui complètera la présente réédition de Light In The Attic.

Après le décès de son père au tournant des années 80, Betty Davis met brutalement un terme à sa carrière. La chanteuse passera d’abord un an au Japon en compagnie de moines silencieux, avant de quitter définitivement l’effervescence de New-York pour s’installer avec sa mère dans la maison familiale. Elle sera progressivement redécouverte et reconnue à sa juste valeur au fil des décennies, samplée par Ice Cube puis repérée par les diggers au tournant des années 2000. Betty brisera le silence en 2019 avec A Little Bit Hot Tonight, son premier morceau en près de quarante ans, avant de collaborer avec Light In The Attic à la présente réédition. Fauchée par un cancer en 2022, elle ne verra pas le bout de ce projet qui sortira à titre posthume, un dernier hommage à celle que l’on surnommait la « marraine du funk », boudée à son époque pour un sens de la provoc’ inégalable qui renverrait Madonna et Marilyn Manson aux vestiaires. Et comme le disait Miles, c’est sa principale force qui lui aura aussi coûté sa carrière : elle était trop en avance sur son temps.

Toutes les infos sur les rééditions chez Light In The Attic par ici.

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