Les années 1960 et 1970 furent décidément une bien étrange époque. Loin des comptine insipides d’aujourd’hui qui envahissent les classements, le business n’avait pas encore cadenassé le monde de la musique. Des groupes pouvaient ainsi surgir dans les meilleures ventes de disques juste grâce à la qualité de leur musique et à la force du poignet, en tournant sans relâche. Monde décidément merveilleux, les musiciens arrivaient à vivre de leur musique en vendant des disques et en touchant des cachets à chaque concert. C’est dans ce contexte décidément bien lointain qu’émergèrent les Groundhogs de Tony McPhee.

Anthony Charles « Tony » McPhee est né le 23 mars 1944 sur la Côte Est de l’Angleterre. Ses parents déménagèrent rapidement vers Londres, après que son père ait été démobilisé, ayant fait la guerre au sein de la Navy. Fragile de santé, il est souvent malade, souffrant d’infections récurrentes aux amygdales que le médicament de sa mère, du whisky avec de l’eau chaude et du sucre, n’améliore pas. Il lui faudra finalement passer quelques temps dans une institution spécialisée qui laissera un souvenir peu réjouissant au petit Anthony, qui surnommera celle-ci le Stalag 13. Par ailleurs, il souffre également de crises de panique liées à des phases où il se sent quitter son corps sans savoir pourquoi, trouble qu’il conservera par moments à l’âge adulte, et qui lui inspirera plusieurs de ses chansons.

Avec un tel état de santé, le jeune Anthony n’a pas beaucoup de copains, manquant souvent l’école. Il passe une bonne partie de son enfance à lire le magazine de bandes dessinées Beano (celui dans les mains d’Eric Clapton sur la pochette de « John Mayall And The Bluesbreakers » en 1966) en mangeant des bonbons au miel censés être bons pour sa gorge. Dans les années 1950, il découvre le rock’n’roll à la radio, et se passionne rapidement pour cette musique. Il devient fan des pionniers du genre, et se met à la guitare. Solitaire, la pratique de l’instrument est idéale pour occuper ses journées. C’est grâce à son frère Sam qu’il découvre en 1959 le blues par l’intermédiaire d’une compilation d’enregistrements du Congrès Américain réalisés par l’historien Alan Lomax, et nommée « The Blues Roll On ». Tony ressent une connexion spéciale avec cette musique, quelque chose qui lui parle davantage encore que le rock’n’roll. C’est aussi à cette époque qu’il commence à se produire sur scène, essentiellement pour des kermesses d’écoles.

Le début des Groundhogs

Après quelques groupes sans lendemain, Tony McPhee fonde les Groundhogs avec le bassiste Peter Cruickshank et son frère John au chant. La formation a pris ce nom en hommage à la chanson de John Lee Hooker dont ils sont tous fans : Groundhog’s Blues. A Londres, la scène blues est débutante, surtout concentrée sur quelques pionniers comme Cyril Davies et Alexis Korner, qui tous deux ont fondé le Blues Incorporated. Lorsque les Groundhogs assurent leurs premiers concerts, d’autres jeunes gens se lancent dans le blues, comme les Rolling Stones de Brian Jones et les Yardbirds avec le jeune guitariste Eric Clapton.

La première heure de gloire des Groundhogs va avoir lieu en 1964, lorsqu’ils sont choisis pour accompagner le grand John Lee Hooker sur sa tournée britannique. Le bluesman n’emmène pas ses propres musiciens, préférant embaucher sur place par audition ou sur conseil local. A cette occasion, ils se rebaptisent John Lee’s Groundhogs, comme pour prêter allégeance à leur idole. A la suite de cette tournée, Hooker ne tarira pas d’éloges sur ce jeune groupe à la fois respectueux et efficace.

Les dates des Groundhogs ne suffisent cependant pas à faire chauffer la marmite. Tony McPhee fonde Herbal Mixture avec Peter Cruickshank, un trio psychédélique cherchant à surfer sur le blues acide de Jimi Hendrix, et qui enregistrera un unique album pour Columbia, mais qui ne verra le jour que bien des décennies plus tard. Et puis, McPhee assure aussi des sessions de studio diverses. C’est lors de l’une d’elles que le producteur de blues anglais Mike Vernon suggère à McPhee d’ajouter deux initiales pour faire plus blues, comme JB Lenoir. Après avoir suggéré TC, que McPhee rejette car lui rappelant la bande dessinée Top Cat, il s’arrête sur TS, sans savoir au départ que Vernon y avait pensé en surnommant la manière particulièrement rugueuse de jouer de McPhee : « Tough Shit ».

En 1968, les Groundhogs sont dissous après des tentatives soul à la mode avec des cuivres. Les engagements se raréfient, et le blues a pris une toute autre dimension depuis l’arrivée dans le circuit du Jeff Beck Group, Jimi Hendrix Experience et Cream. McPhee devient un musicien de studio pour le label Liberty, accompagnant JB Lenoir ou Big Joe Williams, et découvrant des talents sur la scène blues anglaise comme Jo-Ann Kelly avec qui il jouera à plusieurs reprises. Le guitariste enregistre à cette époque quelques morceaux de blues acoustique, et la place de musicien de studio semble convenir à son côté un peu autiste. McPhee a la réputation enviable d’être une sorte de petit génie capable de jouer de manière très moderne avec un son sortant des tréfonds du bayou.

Cependant, l’envie de se présenter sur scène finit vite par démanger Tony McPhee. De nouveaux Groundhogs sont assemblés. Peter Cruickshank est de nouveau rappelé. Steve Rye s’occupe de l’harmonica, et un jeune batteur au style rudimentaire mais brutal prend les baguettes : Ken Pustelnick. Grâce à la connexion avec Liberty, les Groundhogs ont l’occasion d’enregistrer leur premier album en septembre 1968. La formation n’a que peu de chansons originales, et l’ensemble est un assemblage de titres originaux mais inspirés des grands maîtres comme John Lee Hooker et Howlin’ Wolf. Le tout est jeté en live sur bande, et la sonorité ressemble à une sorte de blues punk à la « Fire Of Love » de Gun Club, mais treize ans avant.

On y découvre la personnalité musicale saisissante de Tony McPhee : son jeu de guitare rugueux, puisant largement dans le blues originel afro-américain, mais propulsé par une férocité typiquement rock se traduisant par sa voix profonde sonnant comme celle d’un homme de cinquante ans usé par la vie alors qu’il n’a que vingt-quatre ans (les fameux problèmes d’amygdales). D’ailleurs, physiquement, avec sa moustache et son front qui commence à s’agrandir, il n’a déjà plus l’apparence d’un jeune homme.

« Scratching The Surface » est un premier chef d’oeuvre de blues bouillonnant, mais à l’heure de la scène psychédélique de San Francisco, et des débuts du hard-rock, le disque passe inaperçu malgré le succès de Canned Heat et son tube On The Road Again la même année, qui ramène le son du blues-rock à ses racines. Mais les Groundhogs n’ont pas le temps de se pencher sur l’infortune de leur premier disque. En octobre, John Lee Hooker dicte une lettre via son secrétaire de confiance (il ne sait ni lire, ni écrire), demandant à ce que le jeune groupe qui l’accompagna en 1964 revienne à ses côtés pour sa tournée britannique de 1968. Les Groundhogs répondent présents, et l’évènement permet au quatuor de bénéficier d’une publicité flatteuse.

Enterrement de première classe

McPhee assure une dernière session d’enregistrement pour Liberty en tant que musicien et arrangeur avec la compilation de blues anglais nommée « I Asked For Water, She Gave Me… Gasoline », du nom d’une chanson de Tony TS McPhee. Les Groundhogs au grand complet se joignent à l’enregistrement notamment pour accompagner Jo-Ann Kelly sur un superbe Rock Me.

Puis, les Groundhogs rentrent en studio pour un second album. Mécontent de la direction plus électrique et rock des nouveaux morceaux, Steve Rye s’en va. Les Groundhogs deviennent donc en trio. Publié le 5 septembre 1969, « Blues Obituary » est un véritable pas en avant pour le groupe. Il commence par BDD, qui signifie Blind, Deaf And Dumb, soit sourd, aveugle et muet. Il révèle déjà la conscience politique de Tony McPhee qui ne va que s’accentuer dans les années à venir. Les Groundhogs reprennent également dans une version des plus poignantes la chanson de Howlin’ Wolf nommée Natchez Burning, relatant le massacre raciste de Natchez. C’est aussi le début des morceaux aux titres en forme de jeu de mots comme le sublime « Daze Of The Week ». « Mistreated » est un boogie étonnant relatant le récit d’un homme minable se morfondant sur le fait qu’une femme l’a quitté, remettant la faute sur cette dernière, dans un esprit de ce que l’on appellerait aujourd’hui un pervers narcissique. Tony McPhee révèle déjà son approche décalée et finalement très moderne de la société et des rapports humains.

Les Groundhogs posent pour la pochette au Highgate Cemetery au Nord de Londres. Ayant obtenu l’autorisation pour quelques heures, tout a été préparé à l’avance. Cruickshank et Pustelnick posent en croque-morts, Tony McPhee, tient à la main non pas la bible, mais le livre de Paul Oliver « Blues Fell This Morning », une des références sur le genre à l’époque. Tony McPhee offre un air des plus tristes et empruntés sur la photographie finale, cependant, elle n’a rien du fait du hasard. Le figurant, un hippie nommé Hoss, était trop grand pour rentrer dans le cercueil. Il dut enlever ses chaussures, révélant une odeur de pieds à tuer un chien. La tête de Tony McPhee en particulier, de Cruickshank et Pustelnick accessoirement, sont donc en fait dues à une odeur corporelle épouvantable.

Les Groundhogs poursuivent leur ascension du monde en tournant sans relâche en Grande-Bretagne. Ils partageront notamment la scène avec une formation locale de Birmingham nommée Earth, soit les futurs Black Sabbath. A cette occasion, le jeune guitariste du groupe semble très intéressé par la sonorisation de Tony McPhee et par le son produit, à la fois clair et puissant, le tout obtenu sur une Gibson SG. Hubbert, roadie des Groundhogs, lui propose de lui apporter quelques précisions. Iommi découvre que McPhee a monté sa propre sonorisation, et malgré son aspect de vieille radio bricolée des années 1930, l’ensemble est particulièrement puissant. A la fin de cette petite visite, le jeune Tony Iommi en conclut qu’il lui faut aussi monter son propre matériel adapté notamment à sa main droite abîmée sous une presse hydraulique. De cette conclusion sortira le son mythique de Black Sabbath dès son premier album en 1970.

Merci Jésus pour la bombe

Lorsque les Groundhogs doivent entrer à nouveau en studio, Liberty leur offre des conditions plaisantes. Le jeune Martin Birch, qui a officié sur « Then Play On » de Fleetwood Mac et « In Rock » de Deep Purple, est choisi. Les sessions auront lieu aux De Lane Studios dans lesquels Birch a ses habitudes. Le trio n’a pas trop de matière en avance, cherchant toujours le succès, et ferraillant sur scène soir après soir pour gagner ses fans. Les sessions de travail débutent le 18 février et s’achève le 3 mars 1970.

Tony McPhee décide d’orienter ce nouveau disque sur la guerre, en hommage à son père qui dut combattre dans la Navy. La pochette, superbe, est une inspiration d’une photographie de la Première Guerre Mondiale de trois soldats britanniques au sortir de la Bataille de la Somme. Lorsque les Groundhogs entrent en studio, McPhee a écrit en peu de temps l’ensemble de la musique. Souhaitant exploiter au maximum les possibilités du trio, il s’occupe également de la composition des lignes de basse sur lesquels Peter Cruickshank brodera. L’univers musical s’éloigne incontestablement du blues-rock charpenté des deux premiers disques pour des instrumentations bien plus élaborées. Devant ce constat, McPhee souhaite s’émanciper au niveau des textes. Ayant expérimenté le texte social avec Machines de Herbal Mixture, et inspiré par les concept-albums que sont « Tommy » des Who et « Music In Doll’s House » de Family, il décide d’écrire une succession de paroles ayant attrait aux souffrances psychologiques des soldats, et de l’hypocrisie politique qui accompagnent les guerres. Ainsi, Status People, Rich Man, Poor Man ou Thank Christ For The Bomb sont de violentes charges contre ceux qui profitent des guerres, les riches face aux pauvres qui vont se battre, le tout dans un brouet de religion complice. Strange Town, Soldier ou Garden évoquent les malheureux loin de leurs familles et des bonheurs simples en temps de paix alors que rugissent les bombes autour d’eux. Tout au long de l’album, les Groundhogs dévoilent des trésors d’inventivité dans un rock fortement imprégné de blues. Mais ce dernier n’est plus seulement celui des afro-américains. C’est celui de Tony McPhee, dont les chorus rugissants deviennent de véritables explorations sonores.

Avec sa pochette tragique, et son titre provocateur, « Thank Christ For The Bomb », les Groundhogs entrent de plein fouet parmi les précurseurs d’un heavy-rock révolté parmi lesquels on retrouvera les Pink Fairies, les Pretty Things, Hawkwind, Edgar Broughton Band et World War Three. Avec un disque pareil, on ne donne pas cher de la peau des Groundhogs commercialement parlant. D’ailleurs, le trio tourne essentiellement dans le circuit des universités anglaises, mais aussi en Allemagne, qui à l’heure du Krautrock, apprécie ce rock à la fois brutal, novateur, et politiquement très marqué. Ils ne bénéficient même pas d’une place dans les grands festivals de l’année 1970, comme celui de l’Ile de Wight. Ils sont cantonnés aux évènements plus psychédéliques comme le Krumlin Festival à Halifax en compagnie de Pink Floyd, Manfred Mann Chapter Three ou Ginger Baker’s Airforce. Pourtant, et contre toute attente, « Thank Christ For The Bomb » monte à la neuvième place des meilleures ventes d’albums en Grande-Bretagne, faisant des Groundhogs un groupe qui compte commercialement parlant.

Split

Face à ce succès, Liberty encourage vivement ses poulains à retourner en studio. En novembre 1970, les Groundhogs retrouvent les De Lane Lea Studios de Londres et Martin Birch aux commandes. Cette fois, Tony McPhee vient avec un matériel des plus étranges, dont une suite en quatre parties nommée Split.

Tony McPhee n’a jamais trop expérimenté la drogue, contrairement à Ken Pustelnick, avec des résultats parfois assez désastreux pour sa psyché. Peter Cruickshank n’est pas non plus spécialement porté sur la chose. Un soir, Mick Hubbert, un de leurs roadies, invite le groupe à manger. Un joint tourne, et amuser par l’idée que des plantes puissent avoir un soi-disant tel effet sur le cerveau, Tony McPhee y goûte en tirant quelques lattes. L’effet est désastreux, et le guitariste se retrouve avec des hallucinations démentielles : la télévision qui se sépare en deux, le plat sur la table qui cherche à l’avaler, et le jardin qui ressemble à un paysage martien alors qu’il ouvre la fenêtre pour trouver un peu d’air. La soirée est des plus compliquées, mais finalement, les effets s’estompent. Tony McPhee en tire une conclusion : plus jamais ça. Il a oublié que sa psyché est fragile. Quelques jours plus tard, et après une promenade au parc avec sa compagne et le fils de la propriétaire de leur appartement par une chaude journée de début d’été, il part se coucher. Rapidement, il est pris d’une crise de panique comme il n’en a plus connu depuis son enfance. Tout se déforme, tout devient fou. Il n’arrive plus à se contenir, allumant les lumières, montant et descendant les escaliers en courant. Il est obsédé par l’idée de savoir ce qu’il fait sur Terre, quel est son rôle. Son coeur bat la chamade. Il tente de se calmer en prenant leur chat dans les bras pour chercher du réconfort, ou en tentant de jouer de la guitare. Mais rien n’y fait. A quatre heure du matin, des hallucinations comme celles du mauvais trip d’herbe chez Mick Hubbert reviennent. C’est un cauchemar éveillé, que la fatigue finira par mettre fin au petit matin.

Les épisodes de ce délire personnel, la douleur et la torture que cela représente sont parfaitement retranscrites en musique dans la suite Split, de la Part 1 à la Part 4. Outre les textes totalement surréalistes mais non dénués de cet humour typiquement britannique, Tony McPhee laboure sa Fender Stratocaster, la gorge de wah-wah, et poussent dans leurs retranchements sa section rythmique qui doit galoper dans cet enfer heavy-blues-rock acide. Le résultat est littéralement hallucinant, oscillant entre psychédélie féroce et blues défoncé. Sur ces quatre parties se précipitent des centaines d’idées, une par mesure ou pas loin. Ce disque deviendra notamment un totem pour Captain Sensible des Damned.

Sa seconde face débute par une tornade heavy-blues qui va elle aussi devenir une petite légende culte : Cherry Red. Selon Tony McPhee, il s’agissait d’une tentative humoristique de faire du Led Zeppelin. Hormis le texte machiste poussé volontairement à son ridicule, la musique est dévastatrice, fulgurante. Tony McPhee laboure sa Fender Stratocaster comme un dément, allant chercher encore plus loin que Jimi Hendrix la note folle, mais dans un esprit blues toujours aussi rugueux et sans concession. Cherry Red va devenir l’un des chevaux de bataille des Groundhogs pour les trente ans à venir. Passé ce morceau génial, on a oublié la finesse de deux morceaux intermédiaires : A Year In The Life et Junkman. Le premier est un peu lancinant, et en retrait du niveau époustouflant de l’ensemble du disque. Junkman est une réminiscence acide et torturée de Thank Christ For The Bomb, avec une brutalité accrue. Le disque se conclut par un des plus beaux blues joué par Tony McPhee : Groundhog. Presque six minutes durant, le guitariste fait revivre l’esprit du maître John Lee Hooker : la pulsation du mocassin sur le plancher, le riff incertain mais grondant, auquel il ajoute une partie de slide magnifique. Sa voix grave, patinée par ces amygdales récalcitrantes, est d’une puissance expressive redoutable. Tony McPhee n’a alors que vingt-sept ans. Il ressemble déjà à une sorte de vieux bonhomme avec sa moustache, sa voix grave, ses cheveux fuyant sur le front, et son jeu rageur et teigneux refusant de quitter l’idiome John Lee Hooker – Hound Dog Taylor – Muddy Waters – Howlin’Wolf.

Lorsque « Split » sort en mars 1971, la presse musicale est terrifiée. D’une puissance étourdissante, bien plus novateur et audacieux que la plupart des productions de l’époque, comme T-Rex et Slade, et largement au niveau de Who’s Next des Who et IV de Led Zeppelin, le disque se classe cinquième des ventes en Grande-Bretagne. Les Groundhogs sont en train de devenir un phénomène dans le pays, avec leur musique blues hallucinée. Lorsque les Rolling Stones décident de lancer une tournée britannique en 1971 dans des clubs et des universités, la première depuis 1966, les Groundhogs sont choisis en première partie. Loin de faire de la figuration, seule l’horloge permettra de départager les deux groupes, le trio de McPhee emportant la victoire de la rage électrique à peu près à tous les coups, soir après soir. Un live à l’Université de Leeds, là même où les Who firent des étincelles l’année d’avant, fut capté. Il n’est pas convenable d’écorner les rois du rock, notamment à leur sommet artistique, mais quel live cataclysmique, dont la publication va devoir hélas attendre.

Qui sauvera le monde ? Les Incroyables Groundhogs

Les dates avec les Rolling Stones auront permis d’asseoir un peu plus les Groundhogs dans leur pays, dont l’album Split va atteindre la cinquième place des ventes. Une grande tournée britannique en tête d’affiche est d’ores et déjà programmée à partir de l’automne 1971 pour une durée de presque trois mois, et ce dans les plus belles salles du pays. Par ailleurs, leur manager Roy Fischer prépare l’étape suivant du succès des Groundhogs : les Etats-Unis. Une première opportunité se dessine, en or sur le papier : assurer la première partie des Beach Boys durant l’été. Cependant, Tony McPhee perçoit rapidement l’incompatibilité musicale entre la pop élaborée des Américains, et le blues-rock ravageur des Anglais. Le projet est avorté, mais l’idée d’un périple américain est désormais dans les tuyaux. Pete Cruickshank y est personnellement fort favorable, étant grand fan de rock psychédélique américain : Grateful Dead, Spirit, Quicksilver Messenger Service…

Groundhogs – FIRE RECORDS

A peine quelques jours après le dernier concert de la tournée anglaise le 13 décembre 1971 ; Les Groundhogs retournent aux De Lane Lea Studios, délocalisés depuis peu à Wembley, toujours en compagnie de Martin Birch. Curieusement, le projet du nouvel album a été lancé en novembre par sa pochette Marvel dessinée par le maître Neil Adams. Les trois musiciens sont transformés en super-héros : Tony « Marvelous » McPhee, Pete « Quick » Cruickshank, et Ken « Powerful » Pustelnick. Elle illustre à merveille le titre du futur disque : « Who Will Save The World ? The Mighty Groundhogs ».

l’écriture des nouvelles chansons est un peu plus compliquée que les précédents. Les Groundhogs sont sous pression de leur label Liberty, et les musiciens n’ont eu que très peu de temps pour souffler, en particulier le principal compositeur Tony McPhee. Afin d’apporter un souffle de nouveauté, McPhee décide cette fois de brider un peu la place de la guitare, et de laisser la place à un clavier qu’il expérimente avec gourmandise : le mellotron. Il travaille également sur un piano électrique et sur un harmonium, qui dessinent de nouvelles couleurs sonores au blues-rock hargneux des Groundhogs. McPhee n’a pas abandonné les thèmes politiques et humanistes. Ainsi, Earth Is Not Room Enough qui ouvre le disque est une charge contre la peine de mort aux USA, et sur plusieurs morceaux, il critique les effets des industries polluantes sur les hommes et leur environnement. Les mélodies sont plus subtilement blues, et l’on retrouve ce souffle plus discrètement, comme sur Body In Mind ou Wages Of Peace. Tony McPhee tresse des mélodies plus complexes, jouant sur les changements de tempos, les sonorités de guitare et de claviers.

Earth Is Not Room Enough est une incontestable réussite avec son riff sautillant d’introduction entre électricité et acoustique. McPhee ne peut s’empêcher de teinter ses chansons d’une forme de mélancolie rampante qui colle aux basques de Music Is The Food Of Thought, Wages Of Peace ou Bog Roll Blues. Le disque est dominé par l’incroyable morceau de dix minutes nommé The Grey Maze. C’est une sorte de boogie inspiré de John Lee Hooker galopant sans relâche, mais croisant également le fer psychédélique des grandes odyssées acides de Hawkwind. Il reproduit la transe de ces morceaux obsédants, avec aussi ces petites accalmies pour faire trépigner l’auditoire avant de repartir de plus bel. Ce sens de la transe a aussi à y voir avec l’arrivée du Krautrock allemand, et ses quelques groupes qui s’aventurent en terre britannique, comme Can, Amon Duul II ou Neu !, que les Groundhogs ont par ailleurs croisés en tournée en Allemagne. Le morceau est un vrai miracle et mérite à lui seul l’acquisition du disque. Tony McPhee y fait la démonstration de son talent de guitariste inspiré et brillant, ce qui ne fait que confirmer les excellents scores des Groundhogs dans les classements annuels des magazines musicaux anglais. McPhee est ainsi quatrième meilleur guitariste de l’année 1971 derrière Eric Clapton, Jimmy Page de Led Zeppelin, et Steve Howe de Yes, mais devant Alvin Lee de Ten Years After, Ritchie Blackmore de Deep Purple et Rory Gallagher.

« Who Will Save The World ? The Mighty Groundhogs » se classe numéro huit des meilleures ventes d’albums en Grande-Bretagne, et se classe même aux portes du Top 200 US à la 202ème place. Le périple américain devient inévitable.

Who Will Save The World? The Mighty Groundhogs | The Groundhogs

Et un vent mauvais se mit à souffler

Un premier évènement survint dans l’organisation des Groundhogs : Roy Fischer va être sèchement remercié pour des histoires d’argent, refrain connu. Tony McPhee, après une discussion avec le management de Black Sabbath en Allemagne, se rend compte que les Groundhogs ne touchent rien. L’histoire est plutôt ironique, car en 1975, Black Sabbath se retrouvera en justice avec son ancien management pour de l’argent évaporé. Les Groundhogs signent avec Wilf Pine et quitte le label Liberty pour United Artists.

Le projet de la tournée américaine aboutit également, avec une série de dates en première partie des meilleures formations du circuit aux USA : The Faces, Humble Pie, Black Sabbath, Edgar Winter, Black Oak Arkansas et Alice Cooper. C’est un grand voyage initiatique, et les trois Groundhogs s’émerveillent de tout à chaque étape : les paysages grandioses, les terres originelles du blues, la folie du circuit rock américain. A ce jeu, Ken Pustelnick perd peu à peu pied. Appréciant les expérimentations lysergiques, il met le nez dans des drogues extrêmement agressives et dangereuses pour son équilibre mental. Ce qui était de furtifs désagréments liés à la prise ponctuelle de dope devient un véritable problème : le comportement de Ken Pustelnick devient difficile à gérer, et plus grave, les concerts s’en ressentent.

Groundhogs – FIRE RECORDS

Pour ne rien arranger, Tony McPhee et Ken Pustelnick détestent l’avion. Mais plus grave, le batteur est agoraphobe et claustrophobe, des tendances accentuées par la prise de drogue. Lorsque le duo sera invité à une soirée organisée par le label STAX au 3744 James Road à Memphis, Pustelnick va se montrer sous son plus mauvais jour. McPhee tirera de cette soirée la chanson 3744 James Road pour le disque suivant. Il est évident que Ken Pustelnick est devenu problématique. Pourtant, la fin prématurée de la tournée ne sera pas de son fait. Profitant d’un peu de temps libre, les Groundhogs se lancent dans une ballade à cheval. Mais McPhee va faire une mauvaise chute et se retrouver plâtrer plusieurs mois durant. La tournée écourtée, le cas Pustelnick et ses dérapages acides restent toujours présents et inchangés. Il est finalement remercié et remplacé par Clive Brooks, batteur d’une formation progressive audacieuse nommée Egg. C’est lui que l’on retrouve sur le nouveau disque, le premier pour United Artists : « Hogwash ».

Sur ce nouveau disque, Tony McPhee poursuit ses expérimentations aux claviers, notamment au mellotron. Il aborde de nombreux sujets sociétaux, à commencer par le sexisme, qu’il décrit avec humour sur le titre d’ouverture I Love Miss Oginy, joli jeu de mot qui va devenir une constante pour la suite chez McPhee. 3744 James Road raconte les bons et mauvais souvenirs des premières dates américaines, et la thématique environnementale est à nouveau à l’honneur sur Sad Is The Hunter et Earth Shanty. Ce dernier morceau est un nouveau cheval de bataille scénique porté par le mellotron mais surtout par le synthétiseur pionnier ARP que McPhee a également expérimenté. Tous ces claviers donnent une dimension épique à la musique des Groundhogs, déjà pétrie de mélancolie et de douleur sourde.

The Groundhogs Hogwash Album Cover Sticker

« Hogwash » sort en novembre 1972. Il est produit par Tony McPhee lui-même, assisté de Martin Rushent. Il est suivi d’une grande tournée britannique de deux mois en novembre et décembre, avec Stray et Gentle Giant pour les premières parties. Cependant, presque un an s’est écoulé depuis la dernière tournée sur leurs terres. La faute est en partie à mettre au crédit de la terrible fracture du bras de Tony McPhee qui va nécessiter plusieurs opérations et agencements de plâtre, sans parler de la rééducation. Et un an à cette époque, c’est long. Ainsi, entre février et novembre 1972 sont apparus dans les charts David Bowie, Marc Bolan, Slade et Sweet. Les groupes basés sur le blues-rock sont partis aux USA pour trouver fortune : Led Zeppelin, Humble Pie, Ten Years After, Black Sabbath…

Brutalement, « Hogwash » ne se classe pas dans les charts britanniques. C’est la curée, et les Groundhogs doivent tout reprendre de zéro. Une longue tournée nationale est lancée, mais rien ne semble faire frémir la notoriété du trio. McPhee commence à se montrer réaliste, et les Groundhogs sont mis en sommeil, le temps pour le guitariste de mener à bien un premier album solo.

Les temps changent, le vent tourne

En 1973, Tony McPhee publie « Two Sides Of Tony (TS) McPhee ». Il s’agit d’un étrange alliage de ses approches musicales du moment : une face A dédié au blues, la face B aux expérimentations électriques et électroniques, avec des synthétiseurs et des boîtes à rythmes. Le disque est déconcertant, mais le temps en a fait l’une des plus belles expérimentations sonores du rock avec le « End Of The Game » de Peter Green, et les albums solo de Syd Barrett. Tony McPhee part en tournée en solitaire, avec sa guitare, son synthétiseur et ses pédales d’effets, inspiré par John Martyn, et inspirant plus tard Robert Fripp et ses Frippertronics. Les concerts obtiennent un surprenant succès, même si la critique se montre parfois un peu dubitative. Globalement, les expérimentations sont réussies, mais, il manque clairement une section rythmique. Et cela ne peut que conduire qu’à un retour des Groundhogs aux affaires.

Tony McPhee – The Two Sides Of Tony (T.S.) McPhee (1973, Die-Cut Cover, Vinyl) - Discogs

Peter Cruickshank et Clive Brooks rejoignent Tony McPhee à Haverill dans le Suffolk. C’est là qu’habite McPhee, et qu’il a installé son propre studio sur les conseils de Martin Rushent. Le trio travaille consciencieusement sur les nouvelles chansons du guitariste, qui supervise également l’enregistrement. En juin 1974, « Solid » paraît. C’est un excellent disque, qui retrouve la fureur redoutable de « Split », les claviers en plus. Ces derniers sont toutefois un peu plus discrets que sur « Hogwash ». « Solid » est un disque violent, rageur. Il y plane un esprit noir, la vie conjugale du guitariste tanguant sérieusement à ce moment-là. Les textes se concentrent essentiellement sur une forme de psychanalyse, le moral plutôt dans les bas, une véritable introspection que l’on retrouve sur Light My Light, Free From All Alarm, Corn Cob, ou Sad Go Round. Musicalement, il est d’une brutalité inédite, et se montre comme une véritable démonstration du talent de guitariste et de compositeur pour Tony McPhee.

Le contexte autour du groupe n’est par ailleurs pas des meilleurs non plus. D’abord, Roy Fischer autorise la publication d’une double compilation réunissant les enregistrements Liberty et les premiers sur United Artists nommée « Groundhogs Best 1969-1972 ». Le journal Melody Maker tombe sur le groupe en critiquant violemment ce blues-rock qu’il considère comme prévisible, et conclut en espérant qu’un nouvel album ne sorte jamais. L’article sort alors que le trio assure ses premiers concerts en mai 1974 en vue de la promotion de son nouvel album ! Le public est par ailleurs partagé sur les concerts, McPhee se présentant désormais sur scène avec ses guitares et ses claviers, loin du groupe blues-rock ravageur de 1970-1971.

Le Melody Maker s’acharnera ensuite sur « Solid ». Une partie de la presse commence à lâcher les Groundhogs. Tony McPhee fait publier un droit de réponse sous forme de lettre dans laquelle il réplique aux arguments des journalistes point par point, expliquant que lui et le groupe continuent à faire ce qu’ils ont toujours aimé faire, et qu’ils le font sincèrement. Wilf Pine va lui trop loin en menaçant par téléphone la rédaction du Melody Maker, les menaces étant suivies d’une potentielle contre-offensive judiciaire, Pine ne s’étant pas méfié, et ayant été enregistré.

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Les Groundhogs reprennent la route, mais ce qui devait être un appui par une maison de disques importante, en l’occurrence United Artists, commence à poser problème en tous points. Le label n’investit pas l’argent promis, et tout prend un temps fou. Les Groundhogs se retrouvent ainsi à passer de 170 concerts en 1971 à seulement 60 en 1974. Mais ce n’est hélas pas tout.

Clairement, l’argent rentre au compte-goutte, alors que les disques se vendent, et que les concerts font le plein. « Solid » a notamment retrouvé le chemin des classements, trente-et-unième des ventes en Grande-Bretagne. Mais les musiciens sont totalement ligotés aux décisions de Wilf Pine. Ainsi, il est impossible d’acheter une voiture ou une maison. Le management le fait pour eux, et ces derniers deviennent donc des locataires permanent. Il n’y a aucune vision sur les finances : à peine une par an, alors qu’avec Roy Fischer, le point était fait chaque mois avec les musiciens. Et après avoir discuté avec des membres de Black Sabbath, également managés par le duo Wilf Pine – Patrick Meehan, ils ne sont pas les seuls à n’avoir aucune visibilité sur l’argent alors que les groupes triment comme des bêtes sans véritable retour financier. McPhee tente de se désolidariser de son management, mais rapidement, il reçoit une lettre d’injonction judiciaire. Il n’a bientôt plus d’autre choix que de dissoudre les Groundhogs. Le dernier concert du trio se tient le 4 avril 1975 au Kings Cross Cinema de Londres. Le Melody Maker est bien évidemment présent pour refermer le cercueil avec une chronique fort peu flatteuse comparant la décrépitude de la salle et celle du groupe.

Une étrange résurrection

En avril 1975, Tony McPhee ne se fait pas trop de soucis pour son avenir. Régulièrement comparé aux meilleurs guitaristes du pays par les fans des Groundhogs, il envisage une carrière solo à la Rory Gallagher. Cependant, les semaines passant, le carnet de concerts est désespérément vide. Le promoteur Richard Cowley de Cowbell Agency le contacte quelques temps plus tard pour l’informer qu’il a des propositions de gigs, mais sous le nom de Groundhogs. McPhee ne veut pas relancer une nouvelle fois le trio. Il voit alors un compromis en forme de pacte avec le Diable : se lancer dans une sorte de carrière solo, mais qui aurait pour nom Groundhogs.

L’offre de Cowley acceptée, McPhee se lance à la recherche de musiciens. Il envisage d’abord d’embaucher comme backing-band les proto-punks Pink Fairies, puis les jazz-rockeurs de Zzebra. Finalement, Cowley suggère quelques noms : parmi eux Mick Cook à la batterie, Martin Kent à la basse et Martin Wellbelove à la guitare. C’est avec ces trois-là que les quelques concerts sont assurés, et il est évident que la magie s’est installée. Cowley s’improvise manager, et permet de négocier un nouveau contrat avec United Artists. En novembre 1975, le quatuor est en studio à Haverill. Les chansons coulent en quelques semaines, et un nouveau disque est publié en février 1976.

C’est une fois encore un chef d’oeuvre, du niveau de « Split » et « Solid ». La rythmique de Cook et Kent est un peu plus funk, et Wellbelove se montre comme un parfait partenaire de guitare, assurant rythmiques et solos acérés. Une fois encore, les textes sont d’une noirceur redoutable, incroyablement poignants. Si l’ensemble des morceaux sont absolument époustouflants, Crosscut Saw, Promiscuity, Boogie With Us, Fulfillment, Live A Little Lady et Eleventh Hour sont des sommets indépassables de la carrière du groupe. Les guitares sont redevenues leaders dans le son général, et les concerts de l’époque attestent de cette magie sonore. Publié en 2004, le concert du King’s Hall de Derby le 13 mars 1976 est un parfait exemple du niveau musical des Groundhogs nouveaux. Les morceaux de « Crosscut Saw » et « Solid » sont poussés à leur paroxysme d’inspiration, d’émotion et de douleur intérieure. Les vieilles scies comme Split Part 2 et Cherry Red sont littéralement labourées et transformées pour des improvisations hallucinées de dix à quatorze minutes. L’électricité transfigure totalement des morceaux plus arrangés comme « Light My Light » qui devient un véritable brouet de riffs noirs et de chorus possédés. Musicalement, Tony McPhee est toujours à un paroxysme de créativité. Parfaitement accompagné, il poursuit son idiome d’un rock blues émotionnel, mélancolique, douloureux et rageur. Les Groundhogs sont une fois encore relancée de la plus belle des manières, malgré la pochette plutôt laide de « Crosscut Saw », une première pour le groupe qui a toujours offert des visuels originaux et marquants.

Le pacte avec le Diable hélas respecté

Cependant, l’équilibre fin du quartette se brise lorsque Tony McPhee doit se séparer de Dave Wellbelove. Maniaque de la propreté, il nettoie chaque jour sa guitare en détails, et vit très mal le mode de vie sur la route. Tony McPhee a par ailleurs opté pour un camping-car pour que le groupe se déplace plus facilement sur la route. Mais Wellbelove ne peut supporter de ne pas prendre de douche chaque jour, et surtout de ne pas avoir fait son rituel d’ablution à l’huile d’Ulay. Si tout cela fait ricaner gentiment les autres, Tony McPhee lui donnant le surnom de « Immaculate Conception », l’ambiance finit par être pesante. Il est remercié, et Ric Adams rejoint la formation. « Black Diamond » est enregistré encore au studio de McPhee, mais la qualité du disque est moindre que celle de ses deux prédécesseurs. Le son est plus sophistiqué, et quelques morceaux montrent un léger manque d’inspiration. Il y a cependant encore quelques beautés, comme Fantasy Partner ou Black Diamond, qui retrouve toute la verve mélancolique mythique du groupe.

Le 10 septembre 1976, les Groundhogs sont invités par la radio suédoise pour enregistrer un concert, puis le 8 octobre, le quatuor reprend la route en Grande-Bretagne. Cependant, le contexte a changé depuis le dernier concert de la tournée précédente en avril. Le punk est arrivé et commence à pousser dehors des clubs et des petites salles les groupes de blues-rock qui s’y sont réfugiés depuis le milieu de la décennie : Groundhogs, Stan Webb’s Chicken Shack, Stray… Ayant atteint la trentaine, considérés comme de vieux hippies dépassés, ils commencent à peiner à trouver des engagements. S’en est trop pour McPhee qui porte financièrement son groupe à bout de bras. Les Groundhogs donnent leur dernier concert de la décennie le 31 octobre 1976 à Croydon.

McPhee relance alors plusieurs groupes en forme de projets solo : Terraplane, Turbo, puis Tony McPhee Band, dans l’esprit de Rory Gallagher. Des démos et quelques simples sont publiés, mais personne ne semble plus s’intéresser ni à sa musique, ni à son passé avec les Groundhogs. Jusqu’à ce qu’un représentant du label anglais Psycho Records le contacte en 1982 pour lui demander l’autorisation de publier un album de compilation d’enregistrements live contenant le concert de Leeds de 1971 en première partie des Rolling Stones et le live à la radio à Stockholm en 1976. Le premier enregistrement fut saisi sur bande afin d’être le premier live officiel des Groundhogs, qui sont alors une tornade scénique totale. Mais le passage de chez Liberty à United Artists en décidera autrement, et le trio s’est sans doute privé d’un immense succès commercial ainsi qu’un nouveau disque de légende. Qu’à cela ne tienne, McPhee accepte le deal avec Psycho : après tout, un album rappelant au public les Groundhogs du temps de leur splendeur ne peut pas nuire à sa carrière solo alors en panne. Et à sa grande surprise, « Hoggin’ The Stage » publié en 1984 est un succès pour un disque publié sur un label indépendant. Ce live était l’album qui manquait aux fans, et sa férocité a ravivé l’intérêt pour les Groundhogs.

Par ailleurs, le punk a été balayé dès 1978, et si le genre a pillé les riffs de McPhee, la nouvelle vague du heavy-metal anglais qui arrive en 1978-1979, nommée New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM), rend hommage à ses héros : Groundhogs, Stray, Budgie, Hawkwind… Les accélérations speed et les mélodies cancéreuses de McPhee vont alimenter les premiers disques de Def Leppard, d’Iron Maiden, de Trespass ou d’Angel Witch.

Tony McPhee relance ses Groundhogs avec de nouveau musiciens dès 1982 et l’appel de Psycho Records. Après tout, si un label est intéressé, peut-être vaut-il mieux qu’il se produise sous ce nom. Le succès de l’album live confirmera son impression. Le nouveau trio se stabilise avec le batteur Mick Kirkton et le bassiste Alan Fish. Ils enregistrent en 1984 « Razor’s Edge », très bon disque de hard blues-rock à la Rory Gallagher, mais conservant la patte McPhee typique notamment sur des titres comme I Confess ou Superseded. Publié sur un petit label nommé Landslide, il n’aura que peu de retentissement, et servira surtout de prétexte à relancer la machine à concerts. « Back Against The Wall » sera du même niveau, avec l’ancien Hawkwind Dave Anderson à la basse. Désormais, les Groundhogs sont devenus un groupe de clubs de fanatiques de blues et de classic-rock. Les audiences s’amenuisent, et les albums se raréfient. McPhee alterne albums de blues personnels et des Groundhogs, parmi lesquels le superbe hommage à Howlin’Wolf de 1998 : « Hogs In Wolf’s Clothing ».

En 2003, il reforme le trio original avec Peter Cruickshank à la basse et Ken Pustelnick pour une série de dates anglaises. L’exercice sera plaisant pour les retrouvailles avec ses anciens compères et la chaleur des vieux fans, mais McPhee trouvera l’exercice rapidement pathétique. Sa santé se dégrade ensuite très vite, enchaînant les attaques et les AVC. Il jouera encore du blues en acoustique avec sa nouvelle épouse Joanna qui s’occupe également du site internet du groupe et de son guitariste de mari. Mais ces dernières années, il était fortement diminué. Il s’est éteint tranquillement, mais hélas dans une sorte d’indifférence cruelle, en particulier en Grande-Bretagne. Si sa disparition a fait l’objet de quelques articles de journaux en ligne, sa créativité et son apport, immense, à la musique anglaise ont été terriblement sous-estimées. Tony McPhee et ses Groundhogs demeurent pourtant l’une des charnières ouvrières du rock anglais les plus méconnues de son histoire.

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