Planquées tout au long du 20ième siècle derrière des génies masculins qui leur ont parfois beaucoup empruntés, certaines femmes ayant fait « carrière » dans l’avant-garde ou dans la marge ressurgissent ces jours-ci grâce au temps long et à la mémoire d’Internet. Dans la catégorie des « beautiful unseen », le nom de la Japonaise Midori Takada, lointaine cousine de Steve Reich et Brian Eno, résonne au moins aussi fort que ses 9 albums minimalistes publiés sporadiquement depuis 40 ans.

Le marimba est à la musique ce que le cerveau est aux acteurs porno et autres influenceurs pour produit cosmétique : un membre oublié. Citez-le dans une discussion, invariablement l’audience citera Sous le sunlight des tropiques de Gilbert Montagné ou telle reprise rigolote issue d’une compilation. C’est que le marimba, en Europe, a longtemps été vu et entendu comme un parent pauvre, un gadget, un instrument jouet ; un cousin débile qui aimerait taper sur des bambous parce que ça lui fait du bien.
On ne s’étonnera donc pas qu’il ait fallu attendre 34 ans pour que le premier album de Midori Takada, « Through The Looking Glass », soit dignement réédité en 2017 grâce à deux accidents éloignés. Le premier ? La rencontre fortuite de la principale intéressée avec son producteur à la retraite sur un quai de métro. La seconde : un étonnant retour de hype offert par la génération YouTube, étonnée de retomber par hasard sur ce monument d’ambient à la fois zen et mélodique au gré de recommandations d’algorithme mélangeant ASMR, slow listening et musiques relaxantes.

Relaxante, la musique de Midori Takada l’est, assurément. Mais c’est aussi un peu plus que ça. Steve Reich nippone ? Version débridée de Brian Eno période « Fourth World, volume 1 » ? Na. Raté. A vrai dire, et comme comparaison n’est pas raison, l’œuvre de cette discrète percussionniste ne ressemble à aucune autre, et certainement pas aux incontinents de la musique new age capable de pisser de la feel good music au kilomètre en tapant sur deux bols tibétains.

Algorithme cardiaque

Le seul tort de Midori, née d’une mère professeur de piano et d’un père enseignant la littérature anglaise, aura peut-être d’être excentrée du monde occidental alors même que naissait la musique contemporaine. Très loin de la musique de stade, et fascinée dès ses débuts par la simplicité de la musique traditionnelle indonésienne et coréenne, Takada creuse un sillon vierge pour bâtir un nouveau continent à placer entre l’Asie et l’Afrique ; un Tokyo-Lago rythmique où l’idée est d’user du vibraphone, du xylophone et autre marimba pour revenir aux racines du rythme. « Through The Looking Glass » sera fait de ce bois-là, et un titre comme Mr. Henri Rousseau’s Dream permet à lui seul de comprendre que la musicienne semble plus intéressée par les jungles sauvages et poétiques imaginées par le peintre français que par la célèbre chanson de la Compagnie Créole.

Passage à l’Ouest

Un diplôme de l’Université des Arts de Tokyo sous le bras, Midori a débuté à la batterie et au clavier dans un groupe de rock progressif à la Emerson, Lake & Palmer. Mais rapidement, l’appel de l’Occident se fait plus fort et la voilà embarquée dans le Philharmonique de Berlin, puis dans une frénésie de collaborations avec des musiciens venus du Ghana, du Sénégal, de Corée ou de Tanzanie ; un pays qui lui inspirera d’ailleurs le MKWAJU ensemble créé en 1981, classé dans la catégorie culte pour sa capacité à marier exotica, avant-garde et minimalisme grâce à l’inspiration des tribus Gogo et Zanaki. Ces ponts, loin des poncifs européens sur la musique blanche dominante, on les retrouve dans une discographie aux allures de robinet à moitié fermé : si « Through The Looking Glass » a été enregistré en seulement 3 jours – Midori jouant de tous les instruments, y compris d’une bouteille de Coca Cola – il faudra attendre quatre ans plus pour entendre le dispensable « Nebula » (1987) et sept pour l’autre chef d’œuvre, « Lunar Cruise », construit avec Masahiko Satoh. Entendre ce disque, initialement publié en 1990, c’est revoir sa propre conception de l’an 1990, loin de toute vulgarité et sublimé par une épure électronique donnant l’impression que le Twin Peaks de Lynch aurait pu être filmé à Osaka.

Au total, l’experte en marimba a publié 9 albums en cinquante ans de carrière, dont le récent « Cutting Branches For A Temporary Shelter » chez le bien nommé We Release Whatever The Fuck We Want Records. Fait encore plus notoire, la Japonaise réussit l’exploit de traverser les décennies sans jamais se compromettre dans le piège du moderne-à-tout-prix ; ce qui rend précisément sa discographie plus intemporelle que n’importe quelle crème de jouvence.

Un secret encore trop bien gardé

A 72 ans, Midori Takada est écoutée tous les mois par 4600 personnes sur Spotify – qui n’a pas jugé utile de mettre l’intégralité de son catalogue en écoute. 4600 personnes, c’est l’équivalent de la population de Ventabren, minuscule village des Bouches du Rhône. Ca ne pèse pas lourd pour faire balancer la postérité, mais d’autres énergumènes comme Pascal Comelade ayant déjà prouvé qu’on pouvait une trace visible sans se soucier des chiffres, la percussionniste du soleil levant qui aurait parfaitement pu être signée sur la collection Made to Measure de Crammed Discs continue sur sa lancée en utilisant son corps plus tout jeune « pour ressentir des sons ou des vibrations ». Et même cinquante après le début de ce cours réservé aux amateurs d’insouciance, personne ne sait encore quand finira cette improbable méditation en pleine conscience.

Le catalogue de Midori Takada, disponible en réédition chez We Release Whatever The Fuck We Want Records.
https://wrwtfww.com

13 commentaires

  1. je l’ai decouvert en 1990 avec l’album Lunar Cruise qui bénéficia de l’appuis de Epic /sony music ,ce qui lui permis de se faire connaitre en dehors du japon , le Reichsführer BESTER DE GONZAI A juste plus de 3 décennies de retard

      1. plan b non pas le meilleur mais pour sur a 1000 pour cent ma culture musical est plus étoffé et éclectique que ce rond de cuir de bester de gonzai

    1. Persévérance
      Toujours le premier pour du charabia inepte avec des bonnes grosses fautes fourrées dedans
      Pas de doute
      T’es le meilleur

  2. amis / ennemies cherche a l’achat d’occasion 7.000 vinyls même froissés pour cie théâtrale secrète, paiement en toute discrétion.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages