C’est bien connu, la Yougoslavie est une histoire qui s’est terminée dans le sang, la douleur et les larmes. Mais qu’y faisait-on avant la décennie des guerres et des génocides, hormis fourbir ses armes ? De la musique, beaucoup de musique. Et vers la fin, on y produisait une new wave agréablement eighties, sombre et électronique à souhait.
Si vous pensez que la Yougoslavie n’a laissé dans l’histoire de la musique qu’une collection de pochettes horrifques, vous êtes dans le faux. D’autant qu’à l’instar de l’album mauve de Saveta Jovanovic, tout en strabisme et en poils, les pochettes les plus marquantes de la variétoche locale ont largement repoussé les limites du camp, jusqu’à en devenir rétrospectivement assez merveilleuses.
Dans un autre genre, Beograd qui porte le nom local de Belgrade, est un groupe éphémère qui constitue une intéressante porte d’entrée vers la bonne musique yougoslave. Son unique album « Remek Depo » (1982) offre une synth-pop énergique aux influences punk et ska, le tout dans un esprit assez frais : « les mères envoient leurs fils au cimetière », répète la chanson Opasne igre (Jeux dangereux) qui ouvre le disque. Et les graphismes du groupe rivalisent aisément avec quelques bonnes références new wave occidentales : les pochettes de l’album et du premier single Sanjaš Li U Boji (1981) n’ont rien à envier à celles d’OMD.
Beograd n’est pas un cas isolé. A l’époque fleurit la « Novi val », la nouvelle vague musicale yougoslave. Remek Depo est produit par la maison de disques serbe PGP-RTB, numéro deux du secteur.
En fait, le poids-lourd de la production musicale yougoslave, tous genres confondus, c’est Jugoton. Fondé à Zagreb dans les années 1940, ce label pèse 60% du marché du disque national. L’usine Jugoton est presque une ville à part, une sorte de familistère dans lequel plus de 500 heureux salariés trouvent tout le confort moderne, bref, une institution. Jugoton diffuse en Yougoslavie un certain nombre d’incontournables, d’Elvis à Mötley Crüe en passant par Queen et les Beatles, sans oublier ceux qui influencent la new wave locale de différentes manières : Pink Floyd, Kraftwerk, Eurythmics ou encore Madonna.
Un peu Jarre, un peu Moroder
Géographiquement proche de l’Italie à l’époque du synthé triomphant, la Yougoslavie ne peut pas rester indifférente à un certain courant en vogue. De fait, s’il manque un chaînon européen entre le disco et l’italo-disco, c’est peut-être sur les bords de l’Adriatique qu’il faut le chercher. Jeter un coup d’oreille sur Zemlja Kliče SOS de Miha Kralj, c’est voyager quelque part entre Giorgio Moroder et Valerie Dore.
Accessoirement, Miha Kralj ne fait pas toujours danser : ce « Jean-Michel Jarre slovène » se place aussi dans une tradition nationale de musique électro-savante née dans les années 50. Il conçoit de 1980 à 1985 trois albums instrumentaux intitulés « Andromeda », « Odyssey » et « Electric Dreams » (tous trois sur le label PGP-RTB, décidément inspiré). Si le troisième, un peu faiblard, peine à soutenir la comparaison avec Jarre, les deux premiers offrent de belles nappes d’électro rétro, agréablement spatiales.
Mauvaise ambiance
Retour sur Terre en Croatie, le pays de Jugoton qui est aussi en 1971 le théâtre d’un mouvement de révolte important et durement réprimé, le Printemps croate. L’événement semble annoncer le futur éclatement d’un pays sous tensions économiques et sociales. La décennie voit naître une vague de rock contestataire, tolérée contre toute attente par le pouvoir communiste et qui n’est pas étrangère à l’épanouissement, à travers la Yougoslavie, d’une vague post-punk et new wave dix ans plus tard. Comme l’illustre le groupe serbe Šarlo Akrobata (les Charlots acrobates) qui signe en 1981 sur Jugoton un unique album post-punk. Le leader Milan Mladenović s’engage ensuite dans un important projet new wave, Katarina II, renommé plus tard Ekatarina Velika. Ce nouveau groupe aux accents Talking Heads devient l’un des plus influents de l’époque. Il est produit par le petit label slovène ZKP RTLJ qui distribue Depeche Mode, Madness, Blondie et Grateful Dead en Yougoslavie.
La Yougoslavie communiste n’est pas à la fête au milieu des années 80, en période de hausse du chômage, de la pauvreté et de l’inflation. C’est un matériau intéressant pour la musique, c’est aussi un excellent terreau pour une guerre civile. En 1986 la Yougoslavie n’a plus devant elle que cinq ans d’union politique pacifique. A Belgrade, tandis que le jeune Slobodan Milošević devient chef du Parti Communiste serbe, le groupe post-punk et notoirement provocateur Laboratorija Zvuka sort un troisième album, « Nevinost » (Innocence), dont certains titres lorgnent vers Kraftwerk. Le splendide Devica (Vierge) en témoigne.
Bryan Ferry en Syldavie
On ne peut résumer la Novi val à une musique de crise. Il existe une importante production locale de new wave formatée pour la bande FM, très décemment produite. S’exprime aussi une new wave plus arty, plus sophistiquée, parfois nantie d’un petit velours saxophonique, et dont les graphismes sont à l’avenant : on note une touche néo Art Déco noire et mystérieuse tendant vers le porno chic, un univers visuel plutôt décalé dans les Balkans de l’époque. Si les pochettes érotico-clinquantes de Roxy Music vous donnent des frissons, vous ne resterez pas indifférents aux illustrations des disques d’U Škripcu et Oliver Mandić. Dans un style plus composite, Slađana Milošević (aucun lien) propose une musique située quelque part entre Madonna, Pat Benatar et Lizzy Mercier-Descloux, le tout sous un emballage à la Jeanne Mas.
Les années 80 musicales sont mortes en Yougoslavie plus brutalement qu’ailleurs. Au bout de la route électronique attendaient la guerre, la désintégration politique et les génocides, et accessoirement l’arrivée massive de vacanciers en tongs sur les bords de l’Adriatique. Comme il existe une Östalgie allemande, il existe une certaine nostalgie yougoslave qu’on ne saurait exagérer tant le sang a coulé sous les ponts depuis le début des hostilités. Pour entretenir la flamme, de belles compilations new wave existent sur les plateformes de streaming ou même en format physique : « Parada Hitova Mesam 85 » (PGP-RTB, 1985 réédité en 2016) propose une sélection très pop, très FM, bougrement eighties. Plus raffiné, « Electronic Jugoton » (Croatia Records, 2014) offre un panorama complet de la musique électronique entre 1964 et 1989. Nombre des groupes qui y figurent ont disparu en même temps que la Yougoslavie, Jugoton elle-même s’est dissoute dans Croatia Records, une compagnie assez portée sur les chants patriotiques. Restent les traces d’une intéressante aventure musicale before Yougo-go.
3 commentaires
qui achetent çà? Les blancs
Tkt Mouloud, ça c’était avant…
Maintenant les babtous ont obligation d’acheter la daube auto-tunée a la Iseult et autres hippopotames.
Ça c’est du bon vieux son d’electro-yougo :
https://youtu.be/q9HzqxwKfiM
la tof d’illustration, cé pas l’ex d’ariel P££K ?????