Si vous avez aimé l’histoire de Rodriguez et son « Sugar Man », vous pourriez être sensible à celle de Robert Lester Folsom, l’ancien peintre en bâtiment devenu guitariste de l’ombre. Le 11 novembre sort chez Anthology Recordings le deuxième volume de ses archives, « Sunshine Only Sometimes, Archives vol. 2 1972-1975 », pour compléter « Ode To A Rainy Day », la première série de ses enregistrements redécouverts après quarante ans de silence. 

Si l’on associe souvent l’explosion d’une carrière à la fouge de la jeunesse, il arrive que lesdites explosions se produisent plus tardivement, au moment où on les attend le moins (voire plus du tout). Spoiler : c’est un bon résumé de la vie de Robert Lester Folsom, né en 1955 dans l’Amérique rurale, en Géorgie, d’une famille aimante où la musique fait partie intégrante de la vie du foyer : les parents jouent en amateurs, amènent les enfants voir des concerts et laissent la radio constamment allumée. Dans le jardin, quelques arbres donnent des noix de Pécan que le jeune homme vendra plus tard en ville, économisant ainsi pour acheter ses premiers disques. À six ans, le jeune Robert découvre sur scène Jerry Lee Lewis, puis plus tard les Allman Brothers. C’est en voyant la performance des Beatles au Ed Sullivan Show qu’il décide de laisser tomber ses leçons de piano. Il troque ainsi un tourne disque offert par ses parents contre la vieille guitare du voisin, abîmée et dépourvue de cordes, que son père s’empresse de réparer.

Smalltown Boy

Très vite, la musique devient sa passion et son exutoire, dans une région très rurale où les jeunes garçons se dirigent plutôt vers les sports d’équipe ou la fanfare locale. Avec quelques amis attirés ni par l’un, ni par l’autre, Robert passe le plus clair de son temps à jouer et écrire, nourrissant quelques rêves reçus des fréquences radios. Les jours de pluies sont rares sous le soleil de Géorgie, mais ils ne sont qu’un prétexte pour le musicien et sa clique à s’enfermer au garage avec leurs instruments. Le jeune homme donne son premier concert seul, à l’école, reprenant maladroitement Mellow Yellow de Donovan, mais rapidement étiqueté comme le chanteur local de ce petit village de cinq milles habitants.
Au lycée, Robert s’arrange avec un de ses amis pour acheter un enregistreur à bandes sur un catalogue de vente Sears. Muni de cet objet rudimentaire qui le suivra toute sa vie, il se déchaîne, enregistrant jour et nuit ses compositions et celles des autres musiciens du village. Il rachète très vite les parts de son ami : « il avait une copine, moi j’avais un enregistreur ». Un enregistreur qu’il pousse dans ses derniers retranchements (et plus loin encore), bricolant à outrance le boîtier pour en surpasser les limites et multipliant les overdubs.

Alors que ses cheveux s’allongent et que sa barbe s’épaissit, Robert monte avec ses amis un groupe qu’ils appellent Abacus pour s’assurer la première position dans les bacs des disquaires. Robert est clairement le leader du groupe, devant ses camarades admiratifs et convaincus de son talent, prêts à le suivre aveuglément dans ses projets. Ils se produisent dans quelques concerts locaux, souvent dans les bals et les dancings, mais ne rencontrent qu’un très relatif succès. La mode n’est pas à la folk-rock cotonneuse du groupe, mais aux hits dansants que les jeunes entendent à la radio, et leur musique n’est tout simplement pas appropriée à la demande. Mais Robert et Abacus ne font pas dans le compromis.

Le groupe finit par se séparer quand les membres se dispersent d’universités en universités, ou pour rejoindre des formations au son plus rock et électrique. Mais avant les adieux, Abacus se réunit une dernière fois pour enregistrer ce qui deviendra le premier (et jusqu’à récemment, l’unique) album studio de Robert Lester Folsom, « Music And Dreams ». Sorti en 1978, l’album est tiré à 1000 copies. Robert le défend comme il peut, jouant quelques concerts dans sa région, mais bien vite il laisse de côté ses rêves de musique pour accomplir ceux d’un jeune marié. Il fonde une famille et s’installe en tant que peintre en bâtiment, métier qu’il considère comme une véritable vocation et dans lequel il s’épanouit pour les prochaines années.

Big in Japan

De l’autre côté du Pacifique, au Japon, un bootleg de « Music And Dreams » tourne régulièrement sur les ondes. Le morceau My Stove’s On Fire est même repris par un groupe populaire au tournant des années 2000. L’album circule ensuite sur internet, de plus en plus relayé par une fanbase grandissante et gourmande de ces raretés oubliées remises au goût du jour par la révolution numérique.
En 2009, c’est le label Mexican Summer qui contacte Robert pour rééditer son album. D’abord surpris, celui-ci s’empresse de signer et monte un groupe au pied levé pour donner quelques concerts devant un public déjà conquis par la musique et l’histoire de cet homme ordinaire pour qui la reconnaissance aura pris son temps pour pointer le bout de son nez. Dans la foulée, Robert enregistre deux nouveaux albums (notamment « Beautiful Nonsense » en 2016) et a annoncé l’été dernier avoir achevé l’écriture d’un nouveau disque.

Vient ensuite le temps de l’archéologie et des découvertes, Robert présentant au label une véritable mine d’or, à savoir ses montagnes de vieux enregistrements conservés au garage pendant ces quelques décennies d’indifférence générale.

« Ode To A Rainy Day » était le premier volume de ces archives couvrant la période 1972-1975, juste avant l’enregistrement de « Music And Dreams ». « Sunshine Only Sometimes » vient compléter cette série d’archives, pour découvrir quelques-uns de ces morceaux oubliés au milieu de vieux souvenirs, cette folk-rock bricolée, vaguement planante, qui présentait déjà tous les ingrédients de ce qui, musicalement parlant, pava la route du mouvement pop-folk lo-fi actuelle. Comme un ovni qui aurait atterri au mauvais endroit ou au à la mauvaise époque. Si Robert avait quitté la Géorgie pour tenter sa chance dans l’une des capitales culturelles des États-Unis, peut-être aurait-il rencontré le succès à son époque. Mais lui-même se déclare heureux ainsi, satisfait d’avoir mené une vie simple et voyant sa récente reconnaissance comme rien de plus qu’une agréable surprise, autant que l’opportunité d’enfin faire ce qu’il aime : de la musique, à sa manière. Et, de temps en temps, continuer de peindre les maisons de ses amis.

Robert Lester Folsom // Sunshine Only Sometimes, Archives Vol. 2 1972-1975 // Anthology Recordings, sortie prévue le 11 novembre

https://robertlesterfolsom.bandcamp.com/album/sunshine-only-sometimes-archives-vol-2-1972-1975

Robert Lester Folsom - Sunshine Only Sometimes: Archives Vol. 2, 1972-1975. Mexican Summer & Anthology.

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