A l’Est, encore du nouveau. Coincé entre Metz et Strasbourg, le gang des Nancéens de NY Milky Band publie aujourd’hui un fantastique deuxième album aux allures de bande-son réunissant le Wu-Tang, Aquaserge, François de Roubaix et Pharoah Sanders et sur lequel les « cent ans » passent surtout à 100 à l’heure. Écoute exclusive ci-dessous, et plongée mélodique dans la France des années Cousteau, au son des infrabasses pompidoliennes.

L’avantage du décentrement, c’est la liberté. La capacité à se défaire des mécanismes, à expérimenter, voire à pondre un album capable de terrasser en trois titres toutes les grosses productions parisiennes. L’avantage du décentrement, c’est la capacité à graviter sur d’autres axes et donc, de s’autoriser à lâcher des bombes comme ce « 100 ans » dont on espèrerait, dans un monde idéal, qu’il colonise le territoire tout entier en seulement deux mesures. Pourquoi ? Parce que peut-être même sans le savoir, il relie tant de points éloignés qu’il en devient presque déconcertant de résumer le film qui se joue ici, sous nos yeux. Un film mixant autant les sonars du Grand Bleu de Besson que les violons de Dernier Domicile connu de José Giovanni, et où François de Roubaix jouerait au tennis aquatique dans une piscine new-yorkaise avec Pharoah Sanders et Michel Colombier. Dur à résumer, c’est écrit sur la pancarte.

Sans compromis

Sans dire que le fait de vivre à Nancy soit un exil, l’histoire des musiciens derrière le NCY Milky Band force, depuis quelques années, le respect et devrait être inscrit dans les manuels comme l’un des rares exemples contemporains de réussite artistique dénué de petits arrangements entre lobbyistes. Seuls, presque contre le reste du monde, le « collectif » creuse un sillon qui ne s’arrête pas au bout du disque. Fondateurs du label BMM Records où les garçons publient non seulement leurs albums mais aussi ceux des copains, ces musiciens de Conservatoire (pour le talent, et non l’attitude pédante qui ruine souvent bien des projets de ce genre) semblent s’être tatoués un style sur chaque doigt : tantôt jazz, tantôt électronique, tantôt rock prog, tantôt rare groove, tantôt psyché. Ca fait cinq, mais ils sont quatre. Derrière Louis Treffel, fondateur de BMM Records et leader désigné, on trouve 3 autres équipiers nommés Antoine, Quentin et Paul ; tous embarqués dans un Nautilus à double croche descendant, de piste en piste, dans les profondeurs de cette France oubliée sur un interstice allant de 1970 à 1981, quelque part entre toutes les bandes originales mythiques qui ont fait le succès des « années Concorde » et les téléfilms avec Alain Delon.

Petits frères d’Aquaserge

C’est ce qui rend « 100 ans », deuxième album du groupe, aussi anachronique qu’implaçable sur une carte. En écumant les grands arrangements d’une grande époque filmique révolue, maintenant que la notion même de générique a été définitivement balayée par le culte des séries, le NCY Milky Band réussit là où Bon Voyage Organisation aura, par exemple, échoué : transporter des thèmes hérités du jazz dans un ailleurs, à la fois aqueux et cotonneux tout du long ; quelque chose de semblable, finalement, au « Ce très cher Serge » d’Aquaserge. Un disque devenu culte avec lequel « 100 ans » partage pas mal de points communs, à commencer par l’appellation « jazz hybride » qui, si elle fera fuir tout être normalement constitué à sa simple évocation, permet quand même de relier des pointillés en forme de néons entre des groupes comme Limousine, Principles of Geometry et Forever Pavot, autres cousins éloignés du NCY Milky Band, infatigables soldats du groove.

Peut être une image de 2 personnes et intérieur

« Library music du quotidien »

Anti-nostalgique, mais férocement attaché à cette idée que la musique peut encore se jouer avec des instruments, « 100 ans » s’écoute donc comme on déroulerait un câble sous-marin ; un parcours humide entre un point A et un point B que le groupe résume comme « de la library music du quotidien » inspirée à chaque fois par des faits réels, qu’il s’agisse d’une visite chez l’ORL ou du décès d’un proche. Peut-on encore parler de jazz vu la taille de l’Ovni ? Ne s’agit-il pas de la bande-son imaginaire d’un film réunissant Kendrick Lamar, Chassol et Sébastien Tellier, comme le laisse penser l’un des meilleurs titres de l’album, Les fils du temps ? Autant de questions dont on ressort sans réponse une fois ces 14 titres écoutés comme un seul, ou plutôt bus comme du petit lait.

Que les puristes du genre bouffent leurs catogans, « Cent ans » a la force de ces albums qu’on pourrait bien réécouter dans un siècle, en espérant que ces jeunes gens auront la force, d’ici là, de résister à la tentation de l’efficacité immédiate ; la même qui phagocyte souvent l’énergie de la jeunesse. Cet article est maintenant terminé, replongeons sous l’eau.

NCY Milky Band // 100 ans // BMM Records, en précommande ici.
https://ncymilkyband.bandcamp.com/album/100-ans

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