Avec dix ans de carrière, les Allah-Las reviennent d’une longue pause avec « Zuma 85 », un nouveau disque qui suit la même direction que son excellent prédécesseur (« LAHS », 2019). Difficile d’y voir clair, au milieu de la foule de nouvelles influences ? Pas de panique, on a demandé à Miles Michaud, l’un des quatre mousquetaires de cette aventure, de nous parler de sa discothèque idéale : l’occasion d’en savoir plus sur l’identité d’un groupe plus complexe qu’il  n’y paraît, en témoigne leur énorme travail de digger sur Reverberation Radio.

Roxy Music – « Roxy Music »

« Cet album, c’est la rencontre parfaite des scènes art rock et glam qui ont foisonné de la fin des années 60 au début des années 70. « Roxy Music » m’évoque aussi bien l’art rock britannique lourd et puissant de King Crimson que l’esthétique des années 70, le son plus lustré qui est devenu de plus en plus présent au fil du temps et de leur carrière. Avec les Allah-Las, nous avons toujours été très attirés par le chant mélodique de Ferry, par la production de cet album et son esthétique. C’est un disque qui nous a accompagné tout au long de notre travail, aussi bien avant que pendant nos sessions d’enregistrements ».

Brian Eno « Another Green World »

« On ne saura jamais si la séparation du duo Bryan Ferry/Brian Eno était la meilleure ou la pire chose qui pouvait leur arriver. Peut-être que Roxy Music serait devenu un mastodonte acclamé dans le monde entier, peut-être que le groupe se serait cassé la gueule après avoir atteint le sommet, peut-être aussi qu’il n’y serait jamais parvenu. En tout cas, après son départ de Roxy Music, Brian Eno a réalisé des albums qui font partie de ceux qui me tiennent le plus à cœur, tous genres, artistes et époques confondues. « Another Green World » est l’un d’entre eux, tout comme « Oblique Strategies ». Je ne compte plus les nuits passées à l’écouter au casque sur mon lit, comme en apesanteur au milieu de ces paysages délicats d’un autre monde, en tendant l’oreille au moindre détail. Le son de Brian Eno est toujours quelque part dans un coin de ma tête. Je pense que cette inspiration se ressent sur notre dernier album. »

Robert Wyatt – « Shleep »

« « Shleep », et en particulier le morceau Heaps Of Sheeps, sont remarquables par la manière dont ils reposent sur un lit d’accords (sans mauvais jeu de mots) assez simple, sur lequel viennent s’ajouter des arrangements très fournis. Nous avons procédé un peu de la même manière avec « Zuma 85 » : la plupart des morceaux de l’album sont nés durant des répétitions et sessions d’écritures bien antérieures aux sessions d’enregistrement, évidemment. Le point de départ tenait en quelques accords simples et une ligne de batterie que nous trouvions généralement pendant la première session. On ajoutait le reste petit à petit au cours des sessions suivantes, parfois séparées d’un mois ou plus. Je pense que cette manière de travailler nous a permis de privilégier un certain sens du détail, jusqu’à ce que ces détails deviennent la fondation même de l’album. Parfois, l’élément-clé d’un morceau naît dans son fignolage et l’ajout de minuscules touches finales. En écoutant Heaps of Sheeps, je ne peux pas m’empêcher de penser que Wyatt a certainement procédé d’une façon plus ou moins similaire. »

Lou Reed – « Coney Island Baby »

« Bon, n’importe quel morceau de Lou Reed pourrait plus ou moins figurer dans cette sélection. Ses disques ne sont jamais très loin de mes platines. Je vais choisir « Coney Island Baby » pour une simple coïncidence : c’est le premier album que j’ai écouté en me réveillant ce matin. J’ai toujours eu une grande admiration pour la manière dont Lou Reed abordait l’écriture de chansons, pour son approche poétique et littéraire. D’ailleurs, ça lui a peut-être valu autant voire plus de détracteurs que de fans durant sa carrière. Ça force le respect. Il a toujours été extrêmement hostile à l’égard des critiques et journalistes qui lui couraient après pour découvrir le sens profond et caché de ses travaux. Il a réussi à se tailler une place incontournable dans le paysage musical et culturel de l’époque, en se tenant pourtant éloigné des feux de la rampe. Son travail a toujours été d’une grande émotion et d’une grande justesse. Il a influencé tout ce qui a suivi ».

Pour notre album, je voulais vraiment trouver un son qui se rapproche de la guitare de Hangin’ Round. Je crois d’ailleurs qu’on a passé une session entière à enregistrer la guitare lead pour Right On Time, en installant deux amplis en stéréo avec fuzz et flanger. Bref, on avait une idée en tête. Je pense que notre résultat est beaucoup plus lisse que ce que l’on peut entendre sur Hangin’ Round, mais il fonctionnait bien sur notre morceau donc on l’a gardé. De toute façon, ça servirait à quoi de faire la copie exacte d’un truc déjà existant, qui plus est de Lou Reed ?

John Cale – Paris 1919

Sans surprise, le Velvet est encore dans les parages. Cet album en particulier montre une facette plus douce et lumineuse de John Cale, entre « The Academy In Peril » et « Fear » qui tirent plus vers l’expérimental, vers un son ésotérique et abrasif. C’est aussi un excellent album pour commencer la journée. Je l’écoutais souvent en randonnant dans les sentiers du Dipsea Trail, le long des forêts vierges du bord de mer. J’allais ensuite nager dans l’océan pour lancer la journée, en réfléchissant aux enregistrements de la veille, qui restaient toujours dans un coin de ma tête.

À cette période, Fontaine était déjà quasiment terminé mais je suis persuadé que l’état d’esprit et les touches baroques de « Paris 1919 » ont largement influencé la production et le rendu final de notre morceau. Le titre lui-même, Fontaine, est déjà très évocateur, mais c’est Matthew Correia qui l’a suggéré un peu plus tard. En fait, c’est le nom de la rue où j’habite et le morceau est une déclaration d’amour à ma femme et ma fille (qui n’était pas encore née à l’époque et qui me manque terriblement à l’heure où j’écris ces lignes, sur la route de Paris).

David Bowie – « Low »

« J’ai déjà parlé d’Eno, dont la production sur cet album est tout aussi remarquable qu’à peu près tout le reste. Cela dit, la manière dont son génie outsider a rencontré le super-héros universel qu’était alors Bowie a donné lieu à une certaine magie. Ils ont réussi à créer un album qui, je ne sais pas par quel miracle, sonne toujours plus vivant et remarquable à chaque écoute.
Pendant les sessions d’enregistrement de « Zuma 85 », on a écrit et développé nos morceaux presque uniquement en studio, ce que je considère être une forme d’accomplissement en termes de méthode de travail. Cela nous a permis de nous saisir très facilement de chaque idée qui nous venait, souvent avec la sensation de les tirer de nulle part. Bon, parfois ces idées gagnaient à trouver une certaine finesse, parfois elles étaient abandonnées en cours de route, mais la plupart du temps elles étaient exactement ce dont le morceau avait besoin. Ce scénario s’est produit tellement de fois au cours de l’enregistrement que j’en viens à les considérer comme de petits easter eggs qui, je l’espère, permettront à l’album de garder sa fraîcheur à chaque nouvelle écoute. Un peu comme « Low », quoi. »

Cortex – « Troupeau Bleu » 

Le jazz rock français n’est peut-être la première chose qui vient à l’esprit en écoutant « Zuma 85 », je vous l’accorde. Cela dit, les disques de Cortex font aussi partie de nos disques de chevet. La production de cet album nous a inspiré à bien des égards, notamment pour le travail effectué sur la batterie. Par exemple, nous voulions un son de batterie bien amorti et nous avons enregistré dans une pièce tout en bois, avec quelques micros dynamiques pendus au plafond.

Travailler ces pistes nous a pris une grosse journée, perdus au milieu de la pléthore d’effets disponibles dans la Panoramic House, notre studio. Au final, nous trouvions certaines batteries encore trop agressives et nous avons choisi d’enlever la caisse claire sur certains morceaux. Il y avait aussi un magnifique piano droit acoustique que l’on a utilisé sur La Rue (un clin d’œil à Cortex, évidemment), dont le son ressemblait beaucoup à celui de Chanson d’un jour d’hiver.

 

Allah-Las // Zuma 85 // Creative Discos & Innovative Leisure, paru le 13 octobre 2023
https://allah-las.bandcamp.com/album/zuma-85

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