On est face à l’église Saint Vincent de Paul. Décor gothique. On pourrait penser qu’il fait tout gris, mais non : le soleil le dispute aux nuages, tout en nuances. On s’évertue à chercher un Kas Product mythique, rêvé et fantasmé. On cherche des signes pour se rassurer : on commande des cafés, noirs évidemment. Car la musique de Kas Product est plus souvent en noir et blanc qu’en couleur. C’est un duo pourtant intensément humain, subtil et chaleureux qui se dévoile au cours de l’interview, et dont le cadre cold wave que les médias lui imposent avec paresse depuis ses débuts se révèle être aussi réducteur que de vouloir résumer Kas Product au célèbre single So Young But So Cold. Simples, sincères et enthousiastes, Mona Soyoc et Spatsz ont la modestie des génies qui s’ignorent. Une rencontre étonnante, qui en dépit de la récente réédition des deux premiers albums en vinyle, laisse tout de même le goût de l’inachevé : quelques silences complices à certaines des questions dissimulent sans doute de nombreux secrets du produit Kas, qu’une mise à jour de la biographie « officielle » prévue cette année dévoilera peut-être, avec la publication prochaine de Kas Product – So Young But So Cold par Bertrand Lamargelle aux Editions du Camion Blanc. Kas Product, comme Kool As Shit ?
Repartir en tournée 25 ans après la dernière, ça fait quel effet ?
Mona Soyoc : Très excitant, et très amusant de revisiter ce qu’on a fait quand on avait 20 ans. Aujourd’hui, Trente révolutions solaires plus tard, j’ai toujours la passion, mais j’ai l’attitude d’une femme, et pas celle d’une jeune femme. Une rebelle, mais plus consciente qu’avant.
Spatsz : Cette tournée, c’est un peu de hasard, mais aussi le résultat d’une demande. La dernière réédition de nos disques date de 2005, et les 4000 copies étaient épuisées depuis longtemps. On a créé un site internet récemment, on voulait faire juste quelques dates, et on nous en a proposé une quinzaine, et c’est tant mieux !
C’est la première tournée de la « reformation ». Est-ce qu’elle ressemble à la tournée de 1981 avec Marquis de Sade ?
Spatsz : Oui, dans le sens où on est encore dans l’autoproduction puisqu’on gère le matériel nous-mêmes. En 1981, c’est le manager de Marquis de Sade qui nous avait invités [ndr: Hervé Bordier, également fondateur des Transmusicales], après l’écoute de notre premier EP [ndr: « Take Me Tonight »]. Ca n’était pas du tout évident puisqu’on n’avait que des machines analogiques et que l’informatique n’existait pas du tout dans les années 80 : aucune mise en mémoire possible, par exemple. C’était un vrai challenge.
Nouvelle tournée veut dire résidence et mise en place scénique ?
Spatsz : Mona vit à L.A et moi en Lorraine. On a donc bossé un peu via internet avec Skype ! Mais la résidence de trois jours était nécessaire pour nous remettre au diapason.
Spatz, tu as gardé des machines/synthés depuis les années 80 ?
Spatsz : Entre l’humidité, les déménagements, et les accidents de voiture, certaines machines n’ont pas tenu le coup ! Il m’en reste quand même beaucoup, mais je ne les utilise pas sur scène, pour des raisons logistiques. Je sample mes sons, et la synthèse virtuelle me permet facilement d’approcher le son de l’époque.
Mona Soyoc : Et puis, tu sais, Kas Product, c’était une énergie, aussi, pas seulement un son.
Spatsz : Et 25 ans plus tard, on n’a pas de mal à retrouver cette énergie, dès l’instant qu’on est ensemble.
Mona Soyoc : C’est le secret de l’entité Kas Product : deux personnalités parfois opposées, dont la rencontre crée un son et une énergie.
Vous aviez tous les deux envie de remonter sur scène ?
Spatsz : Oui ! On s’est revus à Nancy en 2011 au festival Souterrain Porte VI. Et puisqu’on savait qu’on allait rééditer nos deux premiers albums, on a voulu refaire des concerts.
Quelle était la réaction du public au début de Kas Product ?
Mona Soyoc : Sur scène, c’était une boîte à rythmes et des synthés, et certains trouvaient même ça ridicule. Mais pour nous, c’était une évolution naturelle : on a commencé avec des musiciens mais ils ne venaient jamais en répét, ou ils avaient pris trop de drogues et s’endormaient sur les instruments ! Du coup, on s’est repliés en duo et on jouait en appartement. On branchait tout à travers un seul gros baffle et le son explosait littéralement : c’est là qu’on a trouvé notre énergie.
Quelle est justement la part de contrainte dans le son de Kas Product ? Dans une interview publié sur ce site, Luis Vasquez, le chanteur de The Soft Moon, m’expliquait qu’à cause de ses voisins d’immeuble, il a été obligé de susurrer ses parties vocales, puis de ré-enregistrer une nouvelle piste par-dessus une fois en studio.
Spatsz : On s’est isolés à la campagne pour éviter de déranger les gens, et on a pu s’exprimer librement en mettant tout à fond. On a toujours essayé d’éviter les contraintes.
Se passer de musiciens, refuser batterie et basse : Kas Product s’est donc construit sur des choix conscients ? Vous n’étiez pas limités par les instruments de l’époque ?
Spatsz : Si : Kas Product est la résultante de beaucoup de choses, notamment le fait qu’on ne trouvait que des synthés monophoniques, des boîtes à rythmes simples, des séquenceurs manuels. J’avais déjà un synthé – un Korg Maxikorg 800DV – acheté en 1977. Ca représentait tout de même plusieurs mois de salaire, et il fallait faire un emprunt pour se l’offrir ! Je suis même allé travailler en Amérique du Sud pour gagner plus d’argent, grâce à la prime d’éloignement, et m’en payer un deuxième : un Korg 770S. Par la suite, on a acheté les séries MS-10 et MS-20 chez Korg. Notre première boîte à rythmes, la Roland CR-78, était très limitée puisque qu’elle n’offrait que quatre motifs rythmiques programmables en temps réel.
Mona Soyoc : Moi, je n’avais qu’une guitare bas de gamme achetée au supermarché, branchée sur un mini-ampli Vox Escort de seulement 2,5W, et relié à l’enceinte d’une chaîne Bang & Olufsen.
Spatsz : Ca faisait un son hyper sharp et brillant, sans corps et sans basses : un son très métallique.
Ca devait être compliqué de reproduire le son en studio et sur scène ?
Spatsz : On commençait par une improvisation ou une recherche de sons enregistrée sur cassette, qu’on réécoutait plus tard. On devait aussi mémoriser nos réglages sur papier. C’était fastidieux mais un réel plaisir. Et ça n’avait rien à voir avec la manière actuelle de travailler.
Dans les années 80, Kas Product était généralement associé à la cold-wave, la new-wave et le post-punk. Vous vous sentiez faire partie d’un courant musical ?
Mona Soyoc : Je ne pense pas qu’on puisse nous déterminer musicalement.
Spatsz : Ca n’a pas beaucoup de sens… On a fait un concert au Dancetaria de New York en 1983 et les gens parlaient déjà de French Touch !
Pourtant au XXI ème siècle les gens continuent à faire paraître des morceaux de Kas Product sur des compilations cold-wave, jusqu’à utiliser un de vos titres pour le nom de l’une d’entre elles (So Young But So Cold).
Mona Soyoc : Je pense que dans les années 80, on venait du futur, voilà l’explication.
Spatsz : On a été téléportés par hasard à Nancy !
Nancy, c’est justement la ville de Kas Product. Quelques mots sur cette ville ?
Spatsz : A l’époque des deux premiers albums (« Try Out » et « By Pass »), Nancy c’était la grisaille de la Lorraine industrielle.
Mona Soyoc : J’ai le point de vue d’une étrangère qu’on a catapultée dans un environnement très particulier. J’ai vécu un énorme choc culturel : c’est très froid, et les gens ont un manque de curiosité. On y trouve les traces de la Seconde Guerre mondiale, à la fois morales et physiques : des impacts de balle sur des maisons abandonnées, mais aussi une tendance chez les jeunes générations à parler de boches pour les Allemands !
Pourtant, dans une interview donnée à la TV française en 1987, tu disais « Partout où je vais, je suis chez moi« .
Mona Soyoc : C’est vrai, même s’il a fallu que je m’acclimate à chaque fois. Je suis née aux Etats-Unis, puis j’ai vécu en Argentine et en France. J’ai un passeport américain et un passeport français. Au final, je ne suis pas attachée à une identité culturelle ou ethnique, et c’est un avantage. Enfin je crois que maintenant j’aimerais me poser quelque part.
Et toi, Spatsz, tu sembles plus sédentaire, plus attaché à Nancy ?
Spatsz : J’ai une base de vie en Lorraine, sans pour autant être sédentaire : je bouge régulièrement pour mes activités musicales. A Nancy, c’est particulier : d’un côté on nous aime bien, et d’un autre, on nous rejette. Nul n’est prophète en son pays…
D’où vient le nom Kas Product ? C’est une info assez difficile à trouver…
Mona Soyoc : On habitait avec un ami à l’époque et on répétait dans sa chambre. Il adorait l’art allemand et notamment l’expressionnisme et le mouvement bauhaus. Sur un de ses bouquins d’art, on a vu les trois lettres K-A-S avec ce lettrage.
Spatsz : Le mot Product vient de l’ampli de Mona sur lequel était écrit A VOX PRODUCT.
Mona Soyoc : Des journalistes anglais nous ont demandé si KAS ne voulait pas dire « Kool As Shit » !
Spatsz : On s’est aussi rendu compte a posteriori qu’en mettant la typo KAS à l’envers, ça donne SEX…
Ca doit être un signe, de l’ordre de l’inconscient ? A mettre en parallèle avec ton passé d’infirmier psychiatrique ?
Spatsz : J’ai travaillé deux ans comme infirmier psychiatrique et j’ai arrêté du jour au lendemain quand on a décidé de faire Kas Product. J’ai pour habitude de ne vivre que des expériences très courtes, qui l’une après l’autre font ma vie. Mais en réalité, on n’a jamais vraiment arrêté Kas Product : on l’a mis en stand by, et il y a eu plusieurs renaissances, dont la dernière en 2012.
Tu crois que d’anciens patients de ton centre psychiatrique connaissent et écoutent Kas Product ? Comme dans cette vidéo assez troublante du concert des Cramps dans un hôpital psychiatrique (« Live At Napa State Hospital ») ?
Spatsz : Franchement, mes patients étaient dans d’autres sphères, et n’avaient sans doute aucune conscience de ce qu’était la musique, malheureusement… On voit bien sur la vidéo des Cramps que les gens sont complètement ailleurs.
La psychiatrie des années 70 et 80 n’était pas la même qu’aujourd’hui : on était dans l’après-guerre, avec beaucoup de problèmes de consanguinité due à l’alcoolisme, ce qui compliquait vraiment la situation. Les patients étaient dans des pavillons fermés, et seuls les soignants pouvaient y entrer et sortir… Je préfère arrêter d’en parler, parce que c’est un sujet très sensible pour moi : ce qui se passait à l’époque n’était pas très sain… Depuis on a heureusement trouvé d’autres thérapies que l’emprisonnement…
Et Kas Product est-il une thérapie pour vous ? Notamment sur scène ?
Mona Soyoc : Kas Product fait partie de moi et ne demande qu’à s’exprimer. Mais je ne crois pas que ce soit thérapeutique. J’ai plein d’autres façons de m’exprimer, et ce projet est une forme de contribution à la musique.
Spatsz : Exactement : le musique est un vecteur qui va vers les gens. C’est une expression vers l’extérieur, et non pas une introspection. C’est comme jeter de la peinture sur une toile.
Mona Soyoc : Oui, je vois Kas Product comme une manière d’incarner des personnages, et des histoires qui ne sont pas forcément les miennes. Une exploration de mondes morphogéniques !
Qui est le public de Kas Product en 2013 ?
Spatsz : On rencontre le public après les concerts, et il y a un peu de tout au niveau générationnel, mais pas mal de jeunes. Au concert de Berlin, c’était exclusivement des jeunes !
Mona Soyoc : J’ai signé mon premier autographe à Lille, pour une fillette de 9 ans ! Une spectatrice qui a l’âge de mes enfants, et à côté d’elle, des vieux fans aux cheveux grisonnants. L’important c’est qu’ils prennent tous leur pied !
Et vous, vous prenez votre pied ?
Les deux : Absolument !
Kas Product // Rééditions CD/vinyle « Try Out » et By Pass // More Over (Ici d’Ailleurs)
http://www.kasproduct.com/
Portraits : Cecilia Sparano
3 commentaires
Classos.
Ils sont vraiment beaux,.
Faut arrêter de dire des mensonges. J’ai vécu avec le spastz j’ai été malade (psychose post-partum), il ne s’est aperçu de rien et n’a contacté aucun médecin pour me faire soigner. Le Spatsz n’a jamais été infirmier psychiatrique
Tout mon respect pour leur travail mais il faut arrêter de dire des conneries