James Chance joue encore ces jours-ci son funk blanc d'un autre temps, mais sans contorsions. L'occasion pour Pierre Mikaïloff de nous relater sa version des faits.

James Chance joue encore ces jours-ci son funk blanc d’un autre temps, mais sans contorsions. L’occasion pour Pierre Mikaïloff de nous relater sa version des faits.

A l’époque où je bossais encore en équipe de nuit, avec Lenz, après le boulot, on avait l’habitude d’aller attendre l’aube chez Connie et Anna, deux sœurs qui vivaient à trois blocs de l’usine. Elles nous resservaient en whisky jusqu’à ce qu’on s’effondre. Parfois, quand elles jugeaient qu’on pouvait encore servir à quelque chose, elles nous entraînaient dans leurs chambres. Moi, je préférais Connie, elle avait un pick up et des gros seins. Connie, pendant qu’on baisait, passait toujours ce foutu disque, un truc fait par des intellos du Bowery. D’habitude, j’adhérais pas trop à ces machins un peu arty, mais, bon, il y avait la poitrine de Connie, et puis leur musique était quand même O.K.

Un après-midi, en me réveillant, j’ai regardé machinalement la pochette du disque. Le type était bien comme je l’imaginais. Un branché, le genre à passer ses nuits au CeeBee, sapé en zoot suit, avec un air triste. Et puis, il avait ce regard perdu, à la Chet Baker… Une tête à finir chez Jim Jarmush, quoi… C’était ça, il ressemblait au personnage de Permanent Vacation !

J’ai plus trop entendu parler de lui par la suite, d’autant qu’avec Lenz, on a de moins en moins fréquenté les sœurs Phibbs (ouais, c’était leur nom de famille). Aussi, j’ai trouvé rigolo de recevoir ce coup de fil de Lenz, hier soir. Lenz est en vacances en Europe, ces jours-ci. Je me demande bien ce qu’il est allé foutre là-bas ? Lenz a toujours aimé péter plus haut que son cul. Déjà à l’époque des sœurs Phibbs, il était toujours en train de parler de ces nouveaux groupes anglais, parfois, il employait même des mots français dans la conversation. Un vrai foutriquet ! Bon, voilà donc mon Lenz, tout essoufflé, qui me raconte qu’il est à Paris, qu’il sort à l’instant d’un club, et qu’il vient de voir James Chance. « Mais si, James Chance ! il insiste. Les sœurs Phibbs… Tu sais bien !… »

J’ai réfléchi un instant, et ça m’est revenu d’un coup : le type au regard triste !

– « Oui, O.K., et alors ?… que je lui fais. Tu m’appelles pour me dire ça ?

– Mais tu comprends pas ? C’était comme si j’avais fait un voyage dans le temps de trente ans en arrière ! Ce mec était là, devant moi, avec la veste lamée or de Liberace, il…

– Lenz, que je lui fais… Qu’est-ce que vient foutre Liberace là-dedans ?

– Trop long à t’expliquer !… Il aurait fallu que tu sois là, que tu vois, que tu entendes…

– Ouais ?

– Il chante toujours avec cette voix fêlée, il balance toujours ses solos avec la hargne d’un grizzli surpris dans son sommeil, il…

– Un grizzli surpris dans son sommeil ? Mais c’est grotesque !… T’es sûr que ça va, Lenz ? Tu t’es réabonné à Rolling Stone ou quoi ? Tu crois pas que tu devrais aller dormir un peu ?

– Et puis, et puis… Tu sais quoi ?…

– Je t’écoute Lenz ! Tu sais que j’aime pas tes devinettes à la con ! Alors, vas-y, finis ta phrase…

– Il… Il m’a collé un pain !

– Ouais. C’était bon ? T’as pris ton pied ?

– Mais c’est un concept !

– Un pain dans la gueule « conceptuel », ouais, ouais, ouais… Continue, je t’écoute…

– C’était tellement fun !… Tu sais, ce type a toujours aimé se battre avec le public, il utilisait ce vieux truc pour susciter des réactions quand il a commencé, et puis, quand les gens sont venus à ses concerts dans le seul but de se fritter, il a arrêté. Ça devenait trop malsain.

– Putain, Lenz ! Tu t’es payé des vacances à 5000 $, en Europe, juste pour aller te prendre un pain de James Chance ?… Des fois, Lenz, je me demande ce qui cloche chez toi… »

http://www.myspace.com/jameschanceeuropetour

Photo: Audrey Cerdan
Illustration: Jüül

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