Jacques Sirgent est un freak comme on les aime : ancien professeur spécialisé dans la littérature gothique anglo-saxonne, il a tout lâché il y a une vingtaine d’années pour ouvrir un très underground musée des vampires et des monstres de l’imaginaire dans son pavillon de banlieue aux Lilas, dans le 93. Et devenir l’unique vampirologue de France.  

« Ah, c’est aujourd’hui qu’on avait rendez-vous ? Mince, j’ai dû confondre avec RFI la semaine prochaine ! » Jacques Sirgent est un homme occupé. La soixantaine, habillé en noir de pied en cap, une pile de ses livres écornés sous le bras, il parle avec un débit d’arbalète automatique et jette des regards furtifs derrière ses petites lunettes. Auteur de seize ouvrages consacrés aux vampires ou aux lieux hantés de Paris, il en prépare actuellement un sur l’Inquisition et a été le premier à traduire Dracula dans sa version intégrale. Aujourd’hui, le patron du musée des vampires, petite boutique des horreurs qu’il ouvre sur demande, embarque un groupe de curieux à travers le cimetière du Père-Lachaise. Une ville dans la ville qu’il connaît comme sa poche et dont il étudie les moindres recoins avec une précision quasiment maniaque. Et ça n’a rien d’une visite guidée de chez BilletReduc.com : c’est un aller simple vers la quatrième dimension dans laquelle il déroule, entre érudition et fantasmagorie, une série de récits étranges plus ou moins sérieux ou farfelus…  

Mais pas question pour l’historien d’effrayer les mômes avec des crocs en plastique : il lutte au contraire contre la peur et la bêtise. Un intarissable puits de sciences qu’on a parfois du mal à suivre mais qui reste toujours passionnant, plus proche du gardien sympa des Contes de la crypte que du pompeux professeur Van Helsing. 

(C) Amanda Rougier

Comment devient-on vampirologue ? 

En s’intéressant très tôt, dès l’âge de 7 ans, à la nature du mal. J’ai été élevé à la dure, frappé au sens propre comme au figuré, par les incohérences de la religion catholique et par l’injustice. À l’école catholique rigoriste irlandaise dans laquelle j’étudiais, au Canada, nous devions faire des prières silencieuses : il fallait fermer les yeux, pendant une demi-heure, et on nous notait sur l’expression du visage. Si on ouvrait les yeux, c’était un péché mortel. J’ai pris le risque un jour de le faire, et j’ai vu les gamins autour de moi, tous en extase. Voilà pourquoi ils avaient de bonnes notes. L’hypocrisie et la lâcheté… Plus tard, à l’université, je me suis spécialisé dans la nature du mal. 

C’est en voyant le Nosferatu de Murnau, enfant, que vous avez eu une révélation ? 

Oui, sûrement car il était ouvertement sympa, et malheureux. Ensuite, j’ai lu énormément, en moyenne un bouquin par jour. Mes premiers héros étaient le comte de Monte-Cristo, Arsène Lupin, et les personnages de Balzac. 

À l’université, vous prenez comme sujets d’étude l’étymologie du mot Dracula, la personnification du mal, le diabolisme… On devait vous prendre pour un original, non ?

Non, pas du tout. Ou peut-être au début. En revanche, j’ai choisi de faire un master sur le diable chez Barbey d’Aurevilly, et même les profs de lettres ne le connaissaient pas. 

« Je défends l’idée du vampire positif. » 

Pour vous, le vampire représente la liberté absolue ? 

Et le bonheur, aussi. Il n’a pas d’âme, mais cela n’en fait pas un monstre. L’âme, je n’aime pas. C’est fait pour nous culpabiliser. Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les vampires, mais les gens qui les ont créés, et pourquoi. Le vampire est celui qui symbolise tout, auquel tout le monde peut s’identifier. Je défends l’idée du vampire positif.  

(C) Amanda Rougier

Quand avez-vous commencé à rassembler la collection que vous présentez dans votre musée ? 

La première pièce, je l’ai trouvée quand j’avais 10 ans. Il s’agit d’une affiche originale de Dracula et les femmes. Au début, je rassemblais surtout des affiches de films et des livres. Quand j’ai ouvert le musée, je n’avais pas grand-chose. J’ai étoffé la collection au fil des ans. Ma bibliothèque est unique au monde, avec de vieux grimoires.  

Dracula et les femmes |

C’est votre collection de livres dont vous êtes le plus fier ? 

Non. Avant de mourir, mon grand-père, qui était un sculpteur italien assez connu, m’a fabriqué un miroir anti-vampires, avec du plâtre qu’il a vieilli artificiellement. Le miroir a 40 ans, et pourtant, on dirait qu’il a trois siècles. Je suis aussi fier des bouquins que j’ai écrits. Je ne dis pas ça par forfanterie. Je n’avais jamais rien écrit, et je m’y suis mis à 50 ans. 

Comment avez-vous mis la main sur cette machine à écrire qui aurait appartenu à Bram Stoker [l’auteur du roman Dracula en 1897, NdlR] ? 

J’étais à Lausanne. Une ville très ésotérique, avec beaucoup de gens qui s’intéressent à l’occultisme, et des loges maçonniques très portées là-dessus. Je suis passé devant la vitrine d’un antiquaire et j’ai vu cette machine à écrire, à côté d’un kit anti-vampires. J’ai acheté les deux pour seulement 800 francs suisses. J’ai été étonné qu’on me la vende comme une machine de Bram Stoker car à l’époque, tout le monde s’en moquait. L’antiquaire aurait mieux fait de la présenter comme celle de Jean-Paul Sartre. Mais je l’ai cru, et j’ai comparé avec les machines que Stoker utilisait, et c’était bien un des modèles dont il se servait.  

 « J’ai reçu la visite des services secrets israéliens qui pensaient que j’étais un néonazi […] et puis aussi Christophe de Margerie, l’ancien PDG de Total. » 

Il paraît que vous avez reçu de la visite à l’ouverture du musée. 

L’archevêché de Paris a débarqué en force. Ils ont une commission, « Croyances nouvelles et dérives sectaires », qui se déplace à chaque fois qu’ils suspectent une secte. J’ai dû avoir les services secrets israéliens, qui pensaient que j’étais un néonazi. Le ministère de la Culture, aussi. Et des journalistes, bien sûr. Les premiers articles étaient un peu humoristiques. Après, c’est devenu sérieux. Ah, c’est l’heure de la visite, allons-y ! C’est plus que complet aujourd’hui, j’ai dix-huit participants. 

(Après une visite du Père-Lachaise de trois heures pour le moins ésotérique, on poursuit l’interview dans un restaurant chinois désert devant un cocktail maison de bienvenue fluorescent non moins surnaturel.) 

(C) Amanda Rougier

Vous est-il arrivé de recevoir des VIP ? 

J’ai eu deux tueurs en série qui sortaient de prison, je l’ai appris après. Un directeur des effets spéciaux de Star Wars est aussi venu. Et puis aussi, bizarrement, Christophe de Margerie, le PDG de Total, avec toute sa famille, quelques années avant sa disparition.  

Tout à l’heure au cimetière, vous avez dit ne pas aimer Le Bal des vampires, pourquoi ? 

Parce qu’il est uniquement à charge. J’ai donné une conférence il y a quelques années avec Roman Polanski [à l’occasion de la comédie musicale tirée du film, au Théâtre Mogador, NdlR]. On lui demande pourquoi il a fait le film, il répond en me désignant : « Demandez à l’autre, là, il est spécialiste. » Il fait un beau film, mais il n’y connaît rien. Il n’y a pas d’âme là-dedans !   

Vous avancez que Paris est la ville la plus hantée du monde. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? 

Paris a toujours été une ville pleine de magie, de sorciers… L’affaire des poisons est unique au monde [une série de scandales intervenus sous le règne de Louis XIV, NdlR]. L’affaire des convulsionnaires, au XVIIIe siècle, où des femmes entraient en transe dans les rues de Paris, aussi. Les plus grands occultistes sont français : Allan Kardec, Papus, Jules Bois, sans oublier la plus grande cartomancienne du XVIIIe siècle, Marie-Anne Lenormand… Mitterrand consultait Madame Soleil et Élizabeth Teissier… Ce n’est pas à Londres, ce n’est pas à Rome, c’est à Paris !  

Pour réserver une visite du musée ou du Père-Lachaise : sous-les-paves.com   

Photographies : Amanda Rougier

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