Tour à tour hypnotique et complètement impersonnel, vulgairement mainstream et profondément indie dans son ADN, le premier album du new-yorkais cristallise en 40 minutes la pop synthétique telle que les nostalgiques des Beach Boys n’en écoute plus depuis l’industrialisation du préservatif. « True Loves » n’est d’ailleurs rien d’autre que ça : le gout d’une capote en plastique avec de l’amour à l’intérieur.

Hooray for Earth, un nom vraiment pas commun quand on n’a pas pour ambition de sauver la planète. Est-ce une oeillade à Dieu, un hommage à Mère nature? Par cette froide journée de décembre, je décide de faire l’impasse sur la question. Ce matin là, Paris accueille six mois après tout le monde Noel Heroux, tête pensante d’un groupe dont il est du reste le seul cerveau, pour la promo de son premier album déjà sorti partout ailleurs. Ne pas trop se claquer les neurones sur ce pourquoi du comment ; un pays où David Guetta squatte le podium des relevés SACEM[1] se colonise forcément en dernier. Passons sur cet atypique lien historique entre la France et la pop culture, faisons fi de cette incapacité pour le gaulois d’être considéré autrement que comme un pauvre du ghetto global et attardons nous sur l’essentiel : « True Loves » est une pièce montée synthétique de toute beauté, un mariage réussi entre le cortex et les processeurs. Keywords : Depeche Mode, hymnes de stade, Afrique fluo et cigarette électronique.

L’entretien s’avère décevant. En deçà des espérances pour être exact. Parce qu’après la dissection monomaniaque, six mois durant, de ce « True Loves » sans failles dont Last minute reste l’une de ces drogues érotico-robotiques telle que MGMT n’en a jamais fourni à ses clients, on est tout de même en droit de se demander comment tournent les synapses de Noel Heroux, trentenaire de Boston exilé à New York comme tous les Replicant de sa génération autant inspirés par Blade Runner que par Johnny Clegg. De Yeasayer à Vampire Weekend en passant par les deux nigauds de « Congratulations », la liste est trop longue pour vous perdre en conjectures. La force de cet amour véritable tel que Noel le décrit dans son micro filtré, c’est une science du refrain commercial apposé sur des structures mille-feuilles. Ca sent bon le carton des têtes de gondole, c’est parfumé à l’insouciance, c’est badigeonné d’antioxydant pour les circuits imprimés et le végétal baise parfois le synthétique à tel point que Realize it’s not the sun défonce facilement toutes les complaintes folk et naturistes qu’on subit par pack de six en allumant la radio.

Comme on l’aura compris, Noel Heroux ne pisse pas dans les violons. Face au dictaphone, c’est plus complexe. Le garçon est réservé, pour ne pas dire complètement humble et à des années lumières des starlettes à laptop qu’on voit déambuler sur Pitchfork[2] – où Hooray for Earth a tout de même obtenu une note de 7.9. Le succès international du disque – ailleurs qu’en France j’entends – ça le dépasse l’ami Noel : « Au moment d’enregistrer ces chansons, je ne pensais pas que cela deviendrait une telle affaire… C’est la première fois que le monde [extérieur, suppose-t-on] s’intéresse à mon travail, ce qui tombe plutôt bien parce qu’avec cet album c’est la première fois que je me dis que c’est exactement ce que je voulais faire. Jusque là, je trainais en studio sans vraiment savoir où je voulais aller ; « True Loves » c’est donc une sorte d’introduction ». Des intros comme celle de Bring us closer together, du genre à vous donner envie d’échanger les biscottes matinales contre un cours de fitness avec Martin Gore, on en boufferait bien tous les matins. La vérité, c’est qu’Hooray for Earth c’est Noel Heroux et vice et versa. Autant dire que le new-yorkais en a passé des nuits tout seul dans son mini-studio pour façonner ce qui ressemble à une chorale d’autistes branchés sur un groupe électrogène. La solitude des studios, il connaît. La lumière blafarde de l’écran aussi. Face à lui, un vieil ordinateur offert par papa quand Noel avait 6 ans, un logiciel rudimentaire pour le multipistes et des heures entières à se triturer l’esprit sur l’editing parfait, la chanson qui tue à couper au cordeau comme un joli revers de jean. « C’est vrai que la plupart du temps, je compose tout seul. Et contrairement à ce que les gens pensent, tout part d’une guitare que je planque sous les effets, que je désaccorde et qu’en définitive j’utilise comme un clavier. Quand les gens me disent que je fais de la synth-pop, ça me fait doucement sourire, moi je ne suis rien d’autre qu’un type qui bidouille sa guitare ». La suite ? Ouais, il y pense déjà. Il aimerait travailler avec d’autres humains, pouvoir s’appuyer sur d’autres musiciens que lui pour enrichir sa palette. La vérité, c’est que Noel est comme la plupart des kiddos de sa génération un control freak qui préfère peindre en solo plutôt que d’avoir à partager les crayons. « J’aimerais pouvoir me brancher un câble à l’intérieur de la tête pour expulser mes idées directement sur un ordinateur » dit-il en se marrant silencieusement, «  Les Paul a inventé le multitrack, moi j’aimerais bien pouvoir créer un câble USB neuronal, ça s’appellerait un soundcatcher! ». Le mot est intraduisible dans la langue de David Guetta, il résume à lui seul l’esprit de ce disque beau comme un Miami pixellisé.

Dans la pénombre de l’hôtel encore endormi, Noel a l’air un peu paumé. A mi-chemin entre Memory Tapes et MGMT, sa chillwave sous acide ne sait pas trop à qui donner la main. Ne pas trop chercher les références, au risque de se tromper de chemin. Le leader de Hooray for Earth – faudrait quand même qu’on m’explique le choix de ce nom – a grandi avec Nirvana, quelque part la meilleure définition de la pop music comme lui l’entend : « Une chanson pop, c’est avant tout une chanson mémorable, un truc dont on se souvient ». La pop c’est un premier souvenir, une émotion, un refrain qu’on répète à l’infini comme un mantra sans se soucier des millions d’autres couillons qui font pareil que vous un peu partout sur la planète pop. Nivellement par le bas et avènement de la culture de niche oblige, plus le temps passe et moins ces couturiers de la mélodie industrielle sont nombreux. Espace en voie d’extinction. Noel Heroux est peut-être l’un d’entre eux, il n’a pas la morgue des rockeurs de l’indie à qui le succès fait tant horreur et pas encore la grosse tête des stars de la pop à qui les excès ont enlevé toute ambition créative. « La notion du mainstream n’est d’ailleurs plus du tout la même qu’au siècle dernier » confie-t-il, « un groupe comme Arcade Fire a complètement révolutionné la perception de l’indie ; ils sont naturels, ils semblent honnêtes ; c’est probablement le premier groupe à avoir gagné un Grammy avec ce que j’appelle un vrai album, très loin du Billboard ». Il faudrait certes truquer les élections et probablement plus encore les ventes d’albums à la FNAC pour voir un jour Hooray for Earth supplanter la « synth-pop » consanguine et illettrée de LMFAO. On peut toujours espérer… mais en fait je crois qu’on s’en fout complètement.

L’interview touche à sa fin. Dehors il fait toujours froid mais force est d’admettre qu’on n’a plus grand chose à se dire. Comme souvent dans ce genre de situation, la rencontre se finit par une question banale sur cette pochette qui ne l’est pas moins, quelque part une parfaite déclinaison du test de Rorschach où chaque auditeur interprète le visuel à sa façon – perso je vois une grenouille tropicale mais ça aussi je crois qu’on s’en fout. « Je voulais une image imprécise » répond Noel, « quelque chose qui puisse évoquer tout et n’importe quoi. C’est à l’image de ma musique, que je ne parviens toujours à définir. Car je me sens toujours perdu à l’intérieur de mes créations ». Le voilà donc ce nouveau rêve américain, avec face à nous des gamins sans charisme et soucieux de s’évader du réel grâce à des drogues artificielles de marque Apple, Intel ou Steinberg. Une fois n’est pas coutume, la chute n’est pas à la hauteur du disque chroniqué. Tant pis. La pop américaine c’est comme les frites McCain, c’est ceux qui en parlent le moins qui en font souvent le plus.

Hooray For Earth // True Loves // Memphies Industries
http://hoorayforearth.net/

2 commentaires

  1. Etrange comme ton texte a aussi « le goût d’une capote en plastique avec de l’amour à l’intérieur ». Enfin, vue de l’esprit hein ! Et c’est vrai qu’il est bon ce disque de Hooray for Earth. Je crois que l’avenir (c’est un gros mot) de la pop music vient de ces gars au discours et au charisme limité et disons inversement proportionnel à leur force de création. Leurs chansons supplantent le « personnage » et c’est tant mieux.

    Sylvain
    http://www.parlhot.com

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