Aujourd'hui j'ai mis mon réveil à 18 h 00. Ça commence de plus en plus tôt les soirées Gonzaï. J'ai faim, j'ai pas petit déjeuné du coup, et je suis là, métro Ménilmontant, en bas de la rue du même nom. À force, la Maroquinerie est devenue mon Golgotha, mon Tourmalet.

M’y voici au pied encore une fois. Vais-je avoir le courage de me traîner la-haut une fois de plus, alors qu’il y a ce KFC juste là, qui m’aguiche avec ses fines senteurs ? Écartant le rêve d’une Gonzaï IX spéciale zouk love et les deux mains plongés dans un bon bucket de poulet sauce barbecue, j’affronte la côte en petit braquet. Car je sais que là-haut m’attend la fine sélection du meilleur de la musique actuelle.


Mais avant d’aller m’abreuver de délicieux sons, il me faut trouver Bester, histoire de quémander quelques jetons d’alcool. Je le découvre en gilet d’intérieur, bottes de gentleman farmer, les jambes couvertes de son habituel tablier de cuir : « Tiens mon brave, t’as fait quatre likes avec ton article sur Fleetwood Mac, c’est bien, voilà tes deux jetons. » Bien-aimé salaire des dures nuits de labeur, je te chéris, puis raisonnable, te troque contre quelques cocktails du meilleur goût au comptoir du bas. Ce qui me donne l’occasion de découvrir Egyptology. Avant d’y revenir, je précise ceci : ces jetons Jack Daniels, imposés à 50 % sur le taux de like par article, ne sont encaissables que dans le bar de la salle de concert, ce qui nous force, nous pigistes alcooliques, à descendre les marches, se prendre une vague de son féroce au double sas d’entrée de la salle, à se faufiler entre les corps moites de hipsters barbus pour enfin toper le barman, qui t’entend pas de toute manière puisqu’il porte des bouchons dans les oreilles, le sage homme.

J’ai assez peu de commentaires à faire sur la musique d’Egyptology, si ce n’est que ça m’a fait penser à des temples incas.

Mais se projeter sur trois mecs en tee-shirts, c’est toujours un peu difficile. Le port d’un pyramide en carton sur la tête, voire d’une petite chorégraphie égyptienne hiéroglyphique, aiderait — il me semble — à préciser l’atmosphère. Kamel Ouali a fait des choses très convaincantes dans ce domaine.
Je remonte à la surface, évidemment j’ai déjà dépensé tous mes jetons. Ne pensez pas que j’ai payé ma tournée, non, je suis simplement alcoolique. Je plaisante. Mais à s’enchaîner tout seul des tournées de trois verres à la fois, on finit vite effectivement par mimer l’albatros dans les foules de concert. Mais trêve de plaisanterie. Voilà que je vois, assis à une table, une brochette de furieux rockers de deux mètres de haut (même assis), les cheveux comme des crinières. Et là, effectivement, à côté de ça, on a tous l’air de métrosexuels. Sauf Bester, évidemment. Aqua Nebula Oscillator, pour le coup, c’est plus difficile d’y projeter des rêveries à la con. Ici on est chez les stoners, ça gueule, ça sue, ça cogne, limite fantasy moyenâgeuse à la Conan le Barbare. Wow. À la fin du concert, ils rembarqueront tout leur matériel dans une sorte de corbillard noir. Empilé au-dessus de quelques roadies morts. Ça fout les jetons.

Nous arrivons dans la dernière ligne droite de cette article, ma foi fort bien construit.

Le rythme de trollage est bon, le patron sera content, je pense, de publier ça dans son magazine. Évidemment ça peut déraper, il pourrait arriver que je finisse par me troller moi-même, comme cela arrive si souvent, et qu’on perde tous pied. Heureusement, c’est l’heure de Silver Apples. Petit débrief avant ça : il fait bon, chemise ouverte, je ne suis pas trop mal depuis que j’aide un ami qui ne sait pas quoi faire des trois verres qu’il a dans la main. Donc je retourne dans la salle, en pleine forme. Et là, surprise.
Sur une sorte de pupitre, un lego de machines vintage carrées avec des fils dans tous les sens, une sorte de Eniac en modèle réduit, avec derrière ça un papy dont tu sens que son premier coup il l’a pas géré depuis un minitel. Et ne parlons même pas d’Internet. « Eh, il est marrant ce vieux« , me dis-je.

Finement observé, ne serait-ce que pour l’accoutrement : un chapeau avec une plume rose, un petit foulard coloré, tee-shirt noir et pantalon battle. La musique, je la découvre en même temps que vous, faut dire que si je suis chez Gonzaï c’est que j’entrave pas grand chose à la musique, et ça je pense que vous l’aurez déjà tous compris. Alors pour vous faire ressentir l’événement en des termes simples, disons que ça ressemblait à du Suicide en moins pénible. Tel était ma dernière réflexion avant de passer dans une autre dimension, le temps d’un concert génial.

Je vous passe les détails de la fin de soirée, notamment cette sorte de manifestation anti-Fleetwood Mac à cause de mon article. T’es tout seul mec, tout le monde aime Fleetwood Mac, tout le monde aime Queen, c’est ça qui est hardcore, c’est ça qui est bon. Je descends maintenant Ménilmontant en écoutant le dernier disque de Frank Ocean au casque, à travers les faubourg hideux dont on peine à imaginer qu’il faille en débourser 7000 € le mètre carré. Quelques enjambées plus tard me voici avec mon Do’mac à la main sur le terre-plein centrale du boulevard de Belleville – et autant dire que c’est pas pour rien que c’est la rue la moins chère du Monopoly. Couronnes, Darty, le quartier salafiste, le manège du gars super sympa, et puis des voitures de police partout, les pompiers, le Da Lat cerné. Pour en savoir plus, je me dirige vers le vendeur de chouchous. Voici son témoignage en exclusivité pour Gonzaï : « Y a deux types sur un scooter qui sont venus tirer 20 cartouches en automatique sur deux gars du quartier qu’on connaissait bien, c’est pas des gens d’ici qui on fait ça, c’est sûr. Ici tout le monde se connaît. » Tout ça, c’est pas très bon pour l’immobilier. Ce fut ma dernière réflexion de la soirée.

Réalisation vidéo : Xavier Reim
Interviews : Charles Sarraute
Illustration : Jüül

8 commentaires

  1. T’es arrivé à la bourre, Sigismund, tu as loupé le concert de Juan Trip, qui était le meilleur de la soirée. Je trouve un peu dommage de ne même pas le mentionner, surtout dans le cadre d’un [REPORTAGE].

  2. C’est dingue ce que mon gilet de fermier a pu déclencher comme réactions. Je suis le Charles Ingalls de la petite maison dans la Maroquinerie.

  3. He dis donc Hanschneckenbuhl, tu serais pas en train de remettre en cause mes talents de journaliste de reportage là ? J’ai crevé dans la montée ça arrive à tout le monde, en plus mon réveil n’a pas sonné

Répondre à Sylvia Hanschneckenbuhl Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages