"Mais qui de l'œuf ou de la poule a bien pu jouer le premier de  la musique électronique" ? Voilà un débat absolument inutile, aussi complexe et stérile que la couleur de la guitare

« Mais qui de l’œuf ou de la poule a bien pu jouer le premier de  la musique électronique » ? Voilà un débat absolument inutile, aussi complexe et stérile que la couleur de la guitare du cheval blanc d’Henri IV.

Pourtant, il y a quelques jours, un de nos gentils lecteurs clamait haut et fort que cette musique nous venait des frimas suédois, reléguant par un commentaire à la géographie péremptoire Luigi Rossolo et l’IRCAM aux poubelles de l’histoire. Délaisser les blouses blanches enfermées dans des labos expérimentaux ne règlera pas notre question de gallinacé alors, autant aller se promener dans le verger. Car c’est peut être du côté de la Big Apple que l’on peut tenter de tracer la genèse d’une musique synthétique et populaire.

1967. N-10 avant la ruée dans les brancards du premier Suicide. Dans la Rurh, la centrale électrique Kraftwerkienne n’est pas encore en construction, Ralf und Florian font encore joujou avec flutes traversières, piano et violons. Le parisien Pierre henry, encore très concret, se la tente jerk et pop messianique. Au même moment à New York un groupe commence à faire se trémousser des gamins sur des sons synthétiques. Leur nom est issu d’un poème de Yeats : les Silver Apples.

Au commencement, comme me le raconte le fondateur Simeon Coxe 33 ans plus tard, une simple idée saugrenue : « Je chantais dans un groupe de rock (The Overland Stage Electric Band, NDR) et les musiciens aimaient jouer de grandes impros instrumentales, histoire d’allonger le set. Moi, je n’avais rien d’autre à faire sur scène que de chercher à avoir l’air cool, donc je me suis mis à chercher un truc pour combler le vide. A l’époque je n’étais pas vraiment capable de jouer d’un instrument, du coup j’ai emprunté un oscillateur électronique à un de mes amis. Le concert suivant, je me suis branché et je me suis mis à balancer ces sons modernes dans la salle. Et voilà, je suis tout de suite devenu accro… Par contre le reste du groupe à détesté !» Tellement détesté que Simenon se retrouve vite en duo avec le batteur Danny Taylor avec la ferme envie de se servir de sa nouvelle trouvaille aux sons sortis de l’espace. Fauché comme les blés et sans connaissance des musiques expérimentales en cours, Coxe se fabrique alors son propre matériel avec plusieurs oscillateurs, des pièces de télégraphes et de radios de récupération. Avec Taylor, ils composent des morceaux de pop minimalistes qui forgent un style unique du, en grande partie, aux contraintes techniques de ses machines: « Le processus s’est imposé à nous à cause du nombre limité d’oscillateurs que je pouvais lancer sous forme de séquences avec mes pieds et mes mains. Mes lignes de basses et les schémas rythmiques que je produisais devaient se répéter à l’infini. A la place de jouer des beats classiques Danny a décidé de développer ses propres boucles et on a travaillé dans ce sens jusqu’à découvrir une harmonie avec mes textures de sons. Le plus simple a été de greffer des lignes mélodiques qui flottaient au dessus. »

Oscillations… sur le tube

Cahin caha, Silver Apples se taille une réputation suffisante pour signer sur un label de seconde zone, Kapp records, et sort un album qui reçoit des critiques suffisamment élogieuses pour rentrer dans le top 100 du Billboard. Leur single Oscillations se hissera même dans le top 10 de San Fransisco à une période où la concurrence fait rage. Malgré un marketing pour tenny boopers complètement décalé, le succès les entraine dans une tournée nationale pour One hit wonder. Plus dure sera la chute: « Le label n’était pas bien géré et en plus on a eu un procès avec la Pan Am qui nous fait exploser en plein vol ». C’est le cas de le dire. Pour la pochette de leur second album Contact, Danny et Simeon pose crânement dans la cabine d’un jet que la Pan American à mis a leur disposition, sans oublier de rajouter un sticker avec leur logo. Petit pied de nez qui leur coutera un bras, le back cover représente le groupe en surimpression devant un crash aérien. Les cravateux du transporteur voient rouge et envoient une cavalerie d’avocats à leur trousse. L’album est retiré des bacs et les marshalls font rentrer le groupe dans le rang: « Nous n’avions pas peur de nous faire arrêter si on se montrait en public. Par contre, on pouvait nous confisquer notre équipement à tout moment, ce qui est finalement arrivé à Danny sur la scène du Max’s Kansas city. J’avais été suffisamment prudent pour planquer mon matériel chez un ami mais, sans batterie, on ne pouvait rien faire. Avant le procès, on avait une relation normale avec notre maison de disques, au moins ils nous aidaient pour avoir de l’airplay radio et de la promo. Quand les ennuis ont commencé, il nous ont jeté comme si nous étions une grenade dégoupillée. On s’est bien payé l’enregistrement de The garden en espérant pouvoir le vendre à un autre label… mais nous étions devenus des intouchables. On a finit par laisser tomber. »

Danny Taylor déménage alors en Caroline du Nord où il devient représentant en waterbeds pendant que Coxe se retrouve vendeur de glace pendant un an. « Après j’ai fait du montage vidéo pour une chaîne TV où j’ai fini par être nommé reporter de terrain. Au final, je me suis fait viré parce que j’avais montré un père noël d’un centre commercial qui prenait des dessous de tables pour envoyer les gosses acheter des jouets et des sucreries dans les boutiques de la galerie marchande. Par la suite je me suis remis à la peinture et je dessinais des pubs pour des agences, j’ai même monté ma propre boite. »

Pendant ce temps là, le culte underground de Silver Apples a subitement pris forme sans que le duo ne s’en rende compte. Ce n’est qu’en 1996 que Simeon prend conscience par hasard du phénomène: « Un jour, je suis allé au vernissage new yorkais d’un ami artiste et j’ai été surpris d’entendre notre musique. Je n’avais aucune idée de l’ampleur que ça avait pris. Imaginez mon étonnement quand j’ai découvert qu’il existait des bootlegs, des tributes, qu’il y avait de la demande pour que l’on refasse des concerts. Du coup j’ai dépoussiéré mes oscillateurs et je suis parti sur la route avec d’autres batteurs, tout en cherchant à reprendre contact avec Danny.»

Un spectre au fond du ravin

Le savant fou de l’électronique reprend vie dans le milieu, en profite pour enregistrer un bon album avec Sonic boom des Spacemen 3 (Spectrum & Silver apples) et un titre avec Alan vega, fan absolu du groupe, sur un tribute au garage des Monks. La réunion des papys-font-de-la-proto-electro aboutit finalement en 1998 avec une série de concerts à NY et la sortie des bandes de The garden, troisième album inédit, retrouvé intact dans le grenier de Taylor. Mais on ne change pas une équipe qui perd, la liesse sera d’aussi courte durée qu’une oscillation. Un soir, sur le chemin du retour, le van du groupe sort de la route laissant Simeon et ses instruments en standby pour les deux années à venir. En 2005, c’est au tour de Taylor de choper la guigne, une crise cardiaque qui lui sera, comme on dit, fatale.
Depuis, Simeon a repris du poil de la machine et reproduit en solo les ondulations sonores des Silver Apples dans des concerts à haute teneur hypnotique et dansante. Et lorsque l’on lui demande de se justifier quant au fait d’avoir samplé les batteries de son défunt compagnon de scène, il n’y va pas par quatre chemins : « Pour moi, c’est plus étrange de jouer avec une autre batteur qu’avec des samples du jeu de Danny. J’aime à penser qu’il aurait aimer l’idée et mon public me dit souvent que je suis bien plus proche de l’esprit du groupe lorsque je joue seul, il n’y a rien de macabre là dedans. » Ces derniers temps, il prend aussi son temps pour composer et enregistrer. « C’est une série de chansons reliées les unes aux autres sur des fragments de vie de créatures mythiques, les argentas. Ça prend la tournure d’une saga ou d’un opéra mais je ne sais pas trop encore où ça va me mener. »

« Quel est ma couleur favorite ? Des Haricots rouges avec du riz, des saucisses et des crevettes, le tout assaisonnés d’ail et de poivre de Cayenne puis cuit à feu doux pendant environ deux heures. » Lorsqu’en guise de conclusion, on propose à Simeon de se poser une question puis d’y répondre, on se demande si la démarche de Coxe ne serait pas plus proche du pataphysicien que du scientifique technoïde, celle d’un original perdu au milieu d’un monde trop sérieux.

http://www.silverapples.com/
Photos: Fiston

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