Trois années sans nouvelle... On pensait Goldfrapp foutu, kaput. Faut dire qu'à l'écoute de « Head First », leur dernier album en date (la compilation, aimable certes, compte pour du beurre), la frange de fans du duo avait totalement décroché à l'écoute de cette farce: pâtée pour chien electro-pute sans aucune qualité, sans parler de la pochette qui, elle, nageait en plein dans les eaux régressives d'un cauchemar see-punk ; rose et bleue, vomitive à souhait. Ne manquait plus à cela que les dauphins, un symbole ésotérique et deux pyramides pour compléter le tableau. Quel ratage ! Et surtout, quelle déception...

Venant de ceux qui avaient eu le culot de passer d’une pastorale Morricone  – Hazlewood à la pop très finement travaillée et toujours un peu désenchantée de « Seventh Tree » (certaines personnes trouveraient, par exemple, triste à pleurer une mer chaude et limpide où batifoleraient des plagistes insouciants. Ces gens existent) via une synthèse en tous points réussie du glam-rock et de l’electro avec le bien nommé « Supernature » (ses tueries certifiées dancefloor que sont toujours Oh La La et Number One, le plus vicieux), la dorade était un peu duraille à avaler et le public comme la critique avait fatalement fini par les oublier… Jusqu’à ce qu’on nous mette récemment sous les mirettes la photo d’une blonde marchant difficilement devant les phares d’une voiture, l’air légèrement agacée, dans une jupe noire qu’enveloppe un gilet de même teinte… « Tales Of Us », le retour inespéré ! C’est la silhouette de Richard Hawley se découpant sous un ciel troué d’étoiles dans son « Truelove’s Gutter », après les sirènes maladroites et barnum négligé de « Lady Bridge ». Tout comme Hawley, Alison Goldfrapp et Will Gregory semblent avoir une vision non calculée de ce que devrait être, normalement, une carrière. C’est heureux.

Goldfrapp-Tales Of Us 30x30

Ainsi l’on découvre éberlué, la beauté ininterrompue de « Tales Of Us », album assez court pour être écouté en boucle, des nuits durant. En guise d’introduction : Jo, comme un flottement de piano tiré du Ces gens là de Brel (grande influence chez nos cousins anglais, chose qui n’en finit pas d’étonner) et le clin d’œil avéré ou non à Julee Cruise reprenant Summer Kisses Winter Tears pour le compte de Wenders il y a des lustres. Les bandes originales de films, un sujet qui tient à cœur dans la musicalité de nos iconoclastes favoris. Et pas sans fondement : dans une récente interview, un journaliste fantasmait sur le fait de remplacer Angelo Badalamenti par Goldfrapp pour une hypothétique bande originale de Lynch ;  Alison acceptait cette possibilité, certes, mais préférerait travailler sur un film d’horreur. Les journalistes ont de ces fantasmes de petites filles… En vrai,  Alison aurait aimé travailler avec Lee Hazlewood, lequel l’aurait approché quelque temps avant sa mort en vue d’une collaboration. On est en droit d’imaginer ce qu’aurait pu donner une telle collision  d’individualistes forcenés et se dire qu’au fond, les critiques de l’époque de « Felt Mountain » ont eu tort. Tort de ranger le groupe dans le même sac que Massive Attack, DJ Shadow et consort, ces aimables bourgeois salonards qui excitaient tant les babas des 90’s, bonnets de nuit qui finiront fans d’Archive… Rien à voir. Dans cet album, on redécouvre l’attirance du duo pour les histoires humaines, fictives ou non, voire un certain dépouillement franciscain. Comme cette dignité à ne pas trop exposer en public leur vie privée, leurs orientations… Par timidité peut-être, mais sans nul doute afin de surpasser la vulgarité ambiante, celle qui consiste à afficher actuellement sa sexualité comme s’il s’agissait d’une ultime provocation alors que tout cela rentre dans une norme terne et sans pertinence aucune.

Reste la musique, les chansons, la production : ce qui nous intéresse en général quand on écoute un disque. Chaque morceau porte un prénom, tous racontent une histoire, tout va droit au cœur. Laurel, Ulla, Thea, Clay, Annabel : des intimes que reconnaitront les sensibles. Des arpèges de guitares acoustiques soutenues par des cordes sublimes, un piano solitaire, quelques effets électroniques, le tout couvert par la voix adéquate d’Alison Goldfrapp. Que demander de plus a un été qui s’achève ?
Les fans de Lisa Germano, Divine Comedy, Lee Hazlewood et Judee Sill feraient bien de s’intéresser à ce sixième album, histoire de faire mentir (ou de devancer) les futurs archéologues qui dans quelques années se demanderont « Pourquoi cet album n’a pas eu le succès qu’il méritait ? ».
C’était en 2013, l’année se voulait transgressive, osée, et les romantiques incurables considérés comme ringards ou réactionnaires s’affranchissaient mutuellement, à voix basse, pour ne pas déranger la fête permanente et désormais obligatoire.

Goldfrapp // Tales of Us // Mute
http://goldfrapp.com/

7 commentaires

  1. « Head First », « pâtée pour chien electro-pute sans aucune qualité » ? Ah la la, je vous plains de ne pas être comme moi rempli de frissons en écoutant le titre éponyme. Quelque chose qui émeut au moins une personne ne peut pas être de la pâtée pour chien, et je suis content d’être de ce côté-là 🙂

  2. « Head first  » est l’album mal aimé de Goldfrapp .. injustement.Certains titres sont très réussis comme « Believer » , « head first » et les sublimes  » hunt  » et « voicething » .Cet album a été desservi par un choix raté des singles , faute à la maison de disque.

  3. Head first, c’est le pendant drôle et siroté à Tales of us! Les deux se complètent à merveille, vraiment. Il y a autant de cinétique dans l’un que dans l’autre. Et je ne trouve pas Tales of us plus en relation directe avec Felt Mountain que Supernature. Tales of us me semble (je l’écoute en écrivant) plus homogène, et plus romantique encore. Il y a vraiment eu une scission avec Seventh Tree où les axes des albums se sont faits plus prononcés. Je vois plus une décision à la Kate Bush à ne jamais se formaliser, et garder son identité. Et quel bonheur d’en profiter.

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