Le trio rouennais Servo signe son retour sur son nouvel album « Monsters ». Le groupe se relocalise cette fois-ci sur le continent avec les labels Le Cèpe et Exag Records. Globalement, ça sonne comme avant mais avec une approche plus hard encore qui tend désormais davantage vers l’indus. Et, bizarrement, vers la musique d’église aussi.
Pour la petite histoire, il y a quelques années de cela, la première fois que j’ai entendu parler de Servo je me suis dit quelque chose comme : « Putain, “Cerveau… Après Clavicule, Cheveu et Tibia, on va vraiment se coltiner toute l’anatomie du corps humain dans le circuit musical français ?! » Quand est-ce que cette scène hexagonale arrêtera de trouver des noms de groupe à coucher dehors qui semblent avoir été choisis uniquement pour faire marrer les potes lors d’une jam alcoolisée du type : “Eh, ce ne serait pas trop marrant si on montait un groupe qu’on appellerait Occiput ou Nez d’Ivrogne ?”. Merde alors, peut-être qu’un plateau les réunira tous un jour pour une affiche digne du polycopié d’un cours de SVT.
D’ailleurs, j’ai la mauvaise habitude de rechigner à aller écouter de la musique dont le nom me semble d’une banalité indicible si ce n’est une ridicule farce. Hélas, avec cette mentalité, j’étais passé à côté de deux articles de Gonzaï qui en parlent – d’autant que Servo a intégré un passage de notre critique d’ « Alien » dans son dossier de presse.
Puis, un midi, m’apprêtant à déjeuner, j’ai mis sur ma platine la compile « La Cueillette du Cèpe – Saison 1 » qui célèbre les cinq années d’existence du label au champignon. Je connais cette écurie plutôt bien mais, étonnamment, il y avait un morceau qui avait retenu particulièrement mon attention et qui excita ma curiosité. Je n’arrivais aucunement à savoir qui jouait. Je me suis alors péniblement levé pour checker cette pochette canon conçue par l’artiste-plasticienne Jaky La Brune afin de comprendre de qui, bougre, pouvait-il bien s’agir. Quel fut mon étonnement lorsqu’après avoir observé sur quel sillon du disque le bras mécanisé se trouvait, je découvris que j’écoutais une chanson de Servo, Day and Night Monsters précisément, issue du nouvel album. « Eh ben dis donc », ai-je articulé. Je me suis bien gouré sur leur compte.
Leur musique envoie du lourd, mine de rien. et ils ont certainement baptisé leur groupe comme cette chanson du Brian Jonestown Massacre dans laquelle tu te rends compte, une fois atteint, qu’une insupportable flûte siffle continuellement la mélodie en arrière-plan. À moins qu’il ne s’agisse d’une référence au servomoteur ?
Road to Rouen
Après ça, j’ai repris un peu de mon sérieux puisqu’un cruel sentiment de honte commençait à m’assaillir et je me suis mis, une fois ma pitance engloutie, à entreprendre quelques recherches. Alors voilà, il semble pertinent de rappeler qu’il s’agit en réalité d’un trio rouennais, ville dans laquelle évolue une scène aujourd’hui non négligeable dans le paysage musical national avec Dye Crap, Unschooling, We Hate You Please Die et même les juniors de Dirty Cloud.
Je ne vais pas répéter ce qui a déjà été précédemment noté par mes confrères, notamment qu’après le cold « The Lair of Gods », auto-produit par Servo en 2016, Fuzz Club leur a proposé de signer pour « Alien ». Par contre, j’étais dès la première écoute assez confus par les chœurs du premier album qui m’ont semblé provenir d’un documentaire sur la pédophilie au cœur du Vatican. Enfin bon, cela n’empêche que mise à part cette réflexion stérile, leur musique est plutôt bien foutue. Une voix qui semble provenir d’outre-tombe, caractérisée par une diction froide, nonchalante, incantatoire comme comminatoire certainement inspirée par Ian Curtis, qui vient se poser sur une instrumentation qui vacille, comme Jeanne d’Arc sur le bûcher, entre post-punk, psyché garage et expérimentations noise. Le deuxième album gagne en production et intègre davantage de phases stoner dans ses morceaux qui ne comptent pas plus de cinq lettres maximums mais qui en contrepartie durent en moyenne sept minutes.
Messe garage
Cela étant dit, il semble qu’aujourd’hui nous nous retrouvons ici même pour parler de « Monsters », leur nouveau venu, cette fois-ci sur Le Cèpe et Exag Records. Dans la musique, à l’instar de certaines autres pratiques artistiques, il y a l’intention de l’artiste, le message qu’il ou elle a souhaité véhiculer, mais aussi l’interprétation bien évidemment subjective de l’auditeur ou auditrice qui imaginera il ou elle-même un sens à ce qu’il ou elle perçoit. Ainsi, à l’écoute de « Monsters », mon premier ressenti a été le suivant : « Bordel ! Ces Rouennais nous balancent-ils sérieusement une messe garage ?! ». Enfin bon, pourquoi pas après tout ? Surtout à l’approche de Noël. « Les musiciens de Servo auraient-ils été enfants de chœur à la cathédrale Notre-Dame de Rouen ? », me suis-je ensuite surpris à penser. C’est vrai que la sonorité des chœurs, certainement réalisés au synthé sur le liturgique Interlude, rappelle indéniablement une musique cantique tout comme les nappes ambient de l’outro de Peaks.
Malgré cet aspect éminemment présent, sur le plan vocal, quand Arthur Pierre n’est pas en train de déclamer ses paroles comme un hooligan ou un dévot de cold-wave qui semble aggraver son timbre pour se donner un air menaçant, ça gueule plutôt comme sur du metal – ce genre musical qui lui aussi aime jouer les hérétiques. Par exemple, après l’intro d’église de Who Else Likes Surprises ?, le chanteur répète l’intitulé de la chanson à s’en faire péter les cordes vocales. Day and Night Monsters, qui m’avait d’emblée séduite, est quant à elle assez délirante et plutôt anxiogène. Mieux vaut ne pas se retrouver coincé dans l’ascenseur ou le métro avec cette chanson à l’atmosphère cauchemardesque dans les oreilles, crise d’angoisse assurée. Sur le plan instrumental, d’autres morceaux comme Island et l’intro de Glitch 2.1 semblent revêtir une dimension plus indus avec les expérimentations noise du trio que l’on peut, finalement, considérer comme plutôt réfléchi dans sa démarche. Plutôt bien vu, pour un groupe nommé Servo.
Le 16 mars, Servo ouvrira au 106 de Rouen pour Slift, coqueluche française du stoner psyché qui vient d’ailleurs d’enregistrer une nouvelle session sur KEXP à Seattle il y a peu. Avec une soirée qui réunit ces deux groupes, contrairement au public, les ORL de la région ne devraient pas chômer le lendemain.
1 commentaire
vive le supplice du collier!!!! … renseigne toi!!!!….