Que je pense à Gianni Coraini qui depuis trois décennies exerce bon an, mal an ses talents dans l’Italo-disco sous le nom de Ken Laszlo et d’une cinquantaine d’autres alias, ou encore à Laura Albert qui tira les ficelles du sulfureux pantin JT Leroy entre le milieu des années 90 et le milieu des années 2000, je ne peux m’empêcher d’associer l’usage du pseudonyme à une forme plus ou moins sévère de schizophrénie. Qui plus est, arpenter l’espace public sous couvert d’un nom d’emprunt paraît difficilement compatible avec un travail quotidien de personal branding qui veut que tes 500 contacts Facebook puissent en témoigner : dès que l’occasion se présente, tu es en mode méga-fiesta, grosse murge. Tu existes.

Chez Gonzaï, le choix de s’exprimer sous couvert de pseudonymes tient – entre autres vils calculs – de la nécessité de pouvoir balancer sereinement sur tout un tas de personnes avec lesquelles nous avons été, ou serons amenés, à travailler. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Mais en creusant un peu, on s’aperçoit qu’au-delà d’un besoin clairement identifié d’anonymat, rejaillissent d’autres aspirations telles que, par exemple, le désir de se débarrasser d’un nom de famille jugé incompatible avec une carrière artistique – il sera alors admis de substituer le patronyme de Cassel à celui de Crochon. Il peut également être question de dissimuler ses origines, voire de tenter de se donner une American credibility – concept dont la popularité ne s’est jamais démentie dans le milieu de la variété française. Enfin, il peut s’agir de revendiquer une identité plus proche de son moi profond que celle inscrite à l’état civil. Comme le déclara feu Anselm Strauss, qui fut en son temps sociologue américain : «Un nom est un vase dans lequel celui qui nomme verse ses évaluations conscientes ou inconscientes». Prolongeant la pensée de l’auteur, nous pouvons considérer que les prénoms « Jennifer » ou « Kevin » éveillent dans l’inconscient collectif un sentiment de misère culturelle indépassable. Dans un double mouvement allant dans le sens à la fois de la préservation de l’anonymat et de la révélation de son moi profond, l’usage d’un pseudonyme vient piper les dés.

En tant que (not so) digital native, mon usage du pseudonyme a débuté avec la découverte des chatrooms et autres merveilles communicationnelles du web 1.0. La recherche d’un pseudonyme a toujours relevé d’un besoin de cohérence avec mon moi profond – et par là, je n’entends pas nécessairement ajouter un _mon numéro de département à la fin dudit pseudo. J’avais quinze ans et une imagination empreinte de mes rudiments de culture musicale : j’étais Pixie, j’étais la reine de Caramail. Aujourd’hui, mon nom de plume provient de la rencontre de deux figures – l’une fictive, l’autre historique –  à mes yeux également admirables. Ces deux références font d’Ismène de Beauvoir le support potentiel d’un moi idéalisé. En ce sens, je revendique ma proximité avec la regrettée Lolo Ferrari qui considéra que le patronyme d’Eve Valois ne rendait pas suffisamment justice à sa sensualité débordante.

Le pseudonyme se fait alors création de soi  a.k.a autopoïèse. Alors que je suis dans la modération constante, Ismène de Beauvoir se permet un usage immodéré des jugements à l’emporte-pièce et de la mauvaise foi. Le recours au pseudonyme satisfait mes besoins de catharsis en m’autorisant, l’espace de 5.000 signes, à me faire garce prétentieuse. Ma satisfaction trouve pourtant ses limites dans ma difficulté à prononcer à voix haute un nom d’emprunt qui met si brillamment en lumière ma propension latente à la mégalomanie.

Être ou ne pas être une connasse schizophrène, là est la question que je n’ai aucunement l’intention de résoudre. D’ailleurs, il est temps de me trouver une poignée de nouveaux alias afin d’alimenter en insultes stériles les pages de ce site.

Agathe a.k.a Ismène de Beauvoir

6 commentaires

  1. Ah! une autre adepte de Pixie et Caramail !
    Bon au dela de ça, je suis d’accord avec toi sur la construction d’une identité qui colle avec un nom ou le contraire peut être.
    je déteste l’intimité des commentaires de blogs, mais dans ce petit espace, je souhaite te dire que je trouve ton propos fort juste, d’autant plus que signant sous le pseudonyme de kaellane, j’ai moi même pris bcp de plaisir à construire l’idée symbolique qui va avec la personne.

    Bien à couvertement votre

  2. Avatar, schizophrénie, pseudonyme…
    Le pseudonyme cache.
    l’avatar, c’est déjà une projection de soi dans un autre, autre qui sert de paravent mais aussi de para-soi, plus qu’un masque : un personnage.
    Et la schizophrénie qui entretiendrait que derrière tout avatar, et pire derrière tout pseudo, il y aurait une implication personnelle.

    Et partant une difficulté à savoir qui l’on est vraiment : son soi avec son nom apporté par autrui (les parents) ou son autrui avec son nom construit par soi.

    Votre billet, chère Agathe, ne vous cache pas, et ne laisse pas accroire que vous souffriez d’une quelconque schizophrénie lorsque votre clavier emprunte « Ismène de Beauvoir » pour signer vos contributions.
    Vous semblez bien au contraire gérer parfaitement ce pseudonyme (une protection nécessaire, qui sait si je ne travaillerais pas un jour avec celui que je déboulonne).
    Un peu de talent et d’imagination nous fait souvent transformer l’opportunité d’usage d’un pseudonyme en développement d’un avatar, personnage de clavier dans lequel nous investissons un caractère, un style, des intentions, qui ne sont pas totalement nous mais qui sont souvent totalement nôtres. Une sorte d’hyperbole d’une partie de notre réalité humaine, devenue le temps de quelques clavardages le tout d’une réalité virtuelle mais qui parait tellement réelle.

    Tenez, prenez le personnage que j’ai créé sous le nom de Mario Cavallero Jr, artiste multimédia : il fut d’abord conçu (comme d’autres auparavant : Jean-Pierre Chaubert en 1989, Jean-Claude Strateger dix ans plus tard, et d’autres) en tant que personnage de fiction pour jouer des rôles dans la vraie vie : canulars, scènettes, mystifications. Certes, les fanzines puis Internet leur ont offert des carrières dans l’écriture, et je m’y suis caché pour y délivrer des messages personnels. Mais j’ai investis d’abord ces personnages, en les caractérisant. Puis je les kidnappe en les utilisant comme pseudonymes (parce qu’il faut bien savoir qu’avec ce que je peux balancer, mieux vaut cacher mon nom pour ne pas nuire à mon austère métier).

    Mais de schizophrénie : jamais. D’ailleurs, longtemps je ne signais sur Internet mes commentaires par mon prénom (Christophe), puis, depuis un an ou deux, j’ai joins aka Mario parce que certains des lecteurs avaient besoin de faire le lien entre moi (Christophe) et le personnage qui développe un sens du mauvais goût assez caractéristique (Mario Cavallero Jr, donc).

    Brefle, tout ceci pour dire que mon parcours vers les pseudos et les avatars a pris d’autres chemins, mais que, Internet faisant, il m’est quand même bien pratique d’user des personnages de fiction que je crée (poète je suis, alors) pour endosser leur nom le temps de quelques billets et commentaires.
    Pas d’autopoïèse, donc, mais une récupération à mon propre compte de mes fictions qui revient souvent au même résultat.

    Schizophrénie en moins !

    De vous lire,

    Christophe, alias Mario Cavallero Jr, artiste multimedia, aka Jean-Pierre Chaubert, également connu autrefois sous le nom de JCS, aka…

  3. Nous avons plusieurs existences amis, taf, réseaux, couple, et presque autant de pseudos et surnoms. Parfois on choisit et on souligne un truc de notre personnalité que l’on veut mettre en avant, parfois les autres choisissent pour nous parceque, de façon amicale ou pas, ça exprime une certaine idée du regard qu’il porte sur nous.
    As Know As ou disons Blazes Sur Blazes.
    Je retourne au large m’en griller une.

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