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11 février 2025

Avec son nouvel album, Biche chasse la mauvaise pop française

@Greg Ponthus

Avec « B.I.C.H.E. », un deuxième album plus audacieux et maîtrisé, la formation menée par Alexis Fugain braque la pop française en explorant un terrain plus motorik et minimaliste grandement inspiré par la musique anglaise des années 90.

Au début, Alexis ne savait pas quoi dire. Ni quoi faire. Mais il ne voulait pas se laisser aller en se branlant les couilles sans faire avancer sa machine Biche, un drôle d’animal à cinq pattes qu’il élève avec Thomas Subiranin, Alexis Croisé, Brice Lenoble et Florian Adrien depuis bientôt dix piges.

Pour le second album du groupe, le trentenaire moustachu se fixe alors un cadre : faire une chanson par jour. « Bon, ça n’a pas marché, confesse Alexis. Mais au bout de quinze jours, il y a eu un morceau rapide à 200 BPM avec un synthé sur tous les temps, quelque chose de plus électronique. J’ai posé ma voix dessus, j’ai expérimenté et il s’est passé quelque chose en moi. » À la fois perdu face à la montage de travail qui l’attend avec ce deuxième disque et excité à l’idée de changer la formule, Alexis se lance dans l’élaboration de ce qui deviendra « B.I.C.H.E. », à savoir 11 chansons guidées par ses envies personnelles — et non par ses influences — dans une esthétique plus brute qui gratte un peu la gorge, et qui s’éloigne de la pop psyché du premier album.

Si Biche était une équipe, Alexis serait à la fois le capitaine, l’entraîneur et celui qui distribue les bouteilles d’eau à la mi-temps. C’est lui qui élabore les tactiques, impose le rythme et guide ses co-équipiers. En studio, accompagné de Vincent Hivert, il compose les morceaux et bidouille les premières idées d’arrangements. Il cale ensuite des périodes avec le groupe pour répéter puis enregistrer en live. Une fois tout ça en boîte, le fils du chanteur Michel Fugain se retrouve à nouveau dans un processus plus solitaire pour écrire les textes, enregistrer les voix et finaliser les derniers arrangements. « Le français, c’est chouette, mais il faut le chanter d’une certaine manière pour que ce soit ‘‘okay’’ à mes oreilles. Et ce n’est pas instinctif pour moi. »

The Man-Machine

Influencé par certains artistes DIY comme Gaetan Nonchalant, Côme Ranjard ou encore Belvoir, Alexis a écrit durant presque trois mois non-stop. Et pour la première fois, le musicien est content de ses textes et des messages véhiculés dans les chansons. Cerise sur le gâteau : Alexis assume enfin sa voix. Ça vous fait sûrement une belle jambe, hein, mais c’est un détail qui compte et qui s’entend sur « B.I.C.H.E. ». On a même parfois l’impression qu’il chante dans sa propre bulle musicale, comme s’il était sur le banc de touche durant quelques instants avant de revenir dans la partie. À l’instar d’un Gainsbourg, mais moins à l’aise. Une voix basse, nonchalante et monocorde, mais décomplexée.

Que ce soit dans les paroles ou dans la musique, le thème de la machine est omniprésent. Il y a d’un côté celles qui ont aidé à la création de ce disque (les synthétiseurs, les séquenceurs, les ordinateurs, etc.) et de l’autre la confrontation entre la machinerie et la machine humaine. L’album est « une réflexion sur les choses qui se répètent, nos automatismes, les mouvements circulaires, la répétition des tâches, etc. L’idée de la machine colle bien avec ce truc un peu cyclique. » D’ailleurs, sur le premier morceau, Alexis lance le sujet en chantant : « Les jours et les nuits qui recommencent, tout est toujours à refaire. Une brève interrogation sur les cycles humains éternels. Les discussions tournent en rond, que peut-on faire ? »

Oui, ces questionnements imprègnent plusieurs morceaux de l’album (Déjà-Vu, Le Code, Le Mont Ventoux, L’engrenage), mais ils sont mêlés à d’autres éléments plus familiers, par exemple les vieux souvenirs d’enfance. La pochette de l’album, qui rappelle un tapis de jeu que les gamins des nineties ont connu, est une petite madeleine de Proust. « Je suis tourné vers le passé, avec une mélancolie douce. L’enfance et l’adolescence, c’est un refuge. Je parle beaucoup de souvenirs, de déjà-vu, du temps qui passe, etc. L’émotion globale du disque est liée à l’adolescence. »

« Plus je passe de temps en studio, plus je me professionnalise et plus je deviens esclave des machines » – Alexis Fugain

Même dans les influences musicales, Alexis a un œil dans le rétro. Lors de l’interview, il parle de Delia Derbyshire, de musique électronique minimaliste, de Terry Riley. Pour l’aspect répétitif et percutant, il se penche du côté de Neu! et Can où il y a quand même « moins d’errances que dans un morceau de 18 minutes de Philip Glass ». Et puis si on en revient à l’enfance et à l’adolescence, il y a inévitablement les années 90. Et certains groupes de cette période se sont aussi infiltrés sur ce disque, comme Stereolab période « Transient Random-Noise Bursts With Announcements » — peut-être l’influence la plus évidente —, Broadcast ou encore les Chemical Brothers. Le morceau Le Code a un lien direct avec la chanson Star Guitar du duo de Manchester. « Plus je passe de temps en studio, plus je me professionnalise et plus je deviens esclave des machines, explique Alexis. Au moment du premier album, on était en mode analogique. Sur de la musique plus répétitive comme sur ce disque, j’ai fait plus de choses sur ordinateur. Grâce à certains plugins, j’ai appris à utiliser l’un des premiers synthés modulaires, un modèle de la marque Buchla, qui m’a permis de mieux comprendre la synthèse du son. Et comme on obtient des sons assez chaud quand on enregistre en live, la froideur de l’électronique se répondait bien avec le reste. »

Biche et les machines, c’est une vraie histoire d’amour. Il y a celles qui lui permet de remonter dans le temps afin d’aller piocher dans la library music, la discographie de Burgalat, les disques de space age, les vieilles musiques de films, le rock allemand et les souvenirs d’enfance. Et celles pour se rendre dans le futur et inventer la pop de demain, en avance sur son temps, avec un accent mis sur le raffinement pop et le bidouillage électronique. Des véhicules qui tournent en rond sur le circuit électrique de la musique, et qui permettent à Biche de parfaire des morceaux à la fois pop dans leurs structures mais assez bien bricolés pour séduire les fans de sonorités plus expérimentales.

Le seul petit bémol de l’album, c’est peut-être qu’il est un peu trop « doudou ». En l’écoutant, l’auditeur peut se laisser aller, baisser sa garde et tomber dans un confort d’écoute qui ne le bouscule que trop peu. Le rythme, le chant et les mélodies répétitives finissent par rendre l’atmosphère presque monotone et latente. Le featuring avec Nick Wheeldon sur Ça Va ? remet une bûche dans le feu. Le début de La Spirale redonne aussi de l’espoir, avec une prod pourrie à la Sleaford Mods qui malheureusement finit par plomber (un peu) l’ambiance. « Je suis d’accord avec toi. Pour La Spirale, c’est la voix douce qui repose et qui fait cet effet-là. Mais si t’écoutes l’arrangement, la guitare est omniprésente et c’est très mécanique. Sauf qu’elle rentre quand la voix est déjà là. Ça rajoute quelque chose de nonchalant, ce qui fait partie de l’identité de Biche aussi. Mais les maîtres-mots sur ce disque étaient la cohérence et l’homogénéité, alors je m’y suis tenu », conclut Alexis, serein.

Il y a des pistes pour faire grandir le projet : accentuer l’aspect collaboratif, réaliser le prochain album avec un producteur « qui va me déchirer en deux » (sic) ou encore continuer d’explorer des nouveaux champs musicaux ou littéraires. Quoi qu’il en soit, la machine Biche fonctionne à plein régime. Et elle n’est pas encore bonne pour la casse.

L’album « B.I.C.H.E. » est sorti le 7 février sur Ça va Sound

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