A une lettre près, il aurait pu réussir sa vie, faire carrière, être heureux en amour, se faire construire un Palace avec un crédit sur 20 ans, vivre vieux. Au lieu de ça, Alain Pacadis a choisi un bonheur de Façade puis un longue descente aux enfers par un petit toboggan qui le verra passer de la rock critic aux chroniques mondaines en moins de temps qu’il ne faudra aux Sex Pistols pour se désintégrer. Chez Pacadis il y avait donc les mots et le reste ; ce que l’éditeur du même nom propose de (re)découvrir avec la réédition du livre « Itinéraire d'un dandy punk ». Très mauvais titre pour un très mauvais journaliste, l’histoire commence là.

couv_pacadisLe livre en question fait 359 pages et à la fin il y a de jolies photos d’un jeune homme plus moche que chic. Si on devait le résumer au novice qui atterrira ici par hasard, on dirait que « Itinéraire d’un dandy punk » c’est l’histoire d’un type dont la vie était mille fois plus passionnante que ses écrits. Point. Voilà, fin de l’histoire et bonne nuit les petits. Non, pas tout de suite. On rajoutera aussi que Pacadis, c’est ce gamin fasciné par mai 68 qui commence par délaisser les fouilles archéologiques et ses petits soldats de plomb napoléoniens au profit de l’insurrection, pas tant pour ses contestations sociales que pour le bruit des sandales qui claquent comme sur la piste de danse. Déjà. Trêve de lyrisme, la mère d’Alain se suicide en 1970 en ayant pris soin de laisser un petit mot sur la commode : « je pars pour te laisser la route libre, je vais rejoindre ton père ». Etrangement, l’orphelin digère mal la nouvelle, elle le poursuivra toute sa vie au point de transformer le hippie en bête apeurée par la solitude. Elle finira par l’avoir un soir de 1986, alors son régulier François Laurent tente malgré lui de l’aider à mourir. A peu près neuf ans de prison plus tard, les journalistes Alexis Bernier et François Buot décident qu’il est grand temps de rendre à ce César en goguette les honneurs qui lui sont dû ; la première mouture de la biographie sort en 94 sous le nom Alain Pacadis : l’esprit des seventies et la France balladurienne s’en fout. Deuxième fin de l’histoire.

L’histoire, reprenons la au milieu. Qui se souvient d’un seul papier fondateur d’Alain ‘Death Trip’ Pacadis ? Pas grand monde ici sans doute. La première des raisons étant qu’aucun presque d’entre nous n’était né au moment où lui chipait les pourboires du Palace pour arrondir ses maigres fins de mois, la deuxième étant que le fils d’un émigré grec ne restera pas dans les annales comme le plus grand des stylistes ; la relecture post-mortem de ses papiers enflammés sur des groupes anecdotiques étant de ce point de vue une grosse partie de rigolade littéraire où les clichés rock se mélangent aux expressions anglaises pour au final accoucher d’une prose maladroite, démesurément naïve, bref pas apte à croiser le fer avec la postérité.
C’est d’ailleurs là l’un des travers du bonhomme qui vaudront à Pacadis des centaines de lettres d’insultes, du temps où il pige précairement à Libération, quotidien de la fin des années 70 alors en lutte avec ses propres démons, ses pertes de croyance en un idéal socialiste –  Jean-Paul Sartre, co-fondateur du journal, est mort en 1980 –  et pour faire bref, réfractaire à l’idée même de lendemains qui chantent. Dans cet univers individualiste où, on le sent bien, le pognon des années 80 s’apprête à prendre le pas sur les révolutions qui tournent en rond, Pacadis fait figure d’OVNI marionnette, de pantomime pailleté agaçant jusqu’à la rédaction même de Libération qui tolère la présence du bougre parce qu’il est le seul à pouvoir ramper dignement dans ce Viêt-Nam contre-culturel qu’est alors la France giscardienne. Frustré de n’avoir jamais pu écrire pour Actuel qui méprise le style Pacadis et ses délires à base de WHITE FLASH et autres conneries révélées sous Subutex, notre gonzo-reporter part au front pour Libération sans sourciller, certainement bien conscient d’être – plus tard – instrumentalisé par un jeune chef de service nommé Bayon ; mais enfin, Alain trouve ici un refuge, quelque chose qui ressemble à une famille d’accueil et lui permet d’envoyer des cartes postales où l’enfant s’amuse à colorier la France couleur ORTF avec son obsession du moderne, qu’il s’agisse des Stinky Toys, de Kraftwerk, d’Iggy Pop ou des modes et des épingles, qui le nourrissent.

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Le caractère éminemment ridicule du héros balzacien qu’est Pacadis s’avèrerait presque touchant si toutes les formules ampoulées n’apparaissaient pas dérisoires à toute personne ayant grandi dans la désillusion des années 2000. « Etre novo c’est être dissident de tout, y compris et surtout de soi-même ». La phrase est d’Yves Adrien, elle a non seulement marquée toute une génération de yuppies capables de troquer sans vergogne leurs idéologies d’hier contre les sirènes d’une gloire facile dans la publicité, mais elle a surtout influencé l’élève Pacadis. Yves Adrien vise la postérité par l’absence, Alain vit plus vite, plus fort, ne théorise pas le futur sous sa chapka et crève comme un sordide dans une chambre de bonne de 9 m2. Ainsi quand l’autre s’affirme dissident – mais de quoi, on se demande – Alain s’est déjà dessoudé. Alain 1, Yves 0. On a connu des victoires plus heureuses.
Dans cette biographie au style académique, pour ne pas dire plus, Bernier et Buot transforment cette ode à la dissidence en « principe du neutre » – un concept formalisé par Roland Barthes, habitué du Palace – pour décrire le style de vie d’Alain Pacadis. Ce principe du neutre, c’est être distancié du monde, savoir s’émouvoir instantanément de tout pour ne s’occuper durablement de rien, se biturer la gueule en torchant son feuillet pour Libé, sentir le vomi à trois kilomètres et malgré tout serrer la louche des baronnes ; un mode de vie en fin de compte que seul Pacadis est capable d’écrire au quotidien. Ce principe du neutre, c’est encore Bayon, son voisin de chambrée au journal de Serge July, qui en parle le mieux : « Pacadis c’était l’indifférence générale. Sa vie tenait tout entière dans l’instant, dans une sorte d’idiotie harmonieuse. Un semi-nirvana de stupidité que des hordes de fakirs de pacotille mettent des vies entières à tâcher d’atteindre à force de purifications. Un état que Pacadis atteignait non par élévation, mais par défaut ». Manière élégante pour dire que l’intelligence du dandy ne crevait pas le plafond mais qu’il avait au moins le mérite de vouloir sublimer ce que tant d’autres fantasmaient le cul rivé sur leurs fauteuils. Suffit pour cela de contempler l’état de sa dentition, sur la couverture du livre, pour comprendre qu’Alain n’a pas rongé, au long de sa courte carrière, que des cure-dents.

pacadis_images-8Il serait tentant, maintenant que tout est fini et la messe plus que dite, de venir chier sur les pompes de Pacadis. D’une part parce que ce serait bien mérité, de deux parce que le décès prématuré de Lester Bangs en 82 dans une piaule au moins aussi glauque que celle de Paca’ avait nettement plus de gueule, de trois parce que les retournements de vestes successifs et les copinages pour tels – Jacno, Iggy – ou telles – Elodie Lauten, Edwige – finiront par lui faire perdre toute objectivité journalistique, de quatre enfin parce qu’il voulait mourir jeune et que sa mort, quelque part, arrivait déjà trop tard.
Comme de s’étonner que ce livre reparaisse maintenant que le terme gonzo est enseigné dans les écoles d’apprentis journalistes, il serait aussi injuste de venir tirer sur une ambulance accidentée. Car Pacadis n’était pas journaliste, tout au plus un polaroid de l’époque, un Jesus Christ de traviole portant sur lui tous les séquelle du supplicié mort pour tant d’autres ayant depuis fait carrière avec la nostalgie en boutonnière. Par ici un dossier photos sépia sur les Bains Douches dans l’édition française de Vanity Fair, par là un peu des années Palace racontées par un témoin d’époque, et vas-y que je te colle du souvenir tellement rafistolé que t’en as plein les mirettes pour pas cher… Le mérite d’Alain Pacadis, dans cette grande essoreuse révisionniste, reste d’avoir été là quand Paris était au centre du monde, et d’avoir eu la politesse de s’éclipser dès lors que la fête fut terminée. Pacadis, homme d’une seule époque ? Certes oui, comme nous tous. « Faire la cuisine d’hiver en été, ça n’aurait aucun intérêt » confie Philippe Morillon, compagnon de route de Pacadis et Wahrol, aussi photographe de la faune du Palace, « certaines personnes parviennent à faire comme si rien n’avait changé, les artistes, en général, sont tous liés à un contexte, mais s’obstinent à faire la même chose 20 ans après » soupire-t-il. Il n’est, du reste, pas tendre avec le fantôme de Pacadis : « Il n’avait pas beaucoup de style, en tant que personne, pas très décoratif, pas spécialement bien habillé, sa conversation n’était pas brillante, parfois difficile à supporter en soirée quand il était fatigué…  Il était laid et sale, on l’aimait bien parce qu’on avait toujours bien aimé le côté monstrueux (…) Sa mort était inévitable ». Dans sa rubrique Nightclubbing dédiée comme son nom l’indique à la vie nocturne, l’animal se fait chauve-souris mode gargouille, insatiable barde de soirée capable de trinquer avec Jack Lang et Loulou de la Falaise puis de ramper dans les caniveaux au levé du jour, il devient un déchet radioactif souhaitant sa propre désintégration après mise en orbite ; or le côté romanesque de Pacadis se situe précisément là, dans cette capacité à pisser de la copie souvent fadasse à foison mais parvenant à cristalliser la palpitation des seventies. Crapaud au pays des princes citrouille, Pacadis avait inventé un genre littéraire, le gonzo de gare enchantée, un récit sans prétention qui servirait à son auteur de psychanalyse autant qu’à ses lecteurs de compte-rendu du temps qui passe. C’est certes bien peu, mais beaucoup plus que ce que la majorité d’entre nous vivra, en comparaison. On imagine difficilement comment un soulographe pourrait dépeindre les folles nuits d’EdBanger sans immédiatement passer pour un nigaud de première classe.

Que reste-t-il de cet amoureux solitaire, plus de vingt ans après son suicide assisté ? Un livre qui ne pèse pas lourd face à la légende, et qui à force de remise en contexte historique ne retranscrit que partiellement la petite grandeur de ce héros en carton pâte. «  C’était un témoin de l’esprit des choses » répond Larry Debay qui l’a rencontré en 76 lors du premier festival punk à Londres, au club 100, « musicalement, ce n’était pas un grand esthète, mais il savait capter les mœurs. Il déroutait les Anglais parce que les working class ne comprenaient pas que ce dandy destroy français soit capable de te parler davantage du petit cul de Barry Masters [chanteur de Eddie and the Hot Rods] plutôt que de sa musique. A Paris, il passait pour l’amuseur public, mais je crois qu’au fond ça arrangeait tout le monde. Et à Londres, les mecs m’appelaient parfois pour me demander confirmation sur son boulot, tellement ils en doutaient… ». Les rosbifs ne seront pas les seuls, ici même j’en arrive à me demander qui serait prêt à troquer sa vie bien rangée, bobonne à la cuisine et son CDI confortable contre deux semaines dans la peau du Paca’. Réponse : personne n’est de taille. Aux autres et à sa descendance, il n’aura finalement laissé que les miettes. Iggy Pop délabré continuant d’agiter son zizi fripé pour les publicitaires, les vieux compagnons de route ressassant leurs heures de gloire en mode repeat, le lointain souvenir d’un journalisme de terrain qui désormais se pratique plus souvent derrière un écran 13 pouces. Marie France, autre phénomène transgenre des seventies, tire le rideau sobrement : « Après la mort de Pacadis et la fermeture du Palace, la fête devient universelle, fini le privilège des petits clubs privés, tout le monde veut jouir de tout, tout le monde veut être star. Le monde est robotisé, tout le monde se ressemble, c’est ainsi, c’est une autre vision de la vie ». Ultime preuve que cette fête n’aurait su durer éternellement, de nos jours tous les rock critic meurent vieux. Parfois je croise Nick Kent au Leclerc en bas de chez moi, comme ça me fout le cafard je change de file.

Alexis Bernier et François Buot // Itinéraire d’un dandy punk  // Réédition chez Le Mot et le Reste

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24 commentaires

  1. Sans aller jusqu’aux fouilles archéologiques..
    Du subutex à Paris (qui ne fût jamais je crois le centre du monde) avant les années 80?
    Non. Un petit supo codéiné passé dans un filtre à café, une ampoule (sans plus de style)
    par ci par là. That’s all junk folks!
    Sinon
    – I do agree –
    ce livre, jusqu’à sa date de reparution, offre tant
    (façon de parler, 23 euros à la caisse… « tiens ce serait pas Yves Adrien dans la file chez Gibert »?),
    remis sous presse,
    l’impression qu’on révise son bac option contre-exception/cülturelle_à_la_française…
    au moins, Pacadis finit bon dernier
    De la Classe, kid!
    Attendant comme tout le monde dans la file (une autre, encore).
    Bester, tu racontes l’histoire Bayon-Pacadis un peu à l’envers. C’est un peu dommage car c’est plutôt la seule histoire(avec Bazooka) encore un peu fraîche de toute cette salade « petit navire » (1,65 euros chez Leclerc) si mal arraisonnée par Bernier & Buot associés. (NDLC)

  2. Oui c’est vrai, je me suis rendu compte à la relecture que Bayon est arrivé tardivement au journal, bien après l’arrivée de Pacadis. Don’t acte.

    1. Dont acte pour moi aussi qui spécifie les années 80 quand je voulais dire années 90 (mon doigt que j’avais un instant avant de frapper dans le nez de Paca – c’est chic! – aura ripé, I guess).

    1. Oké oké. Bon tout cela n’empêche pas que Bayon a servi de protecteur intéressé pour Pacadis, sur la courte période où ils ont « bossé » ensemble.

  3. Je suis pas sûr d’avoir compris si tu conseilles la lecture de la bio ou non. On est d’accord sur la médiocrité de Pacadis, mais j’aimerais savoir si le bouquin dépasse cela.

  4. Excellente question. A vrai dire je ne sais pas (d’où le flou), personnellement je n’y ai pas appris grand chose, mais mon point de vue n’est pas objectif; trop historique à mon gout, trop de remise en contexte, pas assez d’interprétation subjective du personnage. Ca manque d’humanité.

  5. Oui c’est vrai Pacadis était sale et ses articles pas particulièrement intéressant mais c’était l’époque où on pouvait lire Libé parce qu’il y avait de vrais journalistes avec de vrais points de vue et que ça dépotait. Je me rappelle par exemple parfaitement comment Libé avait parlé du premier Terminator et ce qui m’avait motivé à aller voir ce film que, sinon, je ne serais jamais allée voir. Autre époque, certainement narcissique comme toutes les époques, mais avec plus de culture, plus de hargne et moins de politiquement correct.

  6. C’était notre avatar il avait à lui seul tous nos défauts d’autant impardonnables qu’aussi nos qualités. ..portant ainsi cette croix qu’était sa vie on pourrait l’identifier avec un soupçon de joyeuse mauvaise foi, comme une sorte de Novo-christ, selon le mot d Yves. ..

  7. c’est toujours agréable de lire un journaliste parler d’un autre journaliste (surtout quand le premier dit du second qu’il est pas vraiment bon, voire exécrable), ça donne l’impression saisissante de lire quelqu’un parler de lui-même, avec beaucoup plus de sincérité et de justesse toutefois que s’il le faisait en son propre nom.

  8. Je vous trouve très sévère avec Alain Pacadis. Pour l’avoir souvent croisé, je dirai qu’il était comme les cacahuètes Benenuts qui constituaient parfois sa seule nourriture de pique assiette : « le secret des ambiances réussis ». Le regarder déambuler telle une auto-tamponneuse pendant un concert ou une soirée mortifère pouvait constituer en soi une occupation. Tout du moins, si il ne donnait pas envie, il combattait à sa façon l’ennui. Il avait un côté BEAT au sens initial défini par Herbert Hunckle, c’est à dire « sans projet, au bout du rouleau… »
    Si il n’était pas là, il manquait qqchose et cette chose portait un nom.
    Gloire à « l’Amoco Pacadis »

  9. Bravo pour l article…connais pas pacadis , et je m en cogne..!!!….mais j ai pris beaucoup de plaisir à lire un article lapidaire et sans concession….bravo bester

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