Alors qu’il est cette année l’invité (avec son fils, lui aussi musicien) du Sonic Protest, et que sa page Discogs n’en finit plus de s’allonger comme une cigarette se consumant à l’infini, Pinhas fête en 2021 soixante dix ans d’existence contre le monde réel, et avec encore de nouveaux projets plein la tête. Portrait d’un infatigable électron libre.
J’ai interviewé Richard Pinhas fin avril 2018 à l’occasion de la réédition des premiers albums de son groupe Heldon et de ses premiers disques en solo. Je fus impressionné de parler à ce personnage incroyable, à la musique si troublante et si unique. Depuis que j’avais découvert Heldon, il me semblait que la seule issue possible était la célébration de sa musique. Mais Jukebox Magazine me refusa l’interview. Motif : Pinhas était un « sale con prétentieux doublé d’un bourgeois en manque de sensations fortes ».
L’interview dort désormais dans mes archives, mais je me souviens encore des mots de Richard Pinhas et de son parcours. A l’évidence, toute sa vie et son œuvre sont une incroyable succession d’incompréhensions avec le monde de la musique en France. Du moins, c’est ce que l’on écrira si l’on veut être poli. En fait, le petit landerneau de la pop française va régulièrement s’évertuer à détruire les carrières de groupes ou de musiciens à la langue un peu trop pendue, et aux idées un peu trop indépendantes.
La liste commencera avec les Variations. Ils chantent en anglais, jouent du proto-Led Zeppelin, et alignent déjà les concerts partout en Europe avant de percer en France. Il devront attendre trois ans pour avoir un contrat chez Pathé-Marconi. Puis, leur rock dangereux et leur volonté de professionnalisme dérangent, couplés à de belles gueules trop ouvertes, et ils partent et réussissent aux USA. Nouvelle bronca contre ces vendus au Dieu Amérique.
Michel Magne ? Son studio-résidence à Hérouville attire les plus grands artistes, c’est un studio-résidence ultra-novateur, un des premiers du genre dans le MONDE. Il sera ruiné par quelque concurrent envieux. Magma ? Des fachistes dont on ne comprend pas les paroles, et qui surtout, vont être les premiers à signer un contrat international de disques avec A&M en 1973. Little Bob Story ? Ils chantent aussi en anglais, comme les Variations, la langue du rock selon eux. Et surtout, ils sont trop proches des milieux ouvriers du Havre, leur ville d’origine. Et puis, ils n’ont besoin de personne pour jouer partout en France et encore plus en Grande-Bretagne. Trust ? Ils signent avec une major d’entrée, ce qui est louche, et ils sont bien trop politisés. Ils remplissent des chapiteaux avec cinq mille gamins sans rien demander à personne, et puis, ils visent la Grande-Bretagne et les USA, comme les Variations et Little Bob Story. Océan ? Encore un groupe qui démarre en anglais, signé chez Crypto avec un disque trop compliqué pour la critique (un mélange de Led Zeppelin et de King Crimson en 1977), et qui se débrouille tout seul pour tourner partout en Europe avant d’être signé chez Barclay.
Tous ces emmerdeurs, tous ces empêcheurs de tourner en rond, ne vont pas dans le sens d’une sympathique variétoche française qui se popise vaguement. Eddy Mitchell le sait bien, lui qui va passer les années 1967-1974 à bouffer les pissenlits par la racine en sortant des disques qu’il rejette aujourd’hui, mais qui sont d’authentiques chefs d’oeuvre mêlant pop-music novatrice, proto-hard-rock, hard soul, et rock progressif. Il va jouer avec Zoo et Magma. Mais tout cela est trop fou. Il retrouvera le succès lorsqu’il reviendra à son personnage de caricature de bande dessinée de proto-Elvis.
Et Richard croisa Jimi
Richard Pinhas, c’est un autre de ces guerriers du son, droit dans ses bottes. Né en 1951, il débute la musique à la fin des années soixante. Issu d’une famille plutôt bourgeoise et lettrée, Richard profite de l’occasion pour aller régulièrement à Londres, là où tout se passe. Il est déjà un musicien avec une petite réputation avec son groupe Blues Convention lorsque Jimi Hendrix passe à l’Olympia en 1968. L’organisateur sait que Pinhas joue avec des cordes de guitare anglaises, il lui demande de le dépanner, car Hendrix en réclame pour sa guitare avant de monter sur scène. Richard les ramène en main propre, et serre la main du Dieu Cherokee. Ce sera l’un de ses grands chocs émotionnels, au-delà du concert et de la musique. Il le verra également à Londres, et l’approche de la guitare électrique de Jimi Hendrix va profondément le marquer.
Pinhas traîne aussi une réputation de petit parvenu depuis 1970, date à laquelle il fait l’acquisition d’un des premiers synthétiseurs VCS3. Il a découvert l’instrument grâce à Herbie Hancock qui en joue dès 1973 sur « Sextant ». Il l’achète à Londres en revendant ses appareils photos de photographe débutant, car à Paris, l’instrument est introuvable. Pinhas n’est pas un descendant de la famille des jeans Levi Strauss, rumeur qui lui pourrira l’existence. Il est un gamin de la classe moyenne bourgeoise, plutôt intellectuelle, ce qui l’emmènera vers des études de philosophie poussées. Il sera un élève assidu de Gilles Deleuze, mais surtout un trublion actif dans les assemblées de Mai 1968 à la Sorbonne.
Autre point noir, Richard Pinhas est très clairement orienté Jeunesse Communiste Révolutionnaire, mouvement qu’il quittera en 1973. Ses positions de gauche marquées, Richard les as gardé. Alors que la révolte des Gilets Jaunes gronde, il me comptera le souvenir des barricades à Paris en 1968, les pluies de cocktails molotov qui tombent sur les CRS dans la nuit, les castagnes sur les militants communistes par les flics, et puis la décision de désescalade de De Gaulle avant les Accords de Grenelle, et la remise en question de sa place à la présidence, une autre conception du pouvoir, en somme.
On ne se souvient en fait pas de cette extraordinaire marmite d’idées, de jeunesse et de création qui bouillonnait en 1968. Les médias ne rapportent qu’une image erronée et sage, entre les hits pop de Serge Gainsbourg avec Brigitte Bardot et Daniel Cohn-Bendit comme étendard de la révolution. Ce rapport mensonger des évènements cache justement le travail de musiciens comme Richard Pinhas.
Pinhas joue du heavy-blues avec Blues Convention donc. Le groupe commence à prendre de l’envergure au Golf Drouot avec l’arrivée du chanteur Klaus Blasquiz. Le Golf Drouot, c’est là où tout se passe encore, depuis les Chaussettes Noires jusqu’aux idoles déchues les Variations. Et puis aussi Océan… Et Trust… Téléphone…
Blasquiz s’en va, Pinhas se consacre à sa maîtrise de philosophie, qu’il obtient. Il fonde Schizo avec le pianiste Patrick Gauthier et les frères Roussel, Coco à la batterie et Pierrot à la basse. Deux simples sortent, dont Le Voyageur avec Gilles Deleuze récitant un texte de Nietzsche sur fond de rock psychédélique heavy, mais Pinhas ne voit déjà plus la musique de cette manière. L’histoire de Disjuncta Records, premier label indépendant français, est un exemple de cet incroyable mépris de la créativité du rock national. Turbulent, fan de King Crimson et de Robert Fripp, Richard Pinhas sonne à la porte de EG Records, filiale de Island Records. La bande démo intéresse, mais il faudra attendre un an pour un pressage vinyle. Richard Pinhas a vingt-trois ans, il refuse d’attendre et crée son label. Disjuncta Records publie « Electronique Guerilla » en 1974, qui se vendra à vingt mille exemplaires. Il en sera désormais ainsi de Richard Pinhas. C’est un homme indépendant.
Dès lors, lui et son vaisseau Heldon, qu’il a confondé avec Patrick Gauthier et Georges Grunblatt aux claviers, va naviguer dans les eaux bouillonnantes de la contre-culture française, magnifiquement ignorée par tous les grands médias nationaux. Alors que les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier font défiler dans des décors chamarrés Joe Dassin, Michel Sardou, Johnny Hallyday, ou Carlos, les MJCs et les universités de province se remplissent grâce à des groupes que l’on qualifie trop vite de hippie ou de prog : Ange, Magma, Gong, Heldon, Pulsar, Océan…
Richard Pinhas est un musicien expérimenté, et met son savoir-faire au service des autres. Dans son studio nommé Schizo, il produit de nombreuses formations, les accompagnant souvent à la guitare et aux synthétiseurs. Parallèlement, les albums s’enchaînent : « Allez Téia » et « Third (It’s Always Rock’N’Roll) » en 1975, « Agneta Nilsson » et « Un Rêve Sans Conséquence Spéciale » en 1976. Le groupe tourne grâce à l’arrivée du batteur François Auger, et Heldon n’est donc pas qu’un projet électronique de studio. Pinhas tient à cette dimension scénique, qui lui permet également de faire entrer des finances pour ses projets et ses achats de matériel.
Il devient un ami proche de Robert Fripp, en rupture de King Crimson. Lui aussi a entrepris de se lancer dans des improvisations accompagnées d’un magnétophone avec des boucles électroniques : les Frippertronics. Il poursuit ainsi son travail débuté avec Brian Eno sur leurs deux albums : « No Pussyfooting » en 1972 et « Evening Star » en 1975. Musicalement, les explorations de Fripp et Pinhas ont beaucoup en commun.
Les deux évoluent à leur manière dans un univers sonore libre. Pinhas développe toutefois une dimension plus angoissante et urbaine, notamment sur « Agneta Nilsson » et « Un Rêve Sans Conséquence Spéciale ». Les convictions politiques de Pinhas ne sont jamais très loin. Les nappes de synthétiseurs, très élaborées et subtiles, ont quelques accroches avec la scène allemande, en particulier Klaus Schulze. Les solos de guitare se tordent sur ces univers électroniques glaciaux, évoquant un monde déshumanisé fait de machines guidant nos vies à l’heure de l’Apocalypse nucléaire imminente. Finalement, Heldon annonçait sans le savoir nos univers modernes faits de technologies omniprésentes et de folie à la Orwell.
Producteur caché pour les punks
Heldon achève son aventure en 1979 sur un disque majeur : « Stand By ». Auger et Gauthier sont fatigués d’être sur la route. Pinhas a déjà débuté une carrière solo parallèle en 1977 avec « Rhizosphere ». De nombreux live posthumes alimenteront ce parcours unique fait d’expérimentations sonores et de concerts live constitués d’improvisations le plus souvent inédites.
Pinhas n’est pourtant pas déconnecté de son temps. Il sera ainsi le producteur d’Asphalt Jungle et Metal Urbain. On ne le citera pas, on ne veut pas que le nom de son studio apparaisse. Il a pourtant été un acteur majeur de ces enregistrements en réduisant au plus basique la prise de son. Mais qu’un mec de vingt-six ans qui fait du prog électronique fasse le job, pas question que cela se sache.
Richard Pinhas s’est de toute façon extrait du système depuis 1974, depuis son premier album, depuis qu’on le considère comme un parvenu, depuis que l’on sait que ses positions de gauche sont trop affirmées. Il arrive même fréquemment qu’on l’oublie lorsque l’on parle de l’underground français, ne citant que Magma et Gong.
Il trouve dans les années 1980 et 1990 la reconnaissance auprès de musiciens électro américain et japonais qui le citent comme une référence et une influence majeure. En France, au mieux, sa musique sert de fond sonore pour des documentaires. Pinhas tourne alors massivement à l’étranger, remplissant de beaux théâtres là où en France il remplit de petits clubs de fans spécialistes et pointilleux.
Dans une logique d’indépendance totale, Richard Pinhas poursuit sa discographie gargantuesque sur de petits labels indépendants. L’un d’eux est Bam Balam Records, basé chez un disquaire de Bordeaux, JJ Arnould. Chez lui, Pinhas a déjà sorti de nombreux albums uniquement en vinyle, que ce soit des lives en solo ou d’Heldon (« Live In Metz ‘77 » en 2018 ou « Live In London 1982 The Venue » en 2020, concert de reformation avec Patrick Gauthier et Bernard Paganotti de Magma).
L’éternelle cure de jouvence
« Quentin Compson », publié à la fin de l’année dernière, est un projet redoutable et ambitieux. Basé sur le personnage de William Faulkner, Richard Pinhas s’est associé au guitariste américain Stephen O’Malley, membre de SunnO))) et Khanate notamment, et résidant à Paris. L’idée de voir le grand pionnier et innovateur du rock électronique Richard Pinhas croiser le fer avec le prince du drone metal américain avait de quoi émoustiller les amateurs de musiques audacieuses et sans frontières.
Autant le dire tout de suite : celui qui pense tortiller son croupion sur de la musique électro peut rentrer chez lui. Croiser les univers de Pinhas et SunnO))) est une expérience redoutable, faite d’atmosphères et d’émotions. Serti dans une pochette sublime, les deux improvisations qui occupent chacune une face sont une expérience sonore rare. Pinhas en est un habitué, mais sa capacité à inventer sur l’instant présent est totalement déconcertante. Ce qui est encore plus fort, c’est qu’il emmène ses équipiers de disques vers des horizons fous. Stephen O’Malley est toutefois un habitué des climats ambiants sombres et menaçants. Ecouter ses deux guerriers du son croiser leurs guitares est un enchantement.
Une fois encore, personne n’en parlera, hormis ici, et c’est finalement notre modeste rôle de défricheur sonore. Richard Pinhas vient de fêter ses soixante-dix ans, fringuant, toujours une guitare à la main et une clope au bec. « Quentin Compson » est son dernier album ? Que dalle ! Déjà vient de sortir « Alturas » avec un collectif de musiciens japonais, et « Le Plan De Paris » avec Pascal Comelade. Mais s’il ne fallait choisir qu’un de ces albums de 2020, « Quentin Compson » a la fureur originelle des albums d’Heldon, croisée avec le heavy-metal le plus dément. C’est la quintessence de ce que l’on peut faire avec une guitare électrique, en 2020.
5 commentaires
rue père pigne is where 66th floor réside, go there! & buy now!
Yes lui c est super respect pouet poulet arghhh mais là tu vas trop loin bébé heu j ai jamais été aussi bien dans mon corps Ouesh ouesh baba !!!
Bah voilà, il nous la crache enfin son adresse l’autre vendeur de galettes.
Par contre, retourne faire un stage en marketing. t’es mauvais.
do u got some Moumba_Moumba ?
raymond barré ou raymonde dead fosse