Christian Vander, énigmatique leader de Magma, vit à travers sa vision de la musique, qu’il défend avec passion et un degré d’exaltation inouï depuis plus de 40 ans. Gonzaï vs Magma, round one !

On peut ne pas apprécier la musique. Mais on se doit de respecter l’homme. Christian Vander, considéré comme l’un des meilleurs batteurs du monde, continue de vivre de sa passion. Sans broncher. Pourtant, l’histoire de Magma est cabossée. Enchevêtrée. Christian, lui, résiste cahin-caha et continue de faire vivre la musique qui le fait vibrer. Qui l’habite, sans trop savoir pourquoi. Ni comment. À 69 ans, le natif de Nogent-Sur-Marne revient sur l’histoire de Magma, passé dans tous les états. Mais aussi sur sa carrière, sa musique et bien évidemment sur son idole : mister John Coltrane. 

Est-ce que la musique de Magma a toujours était une sorte d’évidence pour vous ?

Je n’ai jamais cherché à composer de la musique pour composer. Quand je cherche quelque chose au piano, et que je vois, que j’entends quelque chose d’original, alors je laisse parler la musique. Ça vient même avant la pensée, ce sont mes doigts qui parlent. C’est presque inexplicable. Je sens qu’il y a quelque chose qui se passe et je laisse vivre la musique. Et c’est à ce moment-là que la musique peut être intéressante.

Je vous demande ça parce que pour beaucoup de personnes, Magma est un océan de complexité… Vous arrivez à le concevoir ?

Pour moi, c’est tout à fait naturel. Plus j’avance et plus je cherche dans les polyrythmies, parce que j’évolue et je cherche à me mettre dans des situations où j’apprends des choses. Forcément, pour moi, ce n’est pas complexe. C’est quelque fois éprouvant à jouer physiquement. Mais au niveau complexité, ce que je fais je le maitrise. Après, si les gens n’écoutent qu’une forme de musique sans s’aventurer ailleurs, toutes les musiques un peu différentes vont sembler complexes, étranges, inaccessibles. Depuis que je suis gosse, j’écoute des musiques assez pointues… Je ne dirai pas que je suis tombé dans la marmite, mais pas loin.

« On n’a jamais été très médiatisé. Peu de télévision, de radio, c’était et c’est encore, difficile. Donc, on va vers les gens, et ça a toujours été comme ça. »

Cette longévité, le fait de toujours, et encore maintenant, défendre votre musique avec passion… Pourquoi s’être battu, avec autant d’ardeur, pour défendre votre musique depuis plus de 40 ans ?

C’est plus pour défendre la musique que je le fais. Pour défendre ce que j’estime différent de ce qu’on peut entendre. Moi, je propose une musique différente et c’est pour ça que je la défends. Mais l’idée au départ, c’est de donner le meilleur. À part le jazz, c’est le style de musique sur lequel je m’exprime le mieux. Et encore, quand je dis jazz, je parle d’une certaine catégorie : simplement la musique de John Coltrane.

Vous estimez qu’il faille encore défendre Magma aujourd’hui ? Qu’il y ait encore besoin d’expliquer votre musique, même aujourd’hui ?

C’est tout simple : il faut toujours aller vers les gens. On n’a jamais été très médiatisé. Peu de télévision, de radio, c’était et c’est encore, difficile. Donc, on va vers les gens, et ça a toujours été comme ça. On a dû créer des circuits parallèles pour ces musiques, qui ont ensuite été exploités par d’autres groupes assez connus. Ça a créé tout un réseau de circuits dont on a été exclu pendant un moment, parce qu’on n’arrivait pas à amener suffisamment de monde, alors que les groupes anglais et américains cartonnaient. Le but, c’est d’exprimer cette musique partout où l’on peut.

Un ami était à l’un de vos concerts il y a deux ans, et il se souvient avoir entendu du free jazz et de l’improvisation…

Il n’y a pas de jazz dans Magma. Tout est quasiment écrit d’avance, il y a juste deux trois passages où les musiciens improvisent. Il faut qu’il y ait une discipline intérieure, sinon ça devient n’importe quoi. Même pour le free jazz. À l’intérieur de ces structures travaillées, on peut s’amuser. Mais les mesures défilent et restent. Tout doit être respecté, d’un bout à l’autre. À l’intérieur, les musiciens peuvent jongler avec les notes, mais faut respecter les structures et l’ambiance musicale avant tout.

« En gros, ils nous disait : ‘c’est tellement bien qu’on ne peut pas la diffuser, c’est trop bon pour le public' »

Qu’est-ce que vous espérez laisser comme héritage ?

Je ne pense pas du tout à ça ! Je suis heureux de continuer à jouer de la musique, quelle qu’elle soit. De toute manière, je pense que si on avait été plus aidé, Magma serait reconnu depuis bien plus longtemps…

Est-ce qu’une part de vous se sent un peu déçue de ne pas avoir obtenu la reconnaissance espérée ?

Au départ, tout le monde me disait « votre musique va tout pulvériser sur son passage », et ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Les médias nous racontaient : « votre musique, elle est extraordinaire monsieur Vander, mais le public n’est pas prêt. ». En gros, ils nous disaient : « c’est tellement bien qu’on ne peut pas la diffuser, c’est trop bon pour le public ». Mais ça ne nous a pas empêché de continuer. Grâce à internet, d’autres personnes ont pu nous découvrir un peu partout dans le monde. Mais à vrai dire, tous les musiciens que j’aime ont toujours fait face à plein de difficultés. Donc ça m’a jamais trop angoissé. Je n’attendais pas forcément une récompense. C’était plus pour les musiciens qui m’entouraient, et qui restaient avec moi, parce qu’ils n’ont pas eu cette récompense non plus. C’est aussi pour ça qu’on a souvent changé de musiciens, parce qu’au bout d’un moment, les types ont envie de tenter d’autres choses, ce qui est tout à fait normal.

« La musique de Magma, niveau division rythmique, c’est un peu comme de la musique indienne. On entend des sons et, pour jouer ses impulsions tranquillement, il faut une force intérieure. »

Ces difficultés, la douleur dont vous parlez, ça a nourri d’une manière votre musique ?

Oui. Il y a la douleur et la bonne colère. La bonne colère, ça vient d’un journaliste qui avait dit à propos de John Coltrane « Le jeune ténor en colère ». J’ai découvert par la suite cette douleur, cette souffrance intérieure. Pourtant, c’était quelqu’un qui venait d’un milieu assez aisé. Mais il exprimait cette sorte de douleur qui dépasse un peu tout. Je me sentais proche de ça, de cette solitude intérieure.

Vous avez construit votre identité à travers ce rejet, cette douleur ?

Ça a contribué, c’est sûr. J’ai simplement espéré m’améliorer en musique et aller plus loin par des petits pas et non des giant steps comme disait John Coltrane. Plutôt des petits pas géant.

Est-ce qu’on peut dire que vous êtes obsédé par la perfection ?

Mmm, il faut être excessivement précis, c’est presque mathématique. Mais si on veut briser les angles, on doit pouvoir se positionner en sachant exactement où l’on est. C’est fragile ce que je dis. On cherche des terrains inconnus car c’est comme ça qu’on découvre des nouvelles sensations.

Il y a pourtant une dualité entre le côté mathématique comme vous dites, et l’idée de création…

Il faut être libéré et précis à la fois. La musique Magma, niveau division rythmique, c’est un peu comme de la musique indienne. On entend des sons et, pour jouer ses impulsions tranquillement, il faut une force intérieure. Ce sont des choses qu’on n’entend pas forcément. Tout appartient à une division rythmique très fine, de l’ordre d’une vibration, d’un lâcher dans l’espace. C’est extrêmement difficile d’en parler avec des mots.

Je vous confirme ! Qu’est-ce que vous diriez à un(e) jeune qui explore ses goûts musicaux à propos de la musique de Magma ?

De suivre son cœur. C’est la bonne idée. Quand j’étais assez jeune, j’écoutais John Coltrane. Ma mère était très mélomane et elle m’emmenait voir des concerts de jazz à Paris et, par chance, les meilleurs. Donc j’ai eu l’honneur de voir John Coltrane à Paris, parmi d’autres. Je suis rentré dans sa musique et je me laissais emporter. Quand il a commencé cette nouvelle musique dans le début des années 60, personne n’était prêt à comprendre et entendre ce qu’il faisait. Mais je ne me posais pas de questions ! Je plongeais dans les rythmes sans mêmes les comprendre. Se laisser porter et aller dedans. Pour moi, la musique, c’est comme quelqu’un qui aime l’eau, et qui va se baigner tous les jours dans l’océan : c’est un besoin. J’avais besoin de cette matière qui n’est pas palpable, mais qui existe.

« Quand j’étais gosse, je sifflais des thèmes de John Coltrane dans le métro et j’attendais que d’autres me rejoignent. »

Le terme « se battre pour défendre votre musique » n’était peut-être pas approprié. Vous avez toujours vécu votre musique, et la défendre, pour vous, ce n’est pas un combat, si ?

Non, la musique est vitale pour moi.

Vous n’avez jamais douté ?

J’ai plus souvent douté des gens que de la musique. Quand j’étais gosse, je sifflais des thèmes de John Coltrane dans le métro et j’attendais que d’autres me rejoignent. Eh bien, ça ne m’est jamais arrivé. Juste une seule fois, j’ai croisé un gars un jour qui sifflait une mélodie de John Coltrane, mais c’était 30 ans plus tard. On a échangé un regard et je me suis dit, « C’est incroyable ça, quand même ! ». Mais c’est tout, une fois en plus de 35 ans ! Je n’y pense plus du tout, je me dis que c’est comme ça. Le principal, c’est d’évoluer et d’être toujours habité par ces choses qu’on aime et qu’on a toujours aimées. Et surtout, d’avoir l’impression d’avancer. Le pire, c’est de stagner. Il y a toujours ce moment d’angoisse quand on n’est pas inspiré…

Jusqu’à maintenant, vous avez toujours réussi à avancer…

Oui, mais là en ce moment, j’ai une petite période de creux. J’essaie de me mettre dans des nouvelles situations pour, peut-être, découvrir un élément qui me manque. Ça ne devrait pas tarder à venir !

Le groupe est actuellement en tournée partout en France, mais aussi à Las Vegas, au Canada et en Europe. Toutes les dates sur le site officiel

7 commentaires

  1. Bravo Christian, je vous suis depuis tout petit ! Au départ, votre musique étrange questionne et ne m’a jamais laissé indifférent, et je dois vous dire que ma fille Benedicte, depuis tout petite, dit que je fais des onomatopées, est ce du Kobaïen ?

  2. Les sons inexplicables et inexpliqués d’ailleurs, que je fais parfois, dans la violence ou la sagesse, me font du bien ! Est ce du kobaïen ?

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