L’une de mes premières transgressions remonte à mes dix ans. Elle consista en une lecture attentive de la pile de vieux 20 ans que ma sœur aînée accumulait dans un coin de sa chambre : des sujets à mille lieues de mes préoccupations, que je savourai dans une zone déclarée interdite d’accès. A défaut d’apporter les réponses à des problèmes que je n’avais pas, le magazine m’avait introduite à la presse pour adolescentes. Des titres les plus mièvres aux plus putassiers, tout y est passé. Mes lectures étaient assidues et sans discernement, enfonçant toujours plus profondément les préceptes ravageurs intégrés depuis ma rencontre avec Disney. Madeleine de Proust potentiellement rance, la dernière sortie des Editions Rue Fromentin était peut-être l’occasion de régler mes comptes avec la presse pour jeunes filles.

Anthologie mais pas que, le livre coordonné par Marie Barbier retrace l’histoire d’un titre phare de la presse pour adolescentes, en se concentrant sur les treize années durant lesquelles Isabelle Chazot en assura la rédaction en chef. Focalisé sur la période 1990-2003, l’ouvrage expédie du même coup l’histoire de la création du support et passe à la trappe la pitoyable tentative de relance de 2009. Mais qu’importe, c’est de la grande époque du titre dont il est question. Le livre se nourrit donc d’articles vintage et d’extraits d’entretiens avec ceux qui ont fait et vécu le magazine : Isabelle Chazot en tête, mais aussi Paul et Yvelyne Dupuy, respectivement ancien PDG du groupe Excelsior et ancienne directrice de la rédaction ; Laurent Bon, ancien rédacteur en chef adjoint ; quelques rédacteurs nostalgiques et, bien sûr, une poignée d’anciennes lectrices éplorées. Subjective parce que racontée par l’une d’elles, il n’en reste pas moins que l’aventure est belle.

« Verseau : Ma parole, c’est le Michelin pour vous, ce mois-ci ! Beaucoup d’agitations horizontales et verticales en perspective. Attention de ne pas faire jackpot et de gagner le voyage-surprise à Charenton. Quand ça va aussi fort, c’est toujours un peu inquiétant. Non ? »

Personne ne niera qu’Isabelle Chazot a su donner à 20 ans un ton en marge de l’offre de la presse féminine de l’époque. Un brin marxiste, un chouïa réac’ et largement racoleur, le magazine a donné à lire à ses lectrices des articles intitulés Le Spleen de la consommatrice ; Le marxisme expliqué aux jeunes – rédigé par le sulfureux Alain Soral – ; Le succès rend méchant ; Mariage ou débauche, que choisir ? ou 40 plans minables pour garder un mec. Le tout entrecoupé d’entretiens avec le philosophe marxiste Michel Clouscard, Bertrand Burgalat, ou encore avec Michel Houellebecq, collaborateur régulier du magazine. Se moquant du star system et critiquant la contre-culture, 20 ans revendique un rôle de « grande sœur un peu blasée » supposée guider la jeune fille « tiraillée entre son narcissisme, l’affirmation de soi et la violence infligée par l’époque ». Entre le frivole et le sérieux, ses rédacteurs parvinrent à traiter avec profondeur de la superficialité ambiante.

« Rien à voir avec le journalisme d’investigation. On pratiquait plutôt un journalisme d’introspection. »

Outre l’usage de pseudonymes ridicules – et même si notre cher support n’a pas encore créé de rubrique sexo -, les similitudes entre 20 ans et Gonzaï qui me sont apparues à la lecture du livre ne font qu’accroître a posteriori ma sympathie pour le magazine. Même si toutes les voix s’accordent pour chanter les louanges du défunt sans laisser de place à la controverse, le livre de Marie Barbier n’en est pas moins intelligent, bien documenté et délectable. Quant à moi, loin d’être rassurée quant à ma capacité à  digérer les préceptes qui m’ont été inculqués par la presse pour jeunes filles, je préfère me replonger dans l’horoscope de Sophie Talma en appendice du livre.

20 Ans // Anthologie coordonnée par Marie Barbier // Rue Fromentin

8 commentaires

  1. Marrant ce bouquin; c’est vrai qu’à l’époque, 20 ans avait un ton décalé plus sympathique et ‘traiter avec profondeur de la superficialité ambiante’ est assez juste. Dans 20 ans y’avait des fringues chouettes qu’on pouvait acheter chez Monop aussi.
    Aujourd’hui, y’a toujours Glamour pourtant? Des tests en 30 étapes pour savoir quel acide hyaluronique vous va le mieux, des fringues Missoni, et pis bon, on n’a plus 20 ans.
    Hé merci Is de B. pour ce petit papier qui traite un sujet superficiel avec une profondeur sympathique.

  2. « Quand ça va aussi fort, c’est toujours un peu inquiétant. Non ? » … On dirait du Syd Charlus.
    Quant à « traiter en profondeur la superficialité ambiante » – beau résumé. Aujourd’hui, on ricane ou on décrypte, je me demande ce qui est le pire. Mais quand la presse va si mal, c’est toujours un peu énergisant. Non ?

  3. les articles de Marie Barbier pour gonzaï sont tous remarquables et elle me manque.
    Je n’ai aucune affinité avec le sujet mais du coup j’ai presque envie de lire son bouquin.

  4. C’était ma Bible ce magazine.
    Je me souviens des trucs comme « comment connaître l’orientation sexuelle d’un mec grâce à son t-shirt » (ça m’a permis de lâcher le marcel échancré. Merci 20 ans) ou,les tests « Quel mec vous irait? » avec des conseils tels que: « vous êtes étudiante? Lâchez les minets. Et tapez vous un vieux, il montera vos étagères et payera vos caddies de bouffe en fin de mois. » J’avais 12 ans quand j’ai volé mon premier numéro. Ce zine m’a rendu moins beubeu.

  5. 20 ans avait un ton décalé et frais mais je ne vois pas trop l’intérêt du livre: une compilation d’entretiens des journalistes du magazines qui se plaignent que les annonceurs les aient laissés tomber? Ca ne permet pas vraiment de découvrir le magazine.
    http://wp.me/p1Eyho-mD

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