Même s’il porte le nom d’un croiseur russe, ce one-man-band marseillais n’a rien d’une cavalcade de Cosaques sabre au clair. Feutré, enfantin, psychédélique, Boyarin est un disque aussi perché que le chat (du Cheshire) auquel jouent les marmots à la récré, en attendant la cour des grands.

D’emblée, une curiosité titille le regard de l’observateur, fut-il indifférent derrière ses carreaux mal nettoyés. Couverture verte, mention du groupe et titres sur le rabat supérieur, caprins au premier plan de la photo : sans pour autant qu’on puisse crier haro sur le plagiaire, la pochette fait immanquablement – et involontairement – penser au  »Pet Sounds » des garçons plagistes. Bon, la pochette, OK, mais passée l’œillade, que dire de la musique ? Est-elle au niveau de cet emprunt ? Fiez-vous à vos oreilles, mais j’aurais tendance à faire basculer la balance du côté du oui.

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Mais, oui à quoi ? Oui à un album qui batifole dans une cour où s’ébattent déjà Animal Collective et Forever Pavot, Chapi Chapo et Left Banke, Fugu, Dorian Pimpernel, The Divine Comedy et les comptines lysergiques de MGMT (à la sauce MitchiriNeko March), ainsi qu’une foule d’autres impétrants que les érudits de tous poils se feront un plaisir de débusquer. Ce cénacle, c’est celle d’une pop baroque et gracile, aux premiers abords naïve, éperdue d’avance. Ça n’intéressera sans doute pas les (déjà vieux) fans d’Ed Banger, trop occupés à bichonner leurs sneakers en matant Albator, pas tellement plus les garage-rockers pris par le fuzz. En revanche, ce disque tapera en plein dans le viseur des trente-cinquenaires qui caressent d’un air attendri, sur l’étagère en aggloméré, leurs vinyles des Zombies ou des génériques FR3 de Francis Lai. Car Boyarin déploie une pop de chambre, la chambre d’un enfant qui, jouant avec ses figurines, croit encore qu’on peut fonder des métropoles dans les arbres, être le maître d’un monde sans écraser personne. De fait, difficile d’imaginer meilleure appellation que Figurines Music pour nommer le label, monté par Boyarin, sur lequel sortent ces douze miniatures qui envoient par la fenêtre le schéma couplet-refrain, lui préférant des entrelacs mélodiques, des fugues, des feintes délicates, des facéties de doux-dingue esthète. Exemplum de cette pop (é)mouvante : le délicieux Useless Lights, crème du disque.

EN RÊVANT À PARTIR DE PEINTURES ÉNIGMATIQUES

Plus intéressant encore, malgré ces chansons parsemées de mésangettes sonores, Boyarin n’a rien d’un virtuose. Ce serait plutôt un joueur, un bricoleur minutieux qui joue, fignole, retravaille des chansons se dessinant au fur et à mesure sur son logiciel de programmation. Car, oui, malgré la patine organique qui émane de cette heure de musique, tout – des clavecins aux xylophones en passant par la voix haute perchée – y est inauthentique, conçu ou modifié par ordinateur. C’est du coup assez plaisant de rattacher le lettré Boyarin, au-delà de sa filiation revendiquée avec l’écrivain Henri Michaux [1], à David Roentgen, cet ébéniste allemand qui conçut les meubles tout en ornements et compartiments secrets de la cour de Louis XVI, avant de participer à la conception d’un automate musical, baptisé La Joueuse de tympanon ; comme lui, il est à la croisée raffinée de l’artisan et du mécanicien. Trois siècles et quelques plus tard, le computer ne fait pas que manier la mailloche ou ridiculiser l’humanité au jeu de go, il a aussi appris la poésie, à devenir une machine à rêves [2]. Chez Boyarin, l’aspect organique n’est donc pas contenu dans des guitares en bois d’arbre ou des ukulélés aigrelets – tant pis pour les folkeux luddites. Il est à chercher ailleurs, dans la fluidité des excroissances de ses chansons protéiformes, pièces vulnérables, ludiques, flâneuses, fatalistes, façonnées parfois durant plus de cinq ans [3]. Ça a quelque chose de l’irréelle légèreté d’une Kirsten Dunst en impression soleil couchant, qui serait la pretty ballerina de cette jolie et scintillante boite à musique.

Alors, oui, parfois on s’y perd – trop foisonnant, trop étiré, trop contourné –, parfois on manque un embranchement même à la quarante-troisième écoute. Mais il y a mille fois plus d’agrément à se perdre dans les sinuosités de cette Grande-Garabagne verdoyante (est-ce ici que Syd Barrett lives ?) qu’à demeurer dans la droite ligne d’interminables deux-fois-trois-voies trop bien (é)rodées – au hasard du tacle gratuit, on citera Massive Attack, en état de mort (trop) cérébrale depuis l’an 2000.

En tout cas, quand l’enthousiasme s’apprête à déposer le bilan, voilà une très appréciable heure de musique, douillette, cristalline, hors du monde, avant de reprendre la brasse coulée dans le long fleuve merdeux de la vie. Alors, en attendant que quelques malséants ne viennent vous causer plan d’épargne-logement ou plaquettes de frein chez Norauto, voulez-vous d’un peu de thé avec votre buvard ? C’est Boyarin qui régale.

Boyarin // Boyarin // Figurines Music (CD et K7 à paraître le 8 avril prochain)
https://boyarin.bandcamp.com/

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[1] Le nom de « Grande-Garabagne » lui est emprunté.

[2] Publicité à peine déguisée pour le Azimut space-garage d’Avenue Z : mangez-en, c’est bien.

[3] « Emergency Exit », pièce centrale de l’album, était ainsi déjà présent sur son EP Emergencies paru … fin 2010 !

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