En chimie, on parlerait d’une réaction accidentelle entre deux éléments que tout oppose, en musique il s’agit d’une réunion improbable : quand l’un des pionniers méconnus de la musique électronique française rencontre un binoclard samplé par Lady Gaga avec son groupe Zombie Zombie, ça donne un EP nommé « Vents Solaires ». « Coup de soleil sur ta gueule » aurait pourtant été plus explicite.

latestreleaseL’annonce de leur collaboration laissait craindre le pire : quand Richard Pinhas, fondateur de Heldon, monta en 2011 sur la scène du festival BBmix à Boulogne pour accompagner Etienne Jaumet, on eut l’impression d’assister à un acte manqué, surtout un brouillon de jam mal ficelé où chacun peinait à rencontrer l’autre et parvenait tout au plus à inspirer de la sympathie au public médusé.
Sans dire qu’il faille dérouler les curriculum vitae, ces deux musiciens ont pour point commun d’être attirés par l’étrange, dégoutés par la facilité et fascinés par les machines, à ce détail près que Pinhas a débuté sa carrière en 68 et Jaumet, environ trente ans plus tard. Improbable réunion que celle-ci, donc. L’emploi des séniors battant son plein grâce à une espérance de vie toujours plus élevée, il ne faut donc pas non plus s’étonner que ces deux là aient imaginé, au détour d’un concert commun en 2011, de faire un enfant ensemble.

« Etienne Jaumet en fait trop ». C’est en peu de mots ce que les mauvaises langues – façon hypocrite de dire ce que je pourrais penser si je me faisais l’avocat du diable – quand on liste le nombre de projets sur lesquels on retrouve le disciple technoïde de Sun Ra : il y a d’abord Zombie Zombie qui remplirait presque des stades à travers le monde, il y a ensuite ses disques solos – dont un prochain en 2014, en cours de finition, sans oublier la bête Married Monk en sommeil et ses parties de sax en tant qu’invité, comme récemment sur le disque de Château Marmont. C’est parfois usant cette omniprésence ; à se demander si Jaumet ne comble pas ici un besoin inassouvi de reconnaissance tardive. Il se peut aussi que ce jazzman déviant ait beaucoup trop d’idées pour un seul album tous les trois ans. Je vous laisse trancher. Tout ça pour dire qu’en haut de cette pyramide bancale, vient désormais se rajouter cette étrange collaboration avec Richard Pinhas, cristallisée sur un disque qui tourne de travers.

A la question de savoir si ce disque est écoutable, la réponse est évidemment alambiquée. Ca en devient presque saugrenu tellement « Vents solaires » prend à revers tous les critères d’écoute contemporains, et dire de cet objet qu’il prend à rebrousse-poil la concurrence – existe-t-elle d’ailleurs ? –  est encore en soi une forme de politesse convenue.
Sur cet EP paru ce mois-ci chez Versatile, deux pistes se font face. A les défigurer comme ça dans le player iTunes, on a presque l’impression d’assister à un duel de cosmonautes à la sauce Sergio Leone, botte de foin dans l’espace, regards plein de sueur à travers le casque. Sans dire que « Vents Solaires » soit l’improbable bande-son d’un film qui mélangerait Gravity et 2001 l’Odyssée de l’espace – c’est même tout l’inverse quelque part – la friction de ces deux générations de musiciens qui croisent le fer sent le méthane à plein tube et ces deux morceaux de peu ou prou dix minutes chacun transportent l’auditeur dans une sorte de troisième dimension, un temps X qu’on a du mal à placer sur la carte ; les fans de Pinhas reconnaîtront évidemment des plans de guitare déjà entendus sur « Oblique Session » (1999) avec Pascal Comelade quant ceux qui ont aimé « Night Music » de Jaumet auront l’impression de naviguer en terrain connu, ne serait-ce que pour ce son de sax tiré d’un film de John Carpenter errant au Social Club. Mais in fine, difficile d’écouter « Vents Solaires » en société. Et difficile, du reste, de l’écouter tout court.

Derrière toutes les métaphores spatiales qui viseraient à faire de nos deux cosmonautes des frères bogdanoff attirés par l’inaudible, l’essentiel est ailleurs. « Vents solaires » se mérite et s’apprivoise ; on ne l’écoute pas comme on se beurrerait une tartine. Car les deux pistes livrées ici sans maquille à l’auditeur perplexe ne sont précisément pas du rock binaire, et sans dire qu’on assiste ici à un renouveau de la musique électronique, il y a dans le travail de Jaumet et Pinhas un écho aux quatre disques délirants de Brian Eno en compagnie de Robert Fripp. C’est donc tout cela, et en même temps c’est aussi autre chose. Une zone de non droit sans refrain où les programmations synthétiques donnent l’impression d’un gigantesque tapis roulant sur lesquels avancent à vitesse grand V solos de sax et déluges de larsens. C’est à la fois simple (« j’aime pas ») et complexe (« trop étrange pour ne pas aimer »), à la fois court et long à écouter, reposant et fatiguant en même temps. C’est un objet posé sur la table, ça n’a pas de prétention folle et pourtant « Vents solaires » possède ce truc indescriptible, entre l’ambiant et la musique bruitiste : « Metal Machine Music for Airports » ?

Richard Pinhas – Etienne Jaumet // EP Vents Solaires // Versatile
http://versatilerecords.com/release/richard-pinhas-etienne-jaumet-vents-solaires-ep/

Crédit photo : Philippe Lebruman

5 commentaires

  1. Difficile à apprivoiser ?? Pas tant que ca au final. C’est un bien bel EP qui déplaira surement aux amoureux du format mais pas aux curieux. Un grand merci à Dominique d’Exodisc qui me l’a sorti. Un pote passait à la maison justement le soir où je revenais avec mon sac de disques. L’ambiance et toutes les sonorités sur les 2 tracks l’ont ramené à la grande époque du Rex. Et je garantis que venant de sa bouche c’est réellement un compliment. Un vrai bon disque singulier.

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