Sortir indemne d’une rencontre avec Nicolas Ker est une épreuve qu’on devrait inscrire au programme de tout apprenti journaliste souhaitant comprendre ce qu’est l’enfer d’une interview où l’on ne contrôle rien. « There is a Storm », premier album de son groupe Paris paru chez Ekler’O’Shock, est une nouvelle occasion de vérifier sur pièce que le leader de Poni Hoax reste l’un des types les plus imprévisibles du circuit. Récit d’une soirée entre éclair de génie et éclair, euh, plus obscur.

Il est 19h00 devant les grilles du lieu de rendez-vous. J’attends Sabrina, la photographe, que j’ai pris le temps de briefer par mail sur ce qui nous attend : « Attend toi à tout, Nicolas Ker est complètement fou dans sa tête, je ne sais absolument pas à quelle heure on va sortir de ce merdier ». Un peu sceptique façon ‘’tu cherches à m’impressionner j’en ai vu d’autres’’, Sabrina fait semblant d’opiner du chef. D’ailleurs voilà le Ker qui se ramène, bouteille de vin sous le bras, et qu’on entend gueuler à trois pâtés de maison. Il est accompagné par Jef, guitariste aux cheveux longs d’un autre groupe qu’ils semblent avoir en commun. On n’en sait pas beaucoup plus pour l’instant. De toute manière vous sortirez certainement de la lecture de ce papier sans rien avoir appris, hormis le fait que le bourreau de travail dont il est ici question possède autant de groupes (Poni Hoax, Paris, Aladdin, un autre groupe en cours de formation, 3 disques solos déjà écrits…) que vous de verrues sous vos pieds. Et bref, histoire de ne pas spoiler cette histoire sans queue ni tête, sachez juste qu’au moment de lancer cette troisième rencontre en sept ans, Ker s’époumone déjà à m’insulter copieusement alors que le dictaphone n’est pas encore enclenché : « Je te fais confiance, mais t’es juste une foutue langue de vipère ». Ca commence bien.

Crédit : Sabrina Mariez
Crédit : Sabrina Mariez

L’objet de cette rencontre nocturne, c’est « There is a Storm », le très tardif premier album de Paris qui, après plusieurs mois (années ?) d’attente, voit enfin le jour chez Ekler’O’Shock, label parisien dont on suit les avancées depuis tellement longtemps qu’on était déjà sûr que ce disque, il était déjà sorti depuis plombes. Mais en fait non. Après un premier titre magique (Star Ocean) sur un maxi financé par Agnès B en 2008, après un très bon premier EP en 2010, voici enfin le premier long format de Paris. Un groupe qui, pour paraphraser Taxi Girl, n’est pas là à glander sans rien à faire. Son leader, tombé dans la bassine d’acides quand il était gamin, est toujours sur un coup. Quand ce n’est pas avec Paris, c’est avec Poni Hoax, quand ce n’est pas avec Poni Hoax, c’est avec Aladdin (son autre projet avec Gilbert Cohen de Versatile), et quand ce n’est pas avec tout ce beau monde, c’est avec… Attendez le prochain paragraphe pour le savoir, c’est assez gratiné.
Tout cela pour dire qu’écrire des chansons, c’est ce que Ker a trouvé de mieux pour combler l’ennui. Il en écrit 4 par jour, il les pond comme il pisse et force est d’admettre que ça parle toujours un peu de la même chose : sa fascination pour la guerre, le monde de Cthulhu de Lovecraft, les écrits cyberpunk de William Gibson, Charles Manson, Satan, les âmes errantes qui se perdent dans la nuit, ceux qui baisent pour oublier, ceux qui boivent pour oublier, ceux qui oublient pour se souvenir, et ainsi de suite. Situé pile poile sur la grande faille d’un tremblement de terre permanent, le songwriting de Ker est un puits sans fond qui tire sa sève du malaise, de l’imparfait. Et de l’imprévisible. « There is a Storm », c’est un peu tout ça. Avec aux manettes Mike Theiss (Gyrls), Arnaud Roulin (Poni Hoax) et Maxime Delpierre (Limousine). Une belle brochette de pieds nickelés issus des meilleurs groupes ‘’parisiens’’, et qui sur le papier fait surtout penser à l’Agence Tous Risques, avec dans le rôle de Looping, je vous le donne dans le mille, notre célèbre Ker brisé. Extrait d’un début d’interview comme on en rarement entendu.

Assis dans cette salle d’attente démoniaque à patienter pour débuter cette interview non remboursée par la sécurité sociale, j’en suis encore à tenter de reconstituer cette histoire fragmentée s’étalant sur plusieurs années, sur plusieurs groupes disséminés, quand une nouvelle surprise descend les escaliers. Car Nico, jamais en reste sur la déconnade impromptue, nous a donné rendez-vous au domicile de l’artiste Alice Lewis, chez qui il enregistre de nouvelles chansons pour un énième nouveau projet. On en est encore à tenter de comprendre qui fait quoi dans la pièce quand soudain : la grande Arielle déboule. La grande Arielle, c’est la Dombasle. Qui lentement descend les marches façon Palace de Jean-Michel Ribes. Sur fond de rire maniaque, Ker annonce sa nouvelle muse par une déclaration tonitruante :

« On est en train d’enregistrer des morceaux au premier étage pour un nouveau projet qui n’a pas encore de nom, ça va être comme le Velvet avec Nico ! Arielle, elle est trop subtile, c’est Jean Cocteau et Nico en même temps, c’est moi qui joue Warhol, l’idiot avant qui tyrannise tout le monde avec sa parole, AH AH AH ! Mais attention hein, on parle que de Paris aujourd’hui, le projet avec Arielle c’est encore autre chose ».

Arielle se tient là, beauté incandescente au milieu de la pièce, aux côtés d’une clique de freaks qui compose une nightmare team assez stupéfiante, à la fois capable d’exciter tout journaliste blasé par trop de mornes assemblages, mais aussi d’écrire de vraies chansons. Disons-le tout net, cette soirée c’est un grand n’importe quoi. Et pendant les deux heures que durera cette espèce de non-interview où les cris et hurlements couvriront tout début de réponse mono-syllabique absolument impossible à retranscrire sans perdre l’impression de folie qui se dégage de l’instant, ce sera encore pire.

Et quelque part ce bordel, il tombe bien. Car le soir de cette rencontre chaotique, il est assez difficile d’exprimer le moindre enthousiasme. La tuerie de Charlie s’est passée la semaine d’avant, Paris (la ville) est couvert par une chape de plomb, c’est parfum terrorisme et embuscade à chaque coin de rue, difficile de faire comme si tout devait continuer normalement. Tout paraît dérisoire, même la promo d’un disque de très bonne facture. Arielle, pas vraiment concernée par Paris (le groupe), se fend d’une vérité indiscutable : « les très grandes unanimités humaines se font toujours sur une mise à mort ». Quand à Nicolas Ker, il enchaine par une blague à la Thierry Meyssan (« tu as remarqué comme la pochette du disque ressemble à l’affiche de Je Suis Charlie ? Même police, même fond noir ! Dieu merci on peut pas m’accuser de complot j’ai fait le disque 6 mois avant l’attentat ! ») qui peine à dissimuler le volcan intérieur qui bouillonne sous son crane dégarni. L’étonnante similitude entre la pochette de « There is a Storm » et l’affiche fait-elle du chanteur un prophète ? On tente la blague. « Non pas prophète, moi je suis un poète ! Je travers le temps comme un territoire… ». Si « There is a Storm » n’est évidemment pas un brûlot social chauffé dans le four de la chanson contestataire, les récents événements donnent à cet orage cold-wave une autre dimension. Ephémère, sans doute. Mais tout de même très marquante. Car en filigrane du 11 septembre européen qui touche la Capitale, c’est aussi pour Ker la date d’un crash personnel, puisque le disque de Paris – un peu comme avec chacun de ses disques d’ailleurs – est aussi un disque de rupture sentimental. Composé à deux avec Mike Theis, toutes les chansons n’en sont en fait qu’une seule.

Crédit : Sabrina Mariez
Crédit : Sabrina Mariez

Et pour le reste, on n’en saura pas beaucoup plus. Car aujourd’hui Nicolas Ker n’a pas envie de faire de promo, du moins pas de manière traditionnelle. A la Ker quoi. Parler de son disque façon track by track pour disséquer plusieurs mois de boulot et des kilomètres de notes mâchouillées, merci bien. Fort logiquement, Ker préfère couvrir la bande avec son rire maniaque, entonner Les rois mages de Sheila en version gothique ou encore se fendre d’une ultime punchline sur, euh, Duran Duran : « J’adore le ‘’Avalon’’ de Roxy Music mais Bryan Ferry il est juste lugubre, Simon Le Bon de Duran Duran sa musique elle est pourrie mais lui il est vraiment cool ! ». Au bout de 30 minutes à tenter de poser des questions auxquelles je n’aurai de toute façon pas de réponse, je décide de laisser tourner la rencontre en roue libre, un peu dépité.

Coincée là, amusée et certainement ravie, Arielle Dombasle finit par s’éclipser. Elle doit filer en Chine pour chanter demain La Traviata devant 500 millions de chinois à la télé. Sa rencontre avec Ker, elle date d’une soirée au Cirque Electrique, où la compagne de BHL (et surtout actrice, chanteuse et réalisatrice) a fait la connaissance de « Nicolas » – qu’elle vouvoie, façon Le Rouge et le noir de Stendhal. Désormais les deux ne se quittent plus et la relation – platonique, no gossip – a finit par aboutir à de longues soirées rue de la Goutte d’or, un quartier mal famé de Paris devenu depuis belle lurette la résidence du chanteur, son repaire, le lieu de toutes ses chansons ou presque. Le théâtre des ombres derrière lequel Nicolas tire les ficelles. Ou ce qu’il en reste. Et si vous en êtes encore à espérer des bribes d’infos sur la genèse de « There is a Storm », rasseyez-vous, on n’en apprendra pas beaucoup plus de la part du principal intéressé. « There is a Storm », c’est juste le nom d’une chanson de Paris. Qui ne figure même pas sur le disque. Car au départ, le disque devait s’appeler « The city will slowly kill your dreams ». Sauf que c’était trop long. Jusque là, et aussi incompréhensible soit le récit de cette soirée, ça se tient. Sauf qu’au bout d’une heure assis là comme un con à quémander des informations pour écrire ce putain de papier, Nico fait des zig et des zag pour slalomer entre les étroits couloirs de la normalité. Non: le titre de l’album ne lui évoque rien, les paroles des chansons ? Il ne s’en rappelle plus. Démerde toi avec ça, gringo.

Après deux heures passées dans cette Factory débraillée-bruyante, je finis par conclure que j’ai assez de matière pour un papier incompréhensible sur un disque qui finalement n’a pas grand besoin d’explications. Sur le pas de la porte, Nicolas Ker se fend d’une dernière confession sur The Silk Screen, la chanson d’ouverture de « There is a Storm ». Qui parle de prostitution enfantine. Et d’une gamine d’Asie qui, louée par ses parents pour trois fois rien à des adules, bouffe des bites en pensant aux étoiles pour oublier. No comment. Poignée de mains, chacun retourne à ses occupations. Quant à moi, je me demande bien comment je vais pouvoir dépatouiller tout ce foutoir.

Ultime rebondissement. Le lendemain de cette interview, et alors que je pense en avoir fini avec cette interview placée sous le sceau de la folie furieuse, Nicolas Ker se fend d’une paire de SMS d’excuses pour son état possédé, dans un dernier échange qui résume bien l’orage qui tonne dans son cerveau malade.

SMS3Conclusion : côté folie, personne n’arrive à la cheville de Nicolas Ker. Tout est pardonné.

Paris // There is a Storm // Ekler’O’Shock (en concert le 7 février au Point Ephémère)
https://www.facebook.com/parissubways

Photos : Sabrina Mariez

5 commentaires

  1. Après Philippe Katerine et Daven Keller, voici Nicolas Ker … elle fait une fixette sur les nom en K l’Arielle !
    Intelligente, belle, fascinante et konceptuelle, une femme de goût, assurément.
    Sinon, les texto de Ker, c’est juste grand.
    Et quelle soirée, Bester ! Finalement, vous faites un beau métier …

    1. Moi je l’aime cet homme. Il est beau et intelligent. Pour être comme ça il faut au moins 135 de quotient intellectuel.

  2. Il a un talent fou. Sa personnalité est juste déconcertante et atypique. Je me sens proche de ses hommes et femmes hors normes…J’aime ce genre d’interviews qui nous apprend plus que les questions-réponses aseptisées…

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